4. La capitale à la fin du règne d’Othon

Antoine Proust92 enregistre avec beaucoup de détails l’image de la ville et de la société à la fin des années 1850. « Sans compter ces deux rues principales (Ermou et Eolou), toutes les autres ont été faites tant bien que mal pour le désespoir de ceux qui considèrent l’agencement orthogonal comme critère de la perfection urbaine et pour la grande allégresse de ceux qui espèrent qu’ils verront la ville enfouie venir en surface pour mettre de côté les cabanes rongées. [...] En quelques mots, alors que nous avons tourné dans toute Athènes et nous avons vu toutes ces facettes, du Lycabette jusqu’aux rochers de l’Aréopage, de l’Hymette à Pendeli, nous avons abouti à la conclusion qu’Athènes, avec ses 45.000 âmes, était un grand village commun, sans personnalité. [ ] Cette bourgade germanique aux grandes dimensions était la seule note discordante dans l’harmonie de la nature. [...] Les rues d’Athènes ont une physionomie particulière. Elles n’ont pas le désordre bruyant des routes de Naples ni l’activité méthodique des routes de Londres. Nous pouvons uniquement les comparer avec certaines routes de nos villes de province, où les urbains oisifs se baladent et cancanent en formant des petits rassemblements sur les trottoirs. Athènes donne l’image d’une ville où tu ne sais pas quoi faire. Les hommes se tiennent dans la rue pendant presque toute la journée, en compagnie du soleil. Les commerçants ont un pied dans leur magasin et l’autre en dehors; les clients ajoutent à l’arithmétique non gracieuse des échanges de quelques mots amicaux et tantôt ils discutent avec un passant, tantôt ils font des commérages sur un autre. Le magasin d’Alexandre, entre autres, est un des meilleurs bureaux de renseignement. Si vous vous arrêtez pendant une heure au croisement de la rue Ermou et Eolou, devant le café la « Belle Grèce » [ ], vous aurez la satisfaction de voir défiler devant vos yeux toute Athènes. Le premier qui se présentera vous nommera chaque personne, une à une, par son nom. Celui-ci est un ministre à pot - de - vin, celui-là est le ministre de bronze (incorruptible). [...] Le dimanche tout ce monde se déplace vers ce carrefour, du café la « Belle Grèce » à la promenade de Patission. Les hommes vont et viennent en conversant toujours et les femmes, qui ce jour-ci sortent de chez elles, les suivent quelques pas plus loin. Autour d’un kiosque, à l’intérieur duquel l’orchestre militaire se tient, la foule fait sa promenade. Par la suite chacun rentre, non chez soi mais dans la rue. Lors des nuits estivales qui sont chaudes, la plupart dorment dans la rue et font sentir leur présence par leurs murmures, qui sont une sorte de monologue intérieur, un écho de la conversation du jour précédent; car le peuple grec est le plus spirituel et le plus bavard de tous les peuples ».

Cependant, quelques années plus tôt About93 note pour la capitale du jeune royaume : « Cette capitale symptomatique n’a pas de racines. Elle ne communique pas avec le reste du pays par des routes. Elle n’envoie pasà l’arrière-pays ses produits industriels. Sa population n’a rien à attendre de son gouvernement, ne tourne pas son regard vers Athènes avec espoir. La ville n’a pas de banlieues. Les rares villages qui l’entourent ne se soucient même pas de son existence. [...] En un mot, si le gouvernement était déplacé à Corinthe, rien ne pourrait retenir la population de 20.000 habitants, et tu verrais Athènes en très peu de temps aussi déserte et détruite qu’Egine et Nauplie ».

Notes
92.

Antoine Proust., Un hiver à Athènes de 1857, Athènes, éditions Irmos, 1990, p.32, 35, 76-77, 79.

93.

Edmond About, p.163.