Conclusion du chapitre

La monnaie doit ses fonctions économiques à un consensus social. Avant l’intervention de la puissance publique, ce consensus reposait sur la confiance que les membres d’une communauté s’accordaient mutuellement. Une confiance fondée sur l’acceptation de règles et de normes communes. Au fur et à mesure que la Communauté se développait et se complexifiait la formalisation des consensus établis dans les différents domaines de la vie sociale s’est avérée nécessaire. Mais la montée en puissance de l’individualisme au détriment du groupe a crée un spectre de doute quant à la bonne foi de certaines personnes que la puissance publique s’est proposée de dissiper en se portant "garant" et "arbitre". C’est ainsi que, en tant que pratiques sociales, l’émission de la monnaie et sa régulation se sont retrouvées dans les prérogatives du « Souverain ». Le chapitre qui s’achève a tenu à rappeler les bases psychologiques d’une monnaie et sa dimension anthropologique. Ceci a permis de constater l’absence de telles bases dans l’espace CEDEAO. Tout simplement parce qu’en réalité, il n’existe, au sens étymologique du terme, ni communauté d’« hommes », ni communauté politique dans cet espace ; même la communauté économique prétendue par les deux premières lettres du sigle – CEDEAO – est encore à l’état embryonnaire.

Si des relations commerciales ont existé entre les différentes communautés ethniques et ont permis l’émergence de « monnaies régionales » à l’époque précoloniale, l’organisation politique – restée à l’échelle des tribus – n’a pas soutenu ces prémices qui ont été d’ailleurs remplacées par les monnaies coloniales.

La colonisation avait subdivisé l’espace monétaire régional en trois zones (zone franc, zone sterling et zone escudo), les indépendances (avec la formation des nations) l’ont subdivisé en 7 sous-espaces. Le désir d’asseoir les bases d’une nation est demeuré, et demeure encore, plus fort chez les dirigeants politiques289 que le désir de construire un espace régional. Si bien que les décisions prises au sein de la CEDEAO ne sont pas appliquées par les Etats membres ou sont faiblement appliquées. Ce manque de détermination politique nous semble constituer le plus grand obstacle auquel est confronté le processus d’intégration monétaire en Afrique de l’Ouest. Il faut ajouter, sur cette toile de fond, la mésentente entre certains Chefs d’Etat, la rivalité entre dirigeants politiques "anglophones" et dirigeants politiques "francophones", le climat politique tendu dans les pays peinant à appliquer correctement les principes de la démocratie ou encore le déficit de légitimité dont souffrent certains Chefs d’Etat mal élus.

On s’est demandé alors si ce projet de création d’une monnaie unique pour toute la région était faisable dans ce contexte. Notre réponse est affirmative, mais la démarche préconisée actuellement nous semble inappropriée. Et les deux reports de date de démarrage de la seconde union monétaire ainsi que la perspective d’adoption d’une nouvelle approche dite "approche unifiée" nous confortent dans cette opinion. Cette dernière proposition aussi, si elle est adoptée, compliquera en plus la réalisation du projet puisque implicitement la présence du Nigeria devient indispensable, alors que ce pays fait partie des principaux obstacles.

L’approche que nous avons proposée place l’UEMOA au centre du processus pour son expérience incontestable et pour le fait que cela constitue une occasion de sortir de l’anachronisme des accords monétaires la liant à la France. Les performances de la Guinée-Bissau (admise dans la zone franc en 1997) en matière d’inflation laisse penser que les 5 pays candidats à la seconde union monétaire (avec le Nigeria) atteindront plus facilement les critères de convergence (qui existent aussi dans l’UEMOA) en tant que membres de l’UEMOA qu’en tant que candidats à la ZMAO. Enfin, cette voie conduit au même résultat de réduction du nombre de monnaies de 7 à 2 (sauf qu’ici, la 2e « zone monétaire » ne sera constituée que du Nigeria uniquement) que l’approche suivie actuellement. La fusion des deux monnaies sera envisagée dès que les conditions seront jugées propices. Bien évidemment cette voie n’est possible que si l’UEMOA se retire de la zone franc et accepte un nom consensuel pour le "franc CFA". Cette voie présente l’avantage d’être pragmatique et moins coûteuse.

Notes
289.

Plus souciés à garder le pouvoir qu’autre chose.