3. Les contractants

Les contrats de dot qui sont rédigés le jour même du mariage sont peu nombreux (19%). La plupart des contrats (57%) sont rédigés entre 1 an et 2 jours avant le mariage. Enfin, le quart des dots concerne des cérémonies célébrées de 3 semaines à 20 ans après le mariage ! En effet, dans ces cas le responsable de la dot l’avait promise lors du mariage mais n’avait pas encore rédigé de document notarié. Nous avons aussi rencontré des cas où le contrat de mariage est effectué bien après la cérémonie dans le but d’y ajouter quelque nouvel objet à la dot. Nous avons rencontré un cas particulier : le mari, afin de recevoir la dot, a attendu pendant un an sans la mariée (en faisant du chantage) :

‘« Ioannis T. et Victoria, épouse de Ioannis T., en septembre 1890, ont donné leur fille Marigo en premier mariage à Spiridonas S. (commerçant dans la peinture à l’huile), pour son premier mariage aussi. […] Pour qu’il finisse par prendre Marigo, qu’il n’avait pas acceptée lors du mariage, ils lui ont donné les vêtements qu’ils lui avaient promis, d’une valeur de 3.700 drachmes »252

En règle générale en Grèce les contrats de dot sont toujours faits entre la famille de l’épouse253 et le futur époux. La plupart des fois c’est le père, exclusivement, qui offre la dot. Il y a cependant des cas où les deux parents donnent la dot ; chacun d’eux offre la partie de la fortune qui lui revient de sa propre famille254. Il y a même un cas où la mère –avec le père qui est encore en vie- est enregistrée comme personne qui offre la dot. Il s’agit d’Angéliki, épouse de Stéphanos D. M.255 (ex-proviseur et maintenant retraité), qui réside 30 rue Kolokinthous. Angéliki, pour donner sa fille Cléopâtre en premier mariage au médecin Alexandros P. T., offre une dot de 3.000 drachmes (97₤256). Comme D. Gerondas257 le note d’ailleurs, lors de l’empire ottoman selon le droit coutumier Athénien l’habitude était que les deux parents dotent leurs enfants. Ce devoir était indépendant et distinct de celui du père258. Il semble que cette tradition est conservée tout au long du XIXe siècle.

Si le père est décédé c’est la mère et/ou le frère qui intervient. Rarement, d’autres personnes constituent la dot, comme un oncle ou un parrain. Dans les trois cas la personne constituante la dot est la mère restée veuve et ses enfants, dont la future mariée. Ils offrent à l’époux une partie de leur héritage qui vient du père259.

Dans 16 autres contrats trouvés, la future mariée est celle qui offre la dot à son futur époux. Nous savons qu’un père n’a aucune obligation de constituer une dot à partir du moment où la fille possède déjà sa propre fortune. Ce cas est observé lorsqu’elle est héritée après le décès de l’un de ses parents –ou de ses deux parents- ou sinon dans le cas où elle en serait à son deuxième mariage, ce qui fait que sa dot lui a été retournée après la rupture du premier mariage. Elle peut aussi hériter de son époux si ce dernier l’a désignée comme héritière dans son testament. Nous rappelons que les époux ne sont pas compris dans la catégorie des héritiers ab intestat. Très rarement, c’est la mariée qui constitue sa propre dot en travaillant. Enfin, nous connaissons quelques cas où les femmes se sont occupées d’un membre de la famille qui n’a pas de descendants et ceux ci leur léguaient une certaine fortune par héritage ou par don s’ils étaient encore en vie.

Sophie, fille de P. K.260, pour épouser le professeur Nicolaos A. en 1891 lui donne comme dot un piano d’une valeur de 1.300 drachmes (40₤), des vêtements, des objets utiles à la maison et des bijoux d’une valeur de 11.000 drachmes (339₤) et une maison au centre commercial de la capitale, au croisement des rues Evripidou et Praxitelous d’une valeur de 67.700 (2.088₤). Cette maison, de 380 m2, a été obtenue par héritage après le décès de son père, par donation de sa mère Roza et par échange entre elle, sa sœur Thérèse épouse de Ioannis S. R. et ses frères Nicolaos et Constantinos en 1888 et 1891.

Dans quatre des cas rencontrés, lorsque c’est la mariée qui offre la dot, il s’agit d’un deuxième mariage. Eleni, épouse donc d’Ioannis P., sage-femme, constitue sa dot et offre à son mari Ioannis, ouvrier, huit ans après leur mariage, une maison dont la valeur n’est pas estimée, d’environ 400 m2, dans le quartier de Pitharadika (à côté du Pedio tou Areos (Champ de Mars). Cette maison lui avait été donnée en tant que dot par sa mère lors de son premier mariage vingt ans auparavant261. Aspassia, veuve de Nic. K., trois jours avant son mariage avec Stephanos T., commerçant, lui offre comme dot de différentes prétentions financières et une maison dans la rue Evagelistria. Elle déclare avoir obtenu ces biens après le décès de son mari262. Dans les deux autres cas, les futures mariées offrent beaucoup moins : l’une donne de l’argent en espèce et l’autre des vêtements et des meubles. Le moyen de leur obtention n’est pas mentionné263.

Le cas de Apostoliki A., domestique, est assez intéressant. Le 14 juin 1889 elle signe deux contrats chez Periklis P., médecin, à la rue Agiou Konstantinou, à côté de la place Amoussias. Les contractants, dans le premier de ces contrats, sont elle-même et Periklis P. :

‘« ...Apostoliki A. a été employée chez son parent Periklis P. en tant que domestique du 1er janvier 1883 jusqu’au jour d’aujourd’hui, c’est à dire pour une durée de 6 ans, 5 mois et 15 jours, avec 25 drachmes pour salaire mensuel ; elle doit donc recevoir 1.950 drachmes en tout. Elle a été payée 600 drachmes il y a quelques temps, et a reçu encore 600 drachmes en espèce aujourd’hui, devant moi. Elle recevra les 750 drachmes qui lui sont dues dans un an à partir d’aujourd’hui, sans intérêts, mais si cette somme ne lui ai pas été donnée après ce délai, avec des intérêts pour le retard. Par ailleurs, pour montrer sa gratitude et congratuler le comportement exemplaire d’Apostoliki, Periklis P. lui offre 150 drachmes, qu’elle recevra en même temps que les 750 drachmes... » 264.’

Dans le contrat qui suit le deuxième contractant est Marcos S., aubergiste, habitant d’Athènes, qui est par ailleurs le futur époux d’Apostoliki.

‘« (Apostoliki) dans le but d’agir selon les lois saintes et divines de l’Eglise Orthodoxe, pour se marier en premier mariage légal avec Marcos S., pour lequel il s’agit du deuxième mariage légal, dimanche prochain, le 18 juin 1887, elle transfère et offre en tant que dot à son futur mari, Marcos S. 1) des vêtements, des meubles et des ustensiles d’une valeur de 600 drachmes 2) 600 drachmes en espèce, qu’elle a compté devant lui 3) concède et transfère la somme de 900 drachmes qui lui sont dus par Periklis P. » 265 .’

Nous ne pouvons pas savoir pourquoi dans le reste des contrats les femmes apparaissent seules. Nous savons que le père d’Ilektra T.266 est décédé. Mais elle déclare avoir acheté le bien immobilier qu’elle concède comme dot à Giorgos D., employé du Ministère des finances lors d’une enchère publique. Le fait qu’elle offre des actions nous laisse supposer qu’elle les a héritées de son père. La valeur totale de sa dot est une de plus importantes passées devant Vouzikis. Nous pouvons par ailleurs supposer qu’Eleni A.267, qui se déclare « couturière », rassemble sa dot grâce à l’argent qu’elle gagne de son métier.

Nous ne savons rien des autres mariées, sauf qu’elles déclarent comme occupation « au foyer » ou « sans occupation » et qu’elles offrent toujours pour dot de l’argent en espèce et quelques objets. Ces dots ont une petite valeur (la moins prestigieuse étant d’une valeur de 48₤ et la plus prestigieuse, de 134₤). Enfin, les hommes qui épousent ces femmes sont le plus souvent des artisans (forgeron, cordonniers) mais proviennent aussi de couches sociales modestes (charretier, maçon…) S’agit-il de femmes orphelines, qui n’ont pas de frères pour leur constituer une dot ? Dans un guide de la ville en 1860, nous lisons :

‘« Aujourd’hui, au Amalio (Il s’agit d’un orphelinat pour les filles) [...] existent 100 filles orphelines de 6 à 14 ans [...] Lorsqu’elles quittent l’institution elles peuvent travailler en tant que servantes au sein d’une famille honnête ou épouser quelque jeune ouvrier. Elles peuvent lui offrir en tant que dot ce qu’elles ont gagné de leurs ouvrages manuels qu’elles ont confectionnés lors de leur séjour au sein de l’orphelinat » 268 . ’

S’agit t’il d’immigrées, apparemment de servantes, célibataires, à Athènes ? D’habitude, après le mariage, les femmes qui étaient servantes cessent de travailler. Dans 4 des contrats de mariage, les parents de la femme déclarent en tant que lieu de résidence des régions lointaines d’Athènes (Syros, Santorin, Sparte, Lévadie).

Il y a aussi de rares contrats où c’est le mari qui offre la dot. Mais il s’agit de mariages qui ont eu lieu dans le passé. Souvent, le mari a vendu la dot de son épouse « pour son propre bénéfice » et il procède au contrat pour la remplacer et pour la rendre à l’épouse. Dans ces cas, nous ne savons pas s’il s’agit d’un échange équitable. En 1887, le boucher Ilias K. admet que sa femme lui avait offert comme dot 5.835 drachmes, sans qu’ils aient signé de contrat de mariage. Ils procèdent donc maintenant à la rédaction du contrat afin que cette somme lui soit rendue car il l’avait déjà dépensée. Cependant, Vassiliki a reçu cette somme après le décès de son mari269 ! Apparemment, ces couples n’ont donc pas rédigé de contrat de mariage mais le mari a tout de même reçu la dot de la part de la famille de la mariée. Des pressions de la part de l’entourage familial de la mariée, la non-existence d’héritiers, des faux mouvements financiers du mari sont souvent les raisons qui poussent le mari à payer un notaire afin que la fortune de la mariée soit définie officiellement.

Enfin, l’employeur de la jeune fille apparaît dans deux cas comme la personne qui constitue la dot. Dans ces cas la mariée est caractérisée fille adoptive. Les pères mettaient souvent en service leurs filles mineures en échange de la formation d’une dot par le patron. Il est mentionné dans certains des contrats que le patron sera responsable du placement de la jeune fille. D’après les contrats, cette dot était le plus souvent composée d’effets vestimentaires, de lingerie et d’ustensiles ménagers. Ce phénomène était répandu dans le vieil Athènes, cette dot était une « contre prestation, en récompense de son travail (de la jeune fille), souvent après de longues années »270.

Notes
252.

Acte notarié n° 5.144 du 31 août 1891.

253.

Seule exception les régions de la Grèce du Nord et le Magne (Péloponnèse) où c’était le système de brideprice ou bridewealth qui dominait. E. P. ALEXAKIS, Le prix de la fiancée, Athènes, 1985. C. CARAVIDAS, Agrotika, Athènes, 1977.

254.

De manière indicative : Acte notarié n° 22.973 du 18 avril 1908. Les époux Sideri et Christos P. (propriétaire) proposent à Konstantinos M., fabricant de cigarettes, pour son mariage avec leur fille Sophia : de la part du père, des trousseaux d’une valeur de 1.500 drachmes, un terrain dans le quartier de Petralona d’une valeur de 1.200 drachmes, une maison dans le même quartier d’une valeur de 3.000 drachmes et un bout de terrain cultivable dans le hameau Kandili d’Athènes, d’une valeur de 250 drachmes. Les deux premiers biens immobiliers viennent d’un achat qu’il a fait en 1877 et la parcelle lui revient de sa mère par héritage. De la part de la mère, deux stremmes (0,2 hectares) de vignobles avec des oliviers dans le hameau Palia Peronia d’Athènes d’une valeur de 2.000 drachmes, qui lui vient de sa dot, qu’elle a obtenue en 1873.

255.

Acte notarié n° 583 du 30 mai 1886.

256.

Pour l’évolution de la valeur de change entre la drachme et la livre pendant le XIXe siècle, voir annexes, Tableau 8, p.349.

257.

D. A. Gerontas, 1995, p.430-431.

258.

Ceci allait à l’encontre du droit romain et des six livres d’Armenopoulos, qui obligeaient la mère à présenter une dot uniquement dans des cas exceptionnels, comme nous l’avons remarqué plus haut.

259.

Actes notariés n° 1.301 du 3 mars 1888, n° 4.530 du 4 janvier 1891 et n° 4.572 du 2 février 1891.

260.

Acte notarié n° 5.481 du 30 novembre 1891.

261.

Acte notarié n° 860 du 27 septembre 1887.

262.

Acte notarié n° 1.589 du 20 juin 1888.

263.

Acte notarié n° 3.090 du 6 octobre 1889 et Acte notarié n° 4.574 du 21 février 1891.

264.

Acte notarié n° 2.656 du 14 juin 1889.

265.

Acte notarié n° 2.657 du 14 juin 1889.

266.

Acte notarié n° 5.556 du 28 décembre 1891.

267.

Acte notarié n° 20.914 du 16 janvier 1906.

268.

La nouvelle Athènes. Description résumée de la capitale grecque avec le départ des bateaux à vapeur, l’analogie des monnaies grecques vers celles qui sont étrangères etc., Athènes, éditions Α. Sakellariou, 1860. Re-publié par le service culturel de la mairie d’Athènes en 2001, p.46.

269.

Acte notarié n° 764 du 20 août 1887.

270.

D. A. Gerontas, 1995, p.435.