4. La valeur des dots

Pour cette présentation, nous avons gardé la valeur absolue des apports et non leurs valeurs moyennes. Comme Maurice Garden le note : « … Nous pensons que la valeur moyenne et les proportions par rapport à cette moyenne sont moins significatives que les différentes tranches de fortune, même s’il s’agit encore de chiffres qui ont surtout un intérêt comparatif, ce qu’il faut retenir c’est bien la valeur absolue de ces apports : une somme de 10 000 l. représente une certaine place dans la hiérarchie des fortunes, une dot de 300 l. une autre –mieux définie par son chiffre que par sa valeur relative par rapport à une moyenne »271.

Tableau 25 : 1887 - 1909: Répartition de la valeur des dots
  Apports au mariage Nombre total de contrats
N %
1 Jusqu’à 116.10 £ 42 41
2 116.11 - 464.41 £ 34 34
3 464.42 - 870.78 £ 25 25
  Total  101 100

Source : Fond d’archive de D. G. Vouzikis. Dépouillement personnel.

Afin de présenter la répartition de la valeur272 des dots, nous les avons séparées en trois catégories : la première tranche correspond aux salaires journaliers d’un ouvrier sans qualification dans l’industrie à la fin du XIXe siècle273 jusqu’à deux ans de travail, la deuxième correspond à plus de deux ans de travail jusqu’à 8 ans et la troisième à plus de 8 ans de travail. Notons ici que l’attribution d’une valeur à la dot est en réalité faite de manière arbitraire, sans mention d’estimation d’un expert. Aussi, la mention suivante accompagne tous les contrats en ce qui concerne les biens mobiles : « tous ces biens ont été évalués par les contractants entre eux ».

Tableau 26 : 1887 – 1909 : Composition de la dot selon sa valeur (%)
  Apports au mariage dont :
Valeur Trousseaux Liquide Biens immobiliers Donation d’époux Total
Jusqu’à 116.10 £ 37 26 32 5 100
116.11 - 464.41 £ 30 37 22 11 100
Plus de 464.42 £ 21 30 43 6 100
Valeur moyenne 29 31 32 7 100

Source : Fond d’archive de D. G. Vouzikis. Dépouillement personnel.

En ce qui concerne les dots de petite valeur, l’argent en espèce ne figure que dans très peu de cas. De même, il est très rare que les futurs époux contribuent en liquide lors de la constitution de la dot. Faute d’argent liquide, les parents essayent tout de même de garantir quelque bien immobilier et certains objets utiles au foyer. Bien entendu jamais de bijoux. En 1887, le commerçant Petros N. dote sa sœur Marigo afin qu’elle célèbre son premier mariage avec Michail M., tailleur, dans une semaine à partir de la signature du contrat. Les biens mobiliers qu’il offre sont :

‘« un duvet, deux couvertures, 5 paires de draps, 6 robes, trois douzaines de serviettes, 6 paires d’oreillers, 6 jupons, 4 nappes, de la lingerie, un matelas, un lit en fer, un coffre, une bassine, une marmite, 6 verres d’eau, 6 cuillères à soupe, 6 couverts, 6 verres pour le Raki, un vase pour les friandises, 6 tasses pour le café, deux vases pour la table, douze mouchoirs pour les mains, douze assiettes et un plat d’une valeur totale de 470 drachmes »274.’

Ces dots sont d’une petite valeur, mais dans 50% des cas, on offre un champ de culture quand on vient d’un village limitrophe275 ou une petite maison –voir même une chambre- quand on vient d’un faubourg ou d’Athènes même. Dans un pays où règne « la passion de la propriété immobilière » et l’« envie » d’une maison individuelle276 et où la construction des maisons ne nécessitait pas encore quelque technique difficile, il semble que la priorité est moins l’épargne que l’acquisition d’une maison.

La dot la plus modeste est rédigée en 1888277, entre un exploitant agricole, père de la mariée (Christos A. N.), résidant du village Kalamos, et le futur époux, exploitant agricole également (Christos S. D.), habitant du village Kiourka. Le père offre pour dot à sa fille Dimitra, quelques vêtements, habits, et des ustensiles pour le foyer d’une valeur de 200 drachmes. Le mari, de son côté, offre à sa future femme « la moitié par indivis d’un vignoble de 4 stremmes (0,4 hectares) dans le village Kiourka et la moitié d’une maison indivise, c’est à dire deux chambres et la cour qui leur correspond, toujours dans le village Kiourka. L’autre moitié de la maison appartient à sa sœur Maria ». La contribution du futur mari est estimée à 250 drachmes. En réalité elle est beaucoup plus élevée que celle du père, puisqu’il apparaît excessif que le trousseau d’une villageoise soit de valeur équivalente à un petit vignoble et la moitié d’une maison. La fortune totale du futur couple s’élève à 14.5₤, somme qui correspond à 225 journées de travail d’un ouvrier agricole.

En ce qui concerne la profession du mari dans les contrats de dot de petite valeur le mari relève souvent du monde de l’artisanat (33%), et moins souvent de l’agriculture (23%). Au contraire dans les dots de grande valeur les époux sont des commerçants (36%), exercent une profession libérale (16%) ou ils ont un revenu régulier : fonctionnaires (16%) et des militaires (12%).

Dans les dots de très grande valeur, les trousseaux représentent la part la moins précieuse de la dot. Le bien le plus important, c’est le bien immobilier. Ce bien immobilier est presque toujours une maison dans un quartier central de la capitale.

La dot la plus importante278, d’une valeur de 7.165£, est assez intéressante ; elle révèle une histoire. Le mariage a été célébré en 1906 mais le contrat de mariage a été rédigé un an plus tard. Les contractants sont d’un côté le père de l’épouse, Michail S. P., rentier, et de l’autre le couple : l’époux Konstantinos G., tanneur, et l’épouse Ekaterini. Ekaterini, jusqu’au moment du contrat, est mineure. George G., épicier et apparemment père de Konstantinos, est mentionné comme tuteur temporaire de la mariée. Selon le contrat :

‘« Ekaterini s’est mariée en 1906 sans posséder sa propre fortune. Alors elle se tourna contre son père, avec l’accord de George G., devant le tribunal de première instance, et demanda à Michail S. P. de lui constituer une dot proportionnelle à sa fortune... ». ’

Ce mariage a sans doute été célébré sans le consentement du père. Nous ne savons pas pourquoi il finit par consentir. Peut être la naissance d’un rejeton ? De toute façon, par ce contrat, nous savons que les deux époux « en jugeant que continuer le combat devant la justice était désavantageux et malséant, ont interrompu le jugement pour régler pacifiquement les différences ». Le père rassemble une dot et :

‘« 1) offre des biens mobiliers et des vêtements d’une valeur de 14.300 drachmes 2) une maison avec un commerce à l’entrée, d’une superficie de 700 m2, qui se trouve à Athènes, au croisement des rues Patission et Halkokondili, d’une valeur de 180.000 drachmes et 3) transfère tous les loyers mensuels de la maison (en tout 542 drachmes tous les mois) ».’
Notes
271.

Maurice Garden, 1970, p.219.

272.

La valeur moyenne de l’ensemble des dots données pendant la période 1886-1909 touche les 473₤. Il vaut la peine de marquer que pendant la même période approximativement (1880-1892 et 1900-1905), à la municipalité agricole de Myrtountion qui se trouve dans le département d’Élide au Péloponnèse, la valeur moyenne des dots qui ont été données était de 150₤ approximativement, c’est-à-dire le 1/3 de la valeur des dots athéniennes. Dimitris PsyhoYos, 1987, p. 173.

273.

En 1911 – 1913, comme à la fin du XIXe siècle, le salaire moyen d’un ouvrier non qualifié dans l’industrie s’élevait de 3 à 5 drachmes, c’est à dire 0.16₤. Christina Agriantoni, « Industrie », in Ch. Hatziiosif (dir.), Histoire de la Grèce au XX e siècle, 1900-1922 les débuts,Tome A, Athènes, éditions Vivliorama, 1999, p.199.

274.

Acte notarié n° 797 du 4 septembre 1887.

275.

Eugénie Bournova qui étudie le monde rural dans l’entre-deux guerres, soutient que la famille donne aux filles du liquide afin que la terre reste aux garçons. Si l’argent liquide n’était pas suffisant, ils donnaient alors un morceau de terrain. Cependant, les filles ne sont pas exclues de l’héritage puisque tous les enfants –selon la loi- possèdent les biens de manière indivise et égale. E. BOURNOVA, 1995, p.78.

276.

C. Biris, 1995, p.198.

277.

Acte notarié n° 2.041 du 30 octobre 1888.

278.

Acte notarié n° 22.135 du 14 mai 1907.