B. Les contrats de mariage athéniens

1. La représentativité de la source

Il est difficile d’évaluer le nombre de mariages accompagnés d’un contrat de mariage239 puisque seulement un petit nombre de mariages ont été enregistré au Service de l’Etat Civil d’Athènes. Nous savons cependant que 94% des contrats de mariage rédigés par Vouzikis concernent des mariages qui n’ont pas été enregistrés au Service de l’Etat Civil.

La coutume de la dot240, bien qu’elle concerne l’ensemble de la société, ne fait que rarement objet de contrat en présence de notaire. Elle est en principe un transfert241 de bien(s) mobilier ou immobilier sur parole. Les biens immobiliers sont transférés en présence de nombreux témoins lors des fiançailles (cérémonie familiale qui a comme but de se prononcer sur la valeur de la dot) ou, le plus souvent, la semaine avant la célébration du mariage. Les biens immobiliers sont transmis sur parole en présence des témoins, aussi bien juste avant le mariage qu’après, selon l’accord passé. Cet accord sur parole est pratiqué, pas seulement au XIXe mais aussi pendant tout le XXe siècle et il est reconnu de l’Aréopage.

Notons que la Grèce ne possède pas encore de Cadastre et que presque le tiers242 de transferts des biens se fait jusqu’aujourd’hui sans titre de propriété. En cas de recours à la justice le fait de justifier - par des témoins toujours - le droit de l’usucapion243 règle le problème du manque de titre.

Tableau 24 : Nombre de contrats de mariage dans le fond d’archives de D. G. Vouzikis
Année Contrats Actes de Mariage –état civil Nombre de mariages précédés par un contrat de mariage
1887 8 39  
1888 15 73 1
1889 10 87 1
1890 9 69 2
1891 18 69 1
1892 1 60  
1895 1 77  
1897 1 48  
1900 1 137  
1902 1 146  
1903 3 155  
1904 1 129  
1905 7 141 1
1906 8 139 1
1907 11 124 1
1908 7 93  
1909 7 123 1
Total 109 1.709 9

Source : Fond d’archive de D. G. Vouzikis. Dépouillement personnel.

Dans la société athénienne du XIXe siècle, où le travail salarié n’est pas très répandu chez les femmes, il est de règle que les hommes « exigent » une dot. La dot était tellement importante dans cette société, que nous avons trouvé des contrats dans les archives de Vouzikis où des parents mettaient leurs filles au service de familles athéniennes en tant que servantes afin qu’elles puissent constituer une dot245. Mais comme le dit Dimitris Gerondas dans l’Histoire d’Athènes sous l’Empire Ottoman, où il décrit les traditions de la société athénienne :

‘« Perception grecque, stable et ancrée est que si une femme se marie sans la dot qui lui correspond ceci pèsera sur elle car elle occupera dans le futur, en tant que femme, une place moins importante au sein de la famille »246. ’

Selon D. Gerontas il existait jusqu’en 1821 à Athènes l’habitude d’accompagner les trousseaux par un document rédigé en présence d’un notaire. Dans plusieurs cas cependant des mariages ont été célébrés et des dots ont été délivrées en se basant sur le « xofilli » une sorte d’inventaire où la personne qui constituait la dot enregistrait en détail tout ce que celle-ci comportait247. L’inventaire manuscrit est une liste de forme similaire, souvent mentionnée dans le contrat de mariage comme une liste qui est conservée par les contractants et où sont notées -le plus souvent- les biens mobiliers faisant partie de la dot. L’accord sous seing privé (même si la loi soulignait que seuls les contrats de mariage notariés étaient valables)248 était donc une autre forme de réaliser le transfert du trousseau dont la liste exhaustive était difficile de s’en rappeler même si elle avait fait l’objet de fortes négociations.

Cependant, Edmond About écrit au milieu du XIXe siècle pour Athènes :

‘« Même si les mariages sont célébrés de manière assez frivole à la campagne, il ne se passe pas la même chose en ville. Le séjour à Athènes habitue les esprits à la spéculation : Lorsque de nouvelles dépenses apparaissent devant toi, il faut que tu prévoies plus de gains. Un jeune homme ne demande pas uniquement la femme mais aussi la dot. Malheureusement les dots sont moins nombreuses que les femmes. Une fille qui a 6.000 francs en liquide et qui a l’habitude de porter des plumes n’est pas une affaire frivole » 249.’

Notes
239.

D. Psyhoyos dans son étude sur la municipalité de Myrtountion, bourg du Péloponnèse, conclut que pour la période de 1857 à 1905 les contrats de mariage sont signés dans seulement 3% des mariages célébrés. Dimitris Psyhoyos, Economie et famille dans la Grèce agricole du XIX e siècle, Athènes, Centre national des recherches sociales, 1987, p.174. Dans Rapsani, un bourg en Thessalie, pour la période 1929-1946 les contrats de mariage sont signés dans 6,4% des mariages célébrés. Eugénie Bournova, 1995, p.73.

240.

Professeur Aglaia KASDAGLI a récemment (2001-2004) dirigé une recherche très importante sur les contrats de dot passés devant un notaire. Le but de ce programme était le repérage et l’enregistrement de contrats de dot dans des différentes régions de Grèce pour la période 1500 – 1830 et la construction d’une base de données électronique. On attend avec impatience les résultats de cette recherche.

241.

Pendant les années 1980 et 1990, de nombreuses recherches ont été faites sur l’histoire de la famille, la constitution de la dot et la dévolution des biens, surtout par des anthropologues. Ces études concernent surtout l’espace rural et les îles pendant les XIXe et XXe siècles mais aussi pendant des périodes antérieures. A titre indicatif on note les recherches de E. KALPOURTZI et de A. KASDAGLI sur les sociétés maritimes pendant le XVIIe siècle, de I. Beopoulou sur le village Trikeri de Pélion, de M. COUROUCLI sur le village Episkepsi de Corfou pendant le XIXe siècle, de DASKALOPOULOU-CAPETANAKI sur les villages autour de Kalabrita en Péloponnèse pendant le deuxième moitié du XIXe siècle, de R. CAFTANZOGLOU sur le village de Syrrako en Epire pendant la période 1850-1930, de S. PETMEZAS sur le village Zagora du Pélion pendant la période 1750-1850, de E. FRIEDL sur le village de Vassilika en Eubée ou de J. CAMPBELL sur les Sarakatsani des années 1950, de B. VERNIER sur l’île de Karpathos ou de M. E. KENNA sur l’île de Anafi des années 1930. Pour l’espace urbain et surtout pour la capitale grecque, on ne dispose que le travail de P. SANT-CASSIA et C. BADA sur Athènes du XIXe siècle. Le but de ce chapitre n’est pas d’étudier la famille athénienne et ses structures. D’ailleurs, les sources existantes sur la capitale grecque ne me permet pas une telle étude. Dans ce chapitre je présente les 100 contrats de dot repérés dans le fond d’archives du notaire. Bien sûr je ne peux pas arriver à des conclusions définitives à partir de cet échantillon. Pourtant, par cette présentation je veux montrer les différences essentielles entre les contrats de mariage français et les contrats de dot grecs en tant que source pour l’histoire sociale. D’autre côté, j’espère que cette présentation constitue un premier stimulus pour une éventuelle étude sur la pratique de dot dans l’espace urbain grec à la fin du XIXe siècle.

242.

On saura la proportion exacte lors de l’achèvement de la procédure d’enregistrement des biens dans le Cadastre.

243.

Le Code Civil de 1946 définit la période en 20 ans.

244.

Rappelons que le dépouillement de cette base de données touche les années 1885-1891 et 1905-1909.

245.

De manière indicative : Acte notarié n° 4.642 du 18 mars 1891.

246.

Dimitrios A. Gerontas, Histoire d’Athènes sous l’Empire Ottoman . Deuxième période 1687-1821, Tome D’, Athènes, éditions Palmos, 1995, p.437.

247.

Dimitrios A. Gerontas, 1995, p.438. Le xofilli était délivré au mari avant le mariage, afin q’il connaisse le contenu de la dot. Par la suite la valeur de la dot était décidée. Si les deux familles étaient d’accord, ils appelaient le notaire pour valider la dot. Beaucoup de mariages cependant ont été célébrés, et beaucoup de dots attribuées, sans l’intervention du notaire. Le notaire n’intervenait que dans le cas où régneraient des doutes concernant l’entente future des deux parties.

248.

Arrêt No 600 (1904), Thémis, 1905, p.624.

249.

Edmond About, p.141.