F. Le second mariage

Nos sources (recensements, statistiques annuelles du mouvement de la population, actes du Service de l’Etat Civil) ne nous renseignent pas sur la raison des dissolutions des mariages : s’il s’agit du divorce ou du décès d’un des deux conjoints. Nous ne pouvons qu’être témoin du fait –grâce aux actes de mariages du service de l’Etat Civil- qu’ils se remarient. A Milan224 la cause principale de séparation (62% pour la période de 1800 à 1860 et 69% pour la période 1850-1899) est le décès de l’époux ; O. Faron attribue ce phénomène à la grande différence d’âge des conjoints qui s’élève à plus de 5 ans. A Athènes cette différence est presque double et les divorces ne sont pas une pratique très répandue au XIXe siècle ; nous considérons donc que le décès du mari doit être la raison principale de la rupture du mariage. Dans le recensement de 1879 il n’y a pas de données concernant les divorces. Sauf si ce type d’information est caché derrière la mention mystérieuse « Non vérifié » lorsqu’il s’agit de renseigner la situation familiale des Athéniens. Dans le tableau publié du recensement de 1907, les divorcés ne comptent que 552 personnes, ce qui fait moins de 0,3% de la population du dème. Dans nos archives on relève 10 divorces aux archives, dont les trois sont accompagnés des décisions du tribunal et (pour 2 des 3) par une décision de l’évêque qui parle d’un mariage spirituellement déchiré (1906) et de divorce ecclésiastique (1908). Dans les trois cas rencontrés la demande de rupture du mariage est déposée par le mari : dans deux de nos cas la femme est accusée d’avoir abandonné le domicile conjugal et la troisième d’adultère. Le mariage le plus bref sur les 10 rencontrés est celui de I. E. et A. P. ; Ils se sont mariés en janvier 1883. Un an plus tard il est noté dans l’instance de divorce :

‘Un bon dimanche, l’épouse a nettement et catégoriquement refusé de suivre son mari vers leur domicile familial. A cette époque elle habitait chez son père au Pirée avec comme excuse la visite de ses parents. Son mari l’a attendu jusqu’au 11 février 1884. Puis il a demandé à ses amis D. P. et A. Z. d’aller prier l’épouse, de sa part, de revenir. Ces amis n’ont pas trouvé sa femme chez sa mère mais chez sa tante, K. H. B. Lorsqu’ils lui ont demandé de retourner chez son mari, elle refusa. Vu que cet essai échoua l’époux demanda la rupture du mariage et exigea à ce que les démarches légales soient effectuées. ’

Le tribunal proclama le mariage dissous en janvier 1885. Le mariage le plus long rencontré (22 ans) est celui de K. A., 26 ans, porte drapeaux de l’armée de mer et F. M., 25 ans. Tous deux étaient originaires d’Athènes et il s’agissait pour tous les deux de leur premier mariage.

On rappelle que selon les tableaux publiés des recensements de la période étudiée les veufs représentent environ 2% de la population athénienne alors que les veuves entre 12 et 14% . Ces données prouvent qu’à Athènes les veufs se marient plus facilement que les veuves et que les hommes meurent plus tôt.

Tableau 23 : Veuvage et Remariage
Femmes
Hommes 1 er mariage 2 ème mariage 3 ème mariage Total
1 er mariage 0 107 2 109
2 ème mariage 124 28 0 152
3 ème mariage 1 1 0 2
Total 125 136 2 263

Source: Actes de mariages de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel

Le veuvage ne semble pas être un obstacle à un deuxième ou, plus rarement, à un troisième mariage : 9% des hommes et 8% des femmes (sur le total des actes où nous avons des renseignements sur le rang de mariage)se remarient. D’ailleurs la différence d’âge entre les deux époux reste importante : elle s’élève à 10 ans ! L’âge moyen au deuxième mariage est de 42 ans pour les hommes et de 32 pour les femmes225. Il semble donc que la femme, lorsqu’elle se remarie, soit encore à un âge lui permettant de faire des enfants.

Les deuxièmes et troisièmes mariages concernent surtout les personnes employées par un Corps de la Sécurité (30%), puis les fonctionnaires (15%) et les hommes qui exercent quelque haute profession libérale (15%). Les catégories qui ne sont pas du tout concernées par les seconds mariages sont les rentiers, les marins et les marchands ambulants. Et bien sûr, les clercs et les étudiants (même si ces derniers effectuaient un deuxième mariage nous ne les retrouverions pas en tant qu’étudiants). Nous pouvons donc affirmer que le 2ème et le 3ème mariage est indépendant de la catégorie socioprofessionnelle de l’époux226.

Les actes de mariage conservés à la ville d’Athènes ne constituent pas un échantillon statistique puisque à part le petit nombre, ils semblent concerner certains groupes socioprofessionnels de la population athénienne. On est donc très prudent en ce qui concerne les hypothèses avancées suite au traitement statistique de ces actes de mariage.

En ce qui concerne les hommes, l’âge au premier mariage est particulièrement élevé (en comparaison avec celui dans d’autres villes européennes), preuve d’une réalité économique différente à la capitale. Les hommes qui travaillent dans l’administration publique et dans la force publique semblent être ceux qui retardent le plus leur premier mariage. Suivent les hommes qui appartiennent à l’élite athénienne : ceux qui exercent une profession libérale, les banquiers, les rentiers etc. Bien sûr, c’est logique que ces hommes soient mariés à un âge avancé : la profession qu’ils exercent exige des études universitaires ou la formation d’un capital important. Les couches populaires au contraire, les ouvriers et les colporteurs, se marient à un âge nettement plus bas.

Enfin, Athènes se présente en tant qu’une ville qui permet l’intégration facile des immigrés : la différence d’âge au premier mariage entre un immigré et un Athénien diffère d’un an seulement. Le pourcentage élevé des mariages mixtes - 45% (c’est-à-dire des mariages entre un immigré et un Athénien), semble confirmer notre hypothèse.

Notes
224.

O. Faron, 1997, p.370.

225.

A Milan en 1861, l’âge moyen de l’homme lorsqu’il se remarie est de 47 ans alors que la femme a 31 ans à son second mariage. O. Faron, 1997, p.374.

226.

Le même phénomène est observé à Milan, O. Faron, 1997, p.380.