Le sujet de ma thèse sont les Athéniens et mon but est d’étudier la population athénienne afin de couvrir le manque des données par les statistiques. Le stimulus pour ma recherche était d’un côté la perception que la mortalité infantile en Grèce, commence à diminuer déjà à partir la décennie de 1860. D’autre côté la perception qui prédomine, tant dans des études de l’entre-deux-guerres que dans des études plus récentes, qu’Athènes pendant le XIXe mais aussi aux débuts du XXe siècle, était une ville parasitaire. La caractérisation même d’Athènes par le sociologue C. Tsoukalas « comme un monstre parasitaire et anti-productif »14 (comme réponse aux recherches qui essayaient d’expliquer et interpréter l’existence ou non d’industrialisation en Grèce), suivait la capitale grecque pendant des années. Les chercheurs qui ont adopté cette caractérisation, ont souligné la multiplication des fonctionnaires, le développement des services personnels et des professions libérales et l’existence d’un nombre important des commerçants. Pendant les dernières années cependant, des historiens (comme C. Agriantoni) ont commencé à souligner qu’Athènes pendant le XIXe siècle, est finalement devenue aussi une ville de la manufacture15.
Selon Jean-Luc Pinol, pendant le XIXe siècle, les villes peuvent être distinguées à de divers types, selon les différents fonctionnements qu’elles réunissent et qu’ils les caractérisent. Conformément à cette typologie, les métropoles réunissent, à des degrés différents, tous les fonctionnements d’une ville : les fonctionnements industriels, commerciaux, financiers, culturels et administratifs16.
La question centrale de ma recherche était d’étudier si pendant le XIXe siècle la capitale grecque était en effet une ville anti-productive ou une métropole qui tout simplement réunissait tous les fonctionnements du jeune Etat grec. D’ailleurs, la Grèce au moins jusqu’à l’entre-deux-guerres, n’a pas acquis une industrie puissante, mais elle était un pays rural : 40% approximativement du PNB du pays provenait de l’agriculture.
Faute d’une monographie traditionnelle à la française comme celles-ci pour Lyon, Paris, Bordeaux ou Milan, c’est-à-dire d’une monographie qui s’appuie sur des sources primaires et non seulement sur les tableaux statistiques des recensements pour la capitale grecque, à laquelle ces questions aient répondu, j’ai voulu étudier certains secteurs de la société athénienne. Le but principal était d’étudier les comportements démographiques ainsi que l’étude de la composition, de l’évolution, de la hiérarchie et de la classification des groupes socioprofessionnels de la société athénienne afin d’étudier la ségrégation sociale dans l’espace de la ville, soit une approche classique pour les historiens de la ville. Bien que classique cette approche m’a semblé nécessaire puisque Athènes n’a pas fait l’objet d’études de ce type jusqu’alors. Des géographes, des architectes et des urbanistes essayaient parfois de combler le vide mais les archives restaient inexploitées et les historiens devaient répondre à ce challenge.
Cette étude est inscrite dans la problématique de l’histoire sociale telle qu’elle s’est développée dans l’historiographie française et les sources utilisées sont les sources classiques de l’histoire sociale. Pourtant, il faut noter que la qualité, la plénitude et les informations que ces sources offrent, diffèrent substantiellement des sources françaises.
Plus précisément, les sources sur lesquelles ma recherche s’appuie sont les actes de décès et de mariage, le fond d’archives du notaire d’Athènes Vouzikis, le Guide Commercial de la Grèce de 1905 d’Igglesis et les résultats statistiques publiés des recensements. A ce jour, même si ces sources sont considérées comme classiques dans la méthodologie de l’histoire sociale, seule la quatrième source a été exploitée pour la ville d’Athènes. Pourtant, en ce qui concerne les recensements grecs du XIXe siècle, il faut noter que ces publications n’incluent que les résultats statistiques sous forme de tableaux et elles couvrent un seul volume qui ne dépasse jamais les 200 pages. Les 4 volumes du recensement de 1907 constitue la seule exception. Cependant, les tableaux de 1907 qui concernent les professions sont donnés à niveau de province et non de municipalité, comme c’est le cas dans les recensements du XIXe siècle. Les résultats du recensement de la ville d’Athènes de 1879, effectivement uniques, couvrent à peine 8 pages comme je le montre dans les annexes. Il est évident donc qu’en comparaison, par exemple, au recensement de la ville de Paris de 1891 qui couvre 900 pages, une recherche historique ne peut pas s’appuyer seulement sur les recensements grecs.
Il y a quelques années on ne concevait pas l’existence d’archives pouvant permettre l’étude et l’application de la méthodologie de l’histoire sociale en Grèce. En effet il n’y a pas de « révolution d’archives » notée en Grèce, à l’opposé de la France qui en a connue une dès la fin du XVIIIe siècle et pendant la totalité du XIXe siècle17. Le temps que doit passer un chercheur pour repérer les archives (dans différentes institutions) est aussi important que celui dont il a besoin pour les dépouiller. L’imagination (pour repérer les archives), comme la patience (pour attendre la publication d’une autorisation d’accès et dépouillement) sont deux qualités indispensables pour un chercheur. Cette procédure qui prend tellement de temps et qui a des résultats douteux décourageait les chercheurs potentiels pendant de nombreuses années. Cependant aujourd’hui des efforts importants commencent à être observés. L’enregistrement dans des catalogues et la numérisation d’archives importantes provenant des Archives Générales d’Etat grecques, de l’Archive Historique de l’Université, du Musée Benaki, sont des indicateurs du fait que le climat change en ce qui concerne la recherche18.
Bien entendu, les archives des sources les plus importantes d’histoire sociale (actes de naissance, de mariage et de décès) ne forment pas toujours une série exploitable. En effet enregistrer ces évènements est pour les citoyens de cette époque une habitude étrangère. A partir du moment où les cérémonies du baptême, du mariage et de l’enterrement sont effectués par les popes, une déclaration à l’église et à la paroisse est bien suffisante. Mais les archives ecclésiastiques qui peuvent combler ce trou restent hermétiquement fermées au chercheur19. Néanmoins à partir de 1925 et surtout après 1930 l’enregistrement au Service de l’Etat Civil commence à être plus rependu dans la plupart des départements, ce qui permet d’exploiter ces archives dans le cadre d’une étude.
Athènes semble être une exception à la règle présentée plus haut, tout au moins en partie20. L’archive du Service de l’Etat Civil date de 1859. Cependant les actes de mariage du Service de l’Etat civil présentent des lacunes importantes, et l’accès aux actes de naissances n’est pas autorisé. Cependant les actes de décès sont une archive complète et elle n’a pas été dépouillée jusqu’à présent. Il s’agit d’un trésor inestimable pour le chercheur et pour l’histoire sociale de la capitale de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il est évident donc qu’au moins pour Athènes du XIXe siècle, et avec les sources connues, il est impossible d’étudier l’histoire démographique de la ville ou même, que nous appliquions les méthodes du L. Henry pour la reconstitution des familles. Mais nous pouvons aborder quelques-uns de ces aspects qui restent inconnus jusqu’au jour d’aujourd’hui. Certains vont considérer ce travail «incomplet ». Pourtant, chaque archive existante doit être exploitée et publiée, de façon à ce que progressivement, un par un, les morceaux du puzzle trouvent leurs places. Tout de même, Athènes a droit à son histoire.
Dans la première partie introductive, nous verrons la ville comme elle est vécue par ses habitants mais aussi comment elle est perçue par les voyageurs étrangers. Nous observerons son développement géographique, sa construction ainsi que l’évolution de ses infrastructures. Dans la deuxième partie nous étudierons les comportements démographiques des habitants de la capitale. Bien sûr faute des actes de naissance et d’une série complète des actes de mariage il ne s’agit pas d’une étude sur l’évolution des comportements mais plutôt d’une étude des caractéristiques démographiques de la population athénienne. Tout d’abord nous examinerons l’évolution de la population de la ville. Par la suite nous nous pencherons sur la nuptialité. Il est certain qu’à cause des lacunes dans les actes de mariage du Service de l’Etat Civil, nous ne pouvons pas tirer de conclusions ou présenter des résultats définitifs. Cependant ces résultats nous permettront d’approcher les comportements et les tendances de certains groupes sociaux. Par ailleurs, la présentation des contrats de constitution de dot va nous permettre d’éclairer les pratiques et les habitudes des athéniens en ce qui concerne le mariage. Nous étudierons par la suite l’évolution de la mortalité et les caractéristiques qu’elle présente. Enfin, nous examinerons les caractéristiques du mouvement migratoire vers la capitale.
La troisième partie de cette thèse concernera la composition socioprofessionnelle des habitants de la capitale telle qu’elle résulte de l’exploitation statistique des actes de décès du Service de l’Etat Civil. Après avoir présenté la classification des groupes socioprofessionnels et leur hiérarchie au sein de la société nous allons suivre leur évolution au cours des 50 années visées par notre recherche. Aussi, en exploitant les baux de location, nous allons examiner le niveau des loyers et des revenus ainsi que la distribution des dépenses journalières des athéniens. Enfin, nous examinerons l’existence de réseaux des migrants et la répartition des différents groupes sociaux dans l’espace afin d’étudier une éventuelle ségrégation sociale.
Bien sûr, notre étude est une approche classique, mais le manque de recherches historiques concernant Athènes du XIXe siècle nous oblige à répondre tout d’abord à des questions qui ont été déjà élucidées pour d’autres capitales européennes. Vu qu’Athènes est une ville nouvelle, où tout commence à partir du début, notre étude doit bien commencer par le début aussi.
Constantinos TSOUKALAS, 1992, p.209.
Christina AGRIANTONI, « Economie et industrialisation dans la Grèce du XIXe siècle », in Vassilis Kremmydas, (dir.), Introduction à l’histoire économique de la Grèce moderne et contemporaine (XVII e – XIX e siècles), Athènes, éditions Tipothito, 1999, p.145-176.
Jean-Luc PINOL, Le monde des villes au XIXe siècle, Athènes, éditions Plethron, 2000, p. 57-58.
Lors de son séminaire de 15 novembre 2001, Claude-Isabelle Brelot a parlé sur la « révolution d’archives » qu’a connue la France à la fin du XVIIIe et pendant le XIXe siècle : le classement des archives, la reconstitution du fond des archives, la création d’un personnel spécialisé…
En novembre il a été déclaré que l’archive historique du Dème d’Athènes va être fondé et fonctionnera au sein de la mairie de la capitale. Nous attendons de savoir quelles seront les archives qui y seront présentées et quelles seront les conditions de consultation pour les chercheurs.
La conclusion de Violetta Hionidou démographe, pose des problèmes quand elle affirme que : « la démographie historique grecque a un très grand avenir. [ ] Il faudra travailler sur des recherches démographiques locales grecques portant sur au moins 100 ans et sur des populations de taille moyenne. [ ] La méthode qui donnera des indices démographiques fiables – c’est-à-dire pas seulement des indices bruts – est celle de la reconstitution des familles ». Pourtant, ce type d’enquêtes ne peut se réaliser en Grèce puisqu’on ne dispose pas les trois types d’actes d’état civil vieux de cent ans : même pas pour la totalité du XXe siècle. Par ailleurs, V Hionidou n’a pu travailler que sur certaines îles qui exceptionnellement dispose ces sources. Espérons que les archives de l’église (baptêmes, mariages et sépultures) seront accessibles très prochainement. V. HIONIDOU, « Démographie », in Kostas Kostis ; Socratis PETMEZAS, La croissance de l’économie grecque pendant le XIX e siècle (1830-1914), Athènes, Alpha Bank Fond Historique, Athènes, 2006, p.81-102.
Il se passe la même chose dans la ville du Pirée. Grâce à l’Archive Historique de la Municipalité du Pirée, fondée en 1957, des archives notables ont été regroupées comme les listes nominatives des recensements, les registres des impôts, le registre d’Etat Civil etc.