2. La jeune capitale

Othon, la Cour, le Régent et des ministères s’installèrent le 10 décembre 1834 à Athènes, où, à cette époque, on dénombrait 7.028 habitants et 1.836 familles. Par la suite, « toute la société afflua à Athènes avec pour résultat le dépeuplement presque entier de Nauplie »66. Dépourvu de palais royal le roi s’installa dans sa nouvelle maison à la rue Kontostavlou. « Mais trouver des logements tolérables pour les régents et leurs familles la famille royale, les ministres, les diplomates étrangers, les employés grecs et étrangers, les militaires etc. jusqu’aux indispensables techniciens n’était pas une mince affaire dans cette petite ville où un carreau de verre était considéré comme un luxe et où nous voyions un poêle en fonte pour la première fois »67. D’ailleurs, le déménagement des meubles, des archives du royaume, des fournitures, du Pirée à Athènes se fait non sans mal vu que le trajet n’était pas encore aménagé et, à cette époque, n’existaient que les carrosses de la cour ou ceux des militaires. Tout le monde utilisait des chameaux, des chevaux, des mules et des ânes pour leurs transports68.

L’archéologue L. Ross décrit la situation après la désignation d’Athènes comme capitale. « Tout ce qui était plus ou moins habitable c’est à dire des petites églises à demi démolies et des églises, des mosquées et des Hammams, sont devenus des casernes provisoires, des étables, des commerces, des tribunaux, des magasins de chaussures etc. [...] Le besoin grandissant ou tout au moins très urgent de nouvelles et confortables habitations a provoqué une frénésie immobilière inhabituelle. Toute personne ayant un petit terrain tachait, comme il le pouvait, de trouver un peu d’argent et construisait tout de suite avec comme perspective l’augmentation sans risque de son capital de 20 à 30%. Il ne s’agit pas d’une exagération. L’argent était tellement rare que pendant de longues années la Banque Nationale Grecque a défini l’intérêt des emprunts de 8 à 10%. Dès qu’une maison était prête, elle était achetée. Les gens ne demandaient même pas si la chaux avait eu le temps de sécher. Presque tout l’argent pour les constructions sortait de Grèce. Car en dehors de la chaux et des pierres, le reste devait être importé de l’étranger, comme de Trieste, Malte, Salonique: des bois, des vitres, du fer, des couleurs etc. Parce que les forêts locales ne pouvaient être exploitées. Il n’y avait pas de routes ni de moyens de transport. D’ailleurs, pendant les premières années, des marbres de Camora (Italie) étaient importés, car les gisements de marbre locaux, suffisants pour approvisionner l’Europe entière, n’étaient pas encore accessibles »69.

Cette frénésie immobilière est mentionnée par Ross, et est d’ailleurs confirmée par les plans topographiques de Bailer (1834) et Stauffert (1836) : En effet ces plans montrent qu’environ 1.000 maisons ont été construites lors de ces deux années70. Malgré cela, la situation de la capitale ne s’est pas énormément améliorée. Ainsi, Charles Holte Bracebridge, qui visite Athènes en 1836, note que la ville « est en ce moment une ruine. Les rues sont presque désertes et presque toutes les maisons n’ont pas de toits. Les églises ne sont que des murs nus et des tas de pierres et de terre.[...] Peu de maisons, une ou deux qui sont construites un peu mieux que les autres, et deux séries d’abris en bois où le Bazar se tenait, étaient les lieux habitables dont Athènes pouvait être fière. Elle se remet vraiment lentement des conséquences de la guerre récente »71.

Le baron Constantin Bélios, installé à Vienne, arrive à la capitale lors de la même année, et nous donne une vision globale des maisons à cette époque: « Les maisons d’Athènes, qui ont été construites en un laps de temps très court, ont été édifiées avec économie et rapidement, avec de la boue et du bois, dans le but de faire des profits ; Les propriétaires des maisons les ont construites pour qu’elles leur rapportent un revenu de 20% et 25%, sans même qu’ils pensent, ces idiots, que ces maisons ayant des murs d’à peine 5 doigts d’épaisseur ne tiendront même pas 5 ans et qu’elles devront être démolies. Ces maisons ont été construites sans style particulier, sans aménagement, par des techniciens qui ne connaissent pas les règles de cet art. Le froid et le vent pénètrent par les fenêtres et par les portes. Ainsi dans la plupart des maisons, pour se chauffer pendant quelques instants, brûle-t-on des charbons dans des braseros [...] Lorsque quelqu’un marche dans la maison, le plancher vibre intensément. [...] Un homme ayant vécu dans un monde civilisé ne pourrait vivre que dans très peu de maisons, peut être 10 ou 15 »72. Charles Reynaud qui visite Athènes quelques années plus tard décrit dans son journal de voyage l’intérieur des maisons. « … le salon qui est destiné à être vu par les étrangers est entouré d’un divan et décoré avec un certain luxe, pendant que la chambre à coucher est à peine garnie d’un mauvais lit et d’un coffre pour renfermer les vêtements »73.

Raoul Rochette qui arrive au port du Pirée en 1838 évoque le fait qu’il existe des carrosses qui vont du port à la capitale et que la rue est franchissable. « J’avais à choisir entre de nombreux vieux carrosses, l’ancien landau allemand et le corricolo napoléonien, ou bien l’omnibus français. Et ce car la nouvelle civilisation d’Athènes se sert de tous les éléments de nos vieilles civilisations européennes »74. Cependant lorsqu’il arrive à Athènes, ces impressions sont similaires aux voyageurs cités précédemment : « C’est une ville sans routes, dans laquelle ils ont commencé à construire un palais, une image assez fidèle d’un pays où un roi a été installé rapidement avant même de savoir comment exister en tant que peuple. Partout, nous pouvons trouver l’image de la catastrophe à proximité de l’image de l’initiative. Il s’agit d’un Chaos dans lequel de l’ancien et la nouveauté se retrouvent au même moment, au même instant. [...] Où malheureusement, tout ce qui est construit aujourd’hui, à cause de sa fragilité, finit par ressembler à ce qui avait été construit avant et s’était effondré. En quelques mots, cette ville malheureuse semble toute ancienne et vieillie [...] En voyant leurs maisons, nous pensons qu’ils sont satisfaits de vivre aujourd’hui et qu’ils ne sont pas sûrs d’exister demain »75.

Jean – Alexandre Buchon (1841)76 enregistre une différence dans la construction du quartier nord-ouest par rapport au reste de la ville : « ... La rue Ermou sépare la ville en secteurs. D’un côté les vieux marchés, les vieilles rues, la vieille ville [...] De l’autre, les nouveaux quartiers, les cafés, les centres commerciaux de mode, la richesse, le corps diplomatique, la Cour. Une sorte de trottoir, souvent interrompu, au long de cette longue rue dénonce surtout ce qu’ils aimeraient avoir plutôt que ce qu’ils ont en réalité ».

Pendant des décennies les limites d’Athènes prévue par les plans sont restées essentiellement celles de la vieille ville. Omonia et la partie Sud de la rue Pireos, aujourd’hui au centre ville, sont restées pratiquement désertes jusque dans les années 1870-188077. Lorsqu’en mars 1841 Hans Christian Andersen vient à Athènes, il visite le « nouveau théâtre » Boukoura et écrit : « le théâtre se trouve un peu en dehors de la ville […] en sortant de ce bâtiment […] on pouvait voir s’étendre devant nous toute la vallée, nue et entourée de montagnes. Vide et sérénité »78. Ce théâtre était situé là où nous trouvons aujourd’hui la petite Place Theatrou (place du théâtre), derrière le marché des légumes au centre de la ville. Dans la décennie 1840 l’aménagement et l’organisation de la ville s’est tenue surtout au Nord de la rue Adrianou. Le côté nord-ouest de la ville se construisait avec un rythme plus poussé alors qu’à l’est, c’est à dire vers la rue Stadiou et Boulevariou (aujourd’hui rue de l’Université) le vide dominait. En ce qui concerne les constructions, nous pouvons dire que c’est la rue Eolou qui a été primordiale et où ont été construits les centres commerciaux et les centres de vie sociale et politique79.

1852. Plan de la ville d’Athènes à l’échelle de 1 : 200.000
1852. Plan de la ville d’Athènes à l’échelle de 1 : 200.000

Source : Dépôt de la Guerre, 1852, 1:10.000, feuille 10. Archive littéraire et historique grecque.

Lors de la décennie 1850 le rythme de construction s’est ralenti, si on le compare à celui de la première décennie. Les quartiers de la ville ancienne sous la rue Adrianou ont continué à être les plus peuplés, puis, en deuxième place, vient la partie ouest de la nouvelle ville. Avec le temps la ville s’étend vers la partie nord-est de la ville qui s’appelait Neapoli (c’est-à-dire la ville nouvelle)80. Sur la carte française de 1854, il semble d’une part que la construction s’est étendue même au-delà de la rue Akadimias et d’autre part que la place d’Omonia et en général toute la région nord de la rue Sofokleous ne sont pas encore construites. Aussi, l’agglomération ouest de Metaxourgio est restée au même niveau qu’en 183781. Il se trouve encore en dehors de la ville au début de la décennie 1860 et constitue une limite de l’agglomération sur la carte de 1862, où il apparaît que le chantier vient juste de commencer à se diriger vers l’ouest d’Omonia.

Des agglomérations commençaient à se former au-delà des avenues périphériques. Par conséquent le gouvernement confia à une commission d’officiers et d’architectes l’aménagement d’un nouveau plan et d’un compte rendu qui définirait la manière de déterminer l’étendue de la ville. La commission rendit non seulement le plan, mais aussi un diagramme indiquant la zone au sein de laquelle il serait interdit de construire sans permis préalable82. A la fin du règne d’Otton, la ville s’étendait vers l’est jusqu’à la place Kolonaki et à travers des petits îlots dispersés jusqu’à la rue Solonos. C’est là que la nouvelle ville commençait à se construire (Neapoli). A l’Ouest avec une densité de chantiers, elle s’étendait jusqu’aux quartiers du Keramikos et de Metaxourgio où se situaient par ailleurs les légions de l’artillerie et du Génie civil. Vers le Nord, elle s’étendait jusqu’à la Banque nationale de la place Omonia. Enfin, vers le quartier de Makriyiannis qui se situe au nord un petit quartier s’est créé. A l’emplacement du quartier de Psirri de notre époque se trouvait la place la plus centrale et la plus ancienne : la place Iroon (la place des Héros)83.

Notes
66.

E. Koumarianou, 2005, p.291.

67.

E. Koumarianou, 2005, p.318.

68.

E. Koumarianou, 2005, p.318.

69.

E. Koumarianou, 2005, p.318.

70.

C. Biris, 1995, p.47.

71.

E. Koumarianou, 2005, p.334.

72.

C. Biris, 1995, p.48.

73.

Charles Reynaud, D’Athènes à Baalbek (1844), Paris, Furne et Ce, Libraires – Editeurs, 1846, p.12 (Bibliothèque Municipale de Lyon).

74.

E. Koumarianou, 2005, p.347.

75.

E. Koumarianou, 2005, p.350.

76.

Journaliste et historien. In E. Koumarianou, 2005, p.362 – 363.

77.

L. Kallibretakis, 1996, p.182.

78.

Hans Christian Andersen, Voyage en Grèce, Athènes, éditions Estia, 1999, p.41.

79.

C. Biris, 1995, p.77.

80.

C. Biris, 1995, p.99.

81.

Christina Agriantoni, « Athènes au XIXe siècle. Le quartier Metaxourgio », in Archéologie de la ville d’Athènes. Conférences scientifiques janvier – mars 1994, Athènes, 1996, p.198.

82.

P. P. Kalligas, « Topographie et climat », in Athènes, Encyclopédie moderne Eleftheroudakis, Athènes, éditions Ν. Nicas & Cie, 1927, p.320–321.

83.

Georges Aspreas, « Histoire » in Athènes, Encyclopédie moderne Eleftheroudakis, Athènes, éditions Ν. Nikas & Cie, 1927, p.359–361.