B. L’âge au premier mariage

L’âge au premier mariage192 est une des informations les plus importantes pour la démographie historique193. Les âges déclarés au Service de l’Etat Civil représentent plutôt l’image que les gens ont d’eux-mêmes au moment où ils se déclarent. E. About écrit en 1854 :

‘« Un nombre assez important de la population athénienne ignore son âge. A chaque fois que nous demandons à Petros quel âge a t’il, il répond sans gêne : « Ma mère l’avait noté quelque part, mais a perdu le papier ». Quel bonheur, cette ignorance, qui permet de vivre leur jeunesse de manière effrontée. Lorsque Petros est allé prendre les passeports pour ses jeunes patrons et pour lui-même, il leur donnait à l’un 35 ans, à l’autre 40 et à lui-même il se donnait l’âge heureux des 25 ans »194. ’

Maurice Garden et Eugénie Bournova concluent dans leur article sur la Crète au début du XXe siècle « (…) les populations méditerranéennes sont encore indifférentes à cette notion d’exactitude ou de précision en ce qui concerne l’âge. Dans des pays où il n’y a pas de documents d’identité, pas d’état civil laïc, l’âge est une apparence, plus ou moins vraie, plus ou moins connue par l’entourage, peut-être même par l’individu lui-même »195.

A Athènes l’âge moyen au premier mariage est assez élevé, surtout chez les hommes. Malheureusement la qualité de nos sources ne nous permet pas d’examiner plus en détail –par décennie par exemple- la période que nous étudions et nous ne pouvons pas déterminer l’évolution d’une certaine tendance : l’information sur le rang du mariage commence à apparaître systématiquement après 1896. L’âge moyen au mariage à la fin du XIXe siècle et au début du XXe est de 33 ans pour les hommes et de 24 ans pour les femmes.

A Milan196 lors de la première moitié du XIXe, les hommes se marient pour la première fois vers les 30.4 ans et les femmes vers les 26.4 ans. (D’ailleurs, la moyenne d’âge au premier mariage a tendance à augmenter lors de cette période, tant pour les hommes –de 29 à 31 ans- que pour les femmes –de 24 à 27 ans. A Paris, à la fin du XIXe siècle, l’homme se marie en moyenne pour la première fois à 28.6 ans et la femme à 25 ans197. Nous pouvons donc dire qu’à Athènes -en comparaison avec les deux exemples précédents- les hommes se marient à un âge plus avancé et les femmes se marient plus jeunes. Il semble que les hommes trouvent assez tard l’aisance financière qui leur permette de fonder une famille.

Pour la Grèce du XIXe siècle nous disposons des informations sur deux îles : Dans l’île de Syros198 et pendant la période 1845-1853, l’âge moyen au premier mariage était les 28 ans pour les homes et les 20 ans pour les femmes. En 1873 dans l’espace urbain de l’île de Leucade199 les âges moyens au premier mariage étaient conformemnt les 31 et les 24.5 ans. Quelques décennies plus tard, pendant les années 1910, dans la ville de Volos, l’âge moyen au premier mariage était pour les homes les 32 ans et pour les femmes les 24 ans200 tandis que dans l’île de Paros201 était 29 et 24 conformement. Lors de la période 1929-1950, dans le milieu rural202, les hommes se marient pour la première fois à 31 ans et les femmes à 25 ans. Dans le Dème voisin, Egaleo203, lors de la période 1934-1944, les hommes se marient pour la première fois à 29 ans et les femmes à 24 ans. L’âge de la femme au premier mariage tourne presque toujours autour de la même valeur alors qu’il se passe le contraire pour les hommes. Ce fait est peut être révélateur d’une réalité financière différente au sein de la capitale.

La différence d’âge entre les époux est plus importante que nulle part ailleurs, même à Athènes au XXe siècle. Pour la totalité des actes la différence d’âge moyenne est de 9 ans204. A Milan, lors de la première moitié du XIXe siècle, la différence d’âge moyenne est de 4.8 ans et d’ailleurs cette différence peut être déjà considérée comme importante vu que le reste de l’Italie présente une différence d’âge moyenne de 3.8 ans en 1861 et de 4 ans en 1881205. C’est une différence d’âge qui déjà depuis le début du XXe siècle a tendance à diminuer : en 1901 la moyenne de la différence d’âge entre les époux milanais et de 3.6 ans. Athènes semble donc être un cas bien particulier.

Tableau 16 : Groupes d’âge au mariage entre célibataires, 1896-1910
Femmes
Hommes -20 21-24 25-29 30-34 35-39 40+ Total %
-20 5 1 0 0 0 0 6 0.4
21-24 75 53 3 0 0 0 131 8.6
25-29 150 199 64 2 1 0 416 27.4
30-34 96 198 122 14 3 2 435 28.7
35-39 37 103 123 28 9 1 301 19.8
40+ 4 39 81 56 34 15 229 15.1
Total 367 593 393 100 47 18 1.518 100.0
% 22.9 39.1 25.9 6.6 3.1 1.2    

Source: Actes de mariages de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel

La différence des comportements selon les sexes et les différentes tranches d’âges est incontestable. 62% des femmes sont déjà mariées avant 25 ans alors que seulement 9% des hommes de moins de 25 ans le sont. Ceux-ci se marient, dans la plupart des cas (64%), après 30 ans. Les couples appartenant à la même tranche d’âge (maximum 5 ans de différence) sont rares : nous en avons rencontré 11% ; nous avons rencontré 13 mariages où l’épouse est plus âgée que l’époux (1%). Vu que nous savons que le comportement démographique des ménages dépend en grande partie de l’âge de la femme au moment de son mariage206 et que celui-ci influence par ailleurs le nombre d’enfants mis au monde, nous nous attendrions à un nombre plus important de naissances légitimes. Pour la période 1860- 1889 V. Valaoras207 estime le taux de natalité en Grèce à 40‰ ; dans les statistiques du mouvement annuel de la population 208 il est transcrit pour la période 1870-1880 que la natalité à Athènes209 ne s’élève qu’à 20‰! A Berlin210 à la fin de la décennie 1870 le taux de natalité est de 42‰ alors qu’au début du XXe siècle il baisse pour atteindre les 25‰. Il est notable que le taux de natalité en Grèce est assez important au cours de cette période211.

La forte différence d’âge des conjoints explique certainement l’augmentation de la population des veuves. D’autres questions importantes surviennent de ce fait : à quel point est-il facile pour une veuve de se remarier et –si elle se remarie- à quel âge le fait-elle ? Est-il encore possible pour elle de faire des enfants ? Nous essaierons de proposer quelques hypothèses dans un chapitre suivant.

Il est intéressant de croiser l’âge au premier mariage212 avec l’année de naissance des individus.

Tableau 17 : Age moyen au premier mariage selon le sexe et l’année de naissance. Mariages célébrés entre 1896 et 1910
Décennie de naissance Effectif des mariages Age moyen hommes Effectif des mariages Age moyen femmes Ecart
1851-60 162 44.4 15 40.7 3.7
1861-70 546 35.7 113 33.0 2.7
1871-80 764 29.2 770 25.0 4.2
1881-90 132 24.6 714 21.4 3.2
1891-95     30 17.5  
Total 1.634 33.0 1642 24.0 9.0

Source: Actes de mariages de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Nous sommes persuadés que lors des années 1850 l’âge au mariage n’était ni 44 ans pour les hommes, ni 40 ans pour les femmes. Par ailleurs l’âge au mariage en 1860 est plus élevé que celui que nous avons calculé. Aussi, comme nous le verrons plus bas, la moyenne d’âge au décès pour les hommes lors de la décennie 1860 est de 25 ans. Nous pouvons donc supposer qu’il s’agisse de mariages qui ont été enregistrés lors de la période 1896-1910 mais qui ont été effectués auparavant ; l’âge enregistré est finalement celui déclaré par les époux au moment où ils sont allés enregistrer leur mariage. Mais vu qu’il est impossible de corriger de manière arbitraire les données, nous nous limitons donc à mentionner ce problème de l’âge avancé au premier mariage.

Notes
192.

Selon le Code Civile (article 1.350), pour se marier, l’homme doit avoir 18 ans et la femme 14 ans.

193.

En effet il influence la natalité possible, au moins dans le cadre de la famille légitime. Cependant les données que nous possédons pour Athènes provenant des Statistiques annuelles du mouvement de la population sont lacunaires ; en plus, elles ont été remises en cause par les chercheurs. Maurice Garden, Eugénie Bournova, 2005. Sinon, les actes de mariage du Service de l’Etat Civil présentent, elles aussi, des lacunes importantes. Par conséquent nous ne nous pencherons que sur les données qualitatives que nous rencontrerons lors du dépouillement des actes de mariages du Service de l’Etat Civil ; nous espérons que dans le futur des réponses complémentaires seront données.

194.

Edmond About, La Grèce contemporaine, Athènes, éditions Tolidi, p.141.

195.

Maurice Garden, Eugénie Bournova, « Compter les Crétois ou avoir vingt ans en Crète en 1900 » in L’ouvrier, l’Espagne, la Bourgogne et la vie provinciale. Parcours d’un historien. Mélanges offerts à Pierre Ponsot, Madrid, Casa de Velázquez et PUL, 1994, p.399.

196.

Olivier Faron, La ville des destins croisés. Recherches sur la société milanaise du XIX e siècle (1811-1860), Rome, 1997, p.352.

197.

Maurice Garden, « Mariages parisiens à la fin du XIXe siècle : une micro – analyse quantitative », in Annales de Démographie Historique, 1998, p.111 – 133.

198.

Yannis BAFOUNIS, « Les mariages à Hérmoupolis (1845-1853) ». Les phénomènes démographiques d’une ville moderne pendant le grec XIXe siècle », in Revue Mnimon 1983-1984, Vol. 9, p.217.

199.

Matoula TOMARA-SIDERI ; Nikos SIDERIS, Constitution et succession de générations en Grèce du XIX e siècle. La chance démographique de la jeunesse, Athènes, Secrétariat général de nouvelle génération, 1986, p.160.

200.

Ntina MOUSTANI, « Les livres paroissiaux et les paroissiens de Agios Konstantinos de Volos : Essai de reconstitution des familles (1913-1922) », Intervention dans le Congrès international d’histoire économique et sociale. Quêtes théoriques et enquêtes empiriques. Rethymnon décembre 2008. Consultable sur http://www.hdoisto.gr/synedrio/contributions.asp?l=2.

201.

Vasilis S. GAVALAS, « Family formation and dissolution in an Aegean island », in Journal biosoc. Sci., 2004, p.2-3.

202.

Eugénie Bournova, Démographie historique et histoire du quotidien. A Rapsani de 1900 à 1950, Athènes, éditions Plethron, 1995, p.33.

203.

Ε. Bournova, De Nouvelles Kidonies à la ville d’Egaleo. La construction d’une ville au XX e siècle, Athènes, éditions Ville d’Egaleo et Plethron, 2002, p.55.

204.

A Lyon au XVIIIe siècle la de différence d’âge moyenne est d’un an et demi alors qu’à Rouen –lors de la même période- la différence d’âge de plus de deux ans n’est rencontrée que chez l’élite de la société. Maurice Garden, Lyon et les Lyonnais au XVIII e siècle, Paris, 1970, p.91, Olivier Faron, 1997, p.356.

205.

Olivier Faron, 1997, p.355.

206.

Maurice Garden, 1970, p.91.

207.

Vasilios G. VALAORAS, 1960, p.115–139.

208.

Cependant nous ne sommes pas convaincus de la véracité des renseignements trouvés dans les statistiques du mouvement annuel de la population.

209.

M. Garden, E. Bournova, 2005.

210.

Jean – Luc Pinol, Le monde des villes au XIXe siècle, Athènes, éditions Plethron, 2000, p.191.

211.

En Allemagne et en Suisse entre 1875 et 1880 le taux de natalité dans les villes est de 41‰, en Italie pour la période de 1862 à 1891 il est de 37.2‰ alors qu’en France, en 1850 en pleine période de recul démographique, le taux de natalité n’atteint même pas 30‰. Jean –Luc Pinol et François Walter, La ville contemporaine en Europe, Tome I Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Athènes, éditions Plethron, 2007, p. 98. Jacques Houdaille, « Histoire de la fécondité en Italie », Population, 33e année, No. 4/5 (Jul – Oct, 1978), p.1019–1025. Jean – Luc Pinol, 2000, p.190.

212.

Nous rappelons que les informations sur le rang du mariage apparaissent de manière systématique à partir de 1896. L’année de naissance a été calculée grâce à l’âge déclaré à l’Etat Civil.