a. Justifications de l’inconvertibilité de certaines monnaies en Afrique de l’Ouest

Trois arguments pourraient être à l’origine du choix de certains Etats ouest africains de rendre leur monnaie inconvertible.

  • Le premier se rapporte à l’exigence monétaire qui découle du dirigisme économique273 que certains pays ont adopté après leur accession à l’indépendance. Cette théorie qui préconise l’utilisation raisonnée 274 de la monnaie comme instrument de développement économique [Ouadraogo, 1999] fait obligation à l’Etat de protéger celle-ci contre toute influence perturbatrice. L’inconvertibilité ne serait donc que la conséquence du type de régime de change qu’une telle politique économique exige, à savoir un contrôle total des changes. Selon une description de Sandretto (1993), dans un tel régime, « l’Etat a le monopole des échanges de monnaie. La monnaie perd toute convertibilité et toute transférabilité. Seul l’Office des changes peut réaliser des opérations d’achat et de vente de devises : il se charge de collecter les devises encaissées par les résidents et de les répartir entre les emplois selon des critères et à des prix discrétionnaires ». Par ce contrôle, l’Etat vise à favoriser le développement des secteurs prioritaires en les protégeant contre la concurrence extérieure (par l’interdiction ou la limitation d’importation de produits concurrents et par l’emploi des devises acquises à l’achat d’équipements et de matières premières ou semi-finis qu’ils requièrent). Ce type de régime de change avait permis à des pays comme le Ghana et la Guinée (qui avaient choisi l’économie socialiste du type soviétique) de priver leurs citoyens de monnaies refuges. En effet, dans ce modèle économique, l’épargne des ménages –considérée comme un surplus de revenu par rapport aux besoins vitaux – est collectée quasiment sans rémunération ( des taux d’intérêt très faibles, parfois même négatifs) par un système bancaire entièrement étatique et réaffectée au financement des secteurs prioritaires275. Cette collecte « forcée » de l’épargne oblige l’Etat à contrôler les entrées de devises pour faire en sorte que les agents économiques ne puissent pas convertir leurs économies en devises et les garder ainsi oisivement chez eux. Ce qui aurait occasionné, sur le plan macroéconomique, une réduction de la base monétaire (mais encore faut-il contrôler le marché parallèle de devises).
  • La deuxième raison est donnée par l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (IMAO) dans un document de travail datant du mois septembre 2006. Selon ce document, derrière une politique de contrôle se cache aussi des intentions d’enrichissement personnel des dirigeants politiques et des hauts fonctionnaires. Autrement dit, au lieu que les devises obtenues dans les ventes de matières premières ne soient revendues aux opérateurs privés, les dignitaires se les partagent à travers diverses formes d’allocations (voyages officiels, surfacturation,…).
  • La troisième explication provient du désir d’avoir la possibilité de recourir au financement monétaire du déficit en cas de besoin. Le niveau élevé des taux d’inflation dans ces Etats, surtout les bonds remarqués au lendemain d’élections présidentielles ou législatives, atteste du recours à ce privilège. On peut aussi penser qu’il est mis à contribution dans le paiement des salaires des fonctionnaires dans ces pays. Car même dans les situations budgétaires difficiles, ces pays sont toujours parvenus à payer leurs fonctionnaires. Alors que le Niger et la Guinée-Bissau ont connu longtemps des problèmes d’arriérés de salaire. Bref, quoique nuisible pour l’économie, les Etat qui disposent de cet instrument dans leur panoplie s’en servent dès qu’ils sont acculés.

Notes
273.

Conséquence soit du choix politique (socialisme à la soviétique : Ghana, Guinée,…), soit de politique économique simplement (politique d’industrialisation de substitution aux importations : Nigeria).

274.

. Au sens de cette théorie, la monnaie ne doit servir que pour le financement du développement et pour les besoins des transactions courantes

275.

Il s’agit, pour les théoriciens de ce modèle, de rendre « utile » la partie inutile (le surplus) de la monnaie émise.