5. Contrats de mariage et milieux sociaux

Il semble qu’à Athènes, à la fin du XIXe siècle279 et au début du XXe, les contrats de mariage ne concernent pas toute la société de la même manière.

Le régime matrimonial de la Grèce était celui de la séparation des biens. Par conséquent les futurs mariés n’avaient pas besoin de rédiger un contrat devant un notaire pour enregistrer la fortune des époux avant le mariage, comme il était de coutume dans des pays où la communauté des biens est observée (comme il s’agit en France). Le contrat de mariage est sans aucun doute encore un « outil » -comme le sont les testaments où les donations- qui permet l’évolution de la stratégie familiale pour gérer la fortune. Des stratégies qui diffèrent certainement selon le statut social et la situation économique des personnes qui offrent la dot.

Tableau 27 : Profession des donateurs et des receveurs (%)
  Famille de la mariée Epoux Clientèle 280
Hommes      
Agriculteurs - propriétaires 30 18 20
Artisans- petit commerce 11 17 13
Ouvriers 5 6 3
Commerçants 7 22 22
Fonctionnaires 4 7 5
Professions Libérales 2 7 5
Militaires 1 7 2
Transport 2 3 3
Femmes      
Ménagère 35 5 13
Sage femme 1    
Couturière 1   1
Domestique 1    
Divers   8 13
Total 100 100 100

Source : Fond d’archive de D. G. Vouzikis. Dépouillement personnel.

On peut supposer que la grande proportion des agriculteurs/ propriétaires et le résultat de leur souci de valider juridiquement leur fortune par des titres281. Comme nous le verrons dans le chapitre qui suit, la catégorie des propriétaires est une catégorie sociale distincte, qui a comme caractéristique la possession immobilière et pas uniquement des champs de culture.

En tout cas en ce qui concerne l’élite athénienne celle-ci est pratiquement absente des contrats de mariage dépouillés bien qu’elle constitue bon partie de la clientèle du notaire. Peut être que cette partie de la population assure la fortune de la fille avec d’autres types d’actes, comme par exemple par des donations ou des achats fictifs. Il n’est en effet pas rare de trouver une vente d’un bien immobilier faite entre le père ou la mère et leur fille.

Les futurs maris sont en majorité des artisans, des commerçants et des agriculteurs282. Notons cependant que la présence des maris exerçant une profession libérale est plus importante que celle des pères des épouses. Ces maris sont considérées comme étant le « gendre idéal ». Il s’agit cependant des métiers qui demandent un certain capital pour commencer leur carrière. En 1906283, Christos K. S., pharmacien, offre à son futur gendre Nikolaos M., pharmacien aussi, comme dot de sa fille Evdokia, en dehors d’une maison à deux étages sur la rue Maizonos 31, dans le quartier de Vathia, d’une valeur de 18.000 drachmes (652₤), sa pharmacie qui se trouve en bas de chez lui et où il travaillait jusqu’à ce jour. La pharmacie, meublée, se trouve au croisement des rues Léka et Kolokotroni, c’est-à-dire dans le centre commercial, et il est estimé par les contractants qu’elle coûte 5.000 drachmes (181₤). Par ailleurs il lui offre le permis d’exercer de la pharmacie d’une valeur de 10.000 drachmes (362₤). En 1890, l’ophtalmologue Léonidas K., pour épouser Eleni, accepte de la part de la mère de sa future épouse Kondilo, veuve de Dimitrios Z., de l’argent liquide : 4.900 drachmes (158₤)284. Mais les dots que reçoivent l’avocat Ioannis T. en 1890 et le médecin Giorgos C. B. en 1906 sont aussi composées à 70% et 75% d’argent liquide (446 et 521₤ respectivement)285. Enfin, le commerçant Giorgos I. A., d’Hermoupoli286 donne à son futur gendre Konstantinos G. E., docteur de Droit et caissier de l’Université Nationale, 130.000 drachmes argent comptant (4.200₤) et une maison de 1.280 m2 sur la rue Kiklovorou, en face du Musée Archéologique dans le quartier Vathia d’une valeur de 35.000 drachmes (1.131₤). Konstantinos G. E. réapparaît dans les contrats quelques années plus tard en 1890 en tant que caissier de l’Université Nationale tout d’abord, de la banque Nationale ensuite, et en 1905 il se déclare « propriétaire ». Enfin, dans le guide Igglessis de 1905 nous le retrouvons en tant que retraité. Il semble qu’il n’ait jamais exercé la fonction d’avocat mais qu’il soit devenu fonctionnaire (d’où sa retraite) mettant en location des maisons et des terrains. Il est probable qu’il a investi l’argent liquide de sa dot généreuse dans l’achat d’immobilier.

Notes
279.

Pourtant, à Paris, au milieu du XIXe siècle, se sont les milieux les plus aisés qui passent par les bons offices d’un notaire. Adeline Daumard, « Structures sociales et classement socio-professionnel. L’apport des archives notariales au XVIIIe et au XIXe siècle », in Revue Historique, Janvier – Mars 1962, Tome CCXXVII, p. 139-154.

280.

Rappelons que dans les actes des archives de Vouzikis que nous avons dépouillé, nous avons trouvé plutôt des achats, des ventes et des locations. Le fort taux des agriculteurs/ propriétaires et des commerçants dans la clientèle du notaire par rapport aux actes de décès du Service de l’Etat Civil est peut-être dû à notre échantillon.

281.

Lors de l’Empire ottoman, la terre, en friche ou cultivée, était sous la propriété de l’état. Après la fondation de l’Etat grec, du droit de conquête, du droit romain et des traités internationaux qui ont été introduits, un paysage confus a été formé en ce qui concerne les terres et les constructions ; la propriété individuelle ne dépassait pas la moitié du total de la terre. Pendant des décennies les terres de l’Etat étaient génératrices de conflits entre l’Etat et les agriculteurs, qui essayaient de se les approprier. Avec la loi de 1871 et avec la première réforme agricole, une longue période de privatisation de ces terres a commencé en les séparant en petites propriétés. Eugénie Bournova, Georges Progoulakis, « Le monde rural, 1830-1940 », in Vassilis Kremmydas (dir.), Introduction à l’histoire économique néo-hellénique, XVIII è – XX e siècle, Athènes, éditions Tipothito, 1999, p.45-104.

282.

A l’opposé de la composition socioprofessionnelle de la capitale, où les ouvriers appartiennent aux trois groupes principaux alors que les agriculteurs arrivent en quatrième place.

283.

Acte notarié n° 21.096 du 8 avril 1906.

284.

Acte notarié n° 3.433 du 10 février 1890.

285.

Actes notariés n° 3.425 du 8 février 1890 et n° 21.694 du 1 novembre 1906.

286.

Acte notarié n° 4.242 du 20 octobre 1890.