6. Dot et droits d’héritage

Il a été soutenu que la dot est en fait un héritage pre-mortem qui est reçu par la femme le jour où elle se marie287. Nous n’avons relevé que 18 testaments288 pour les années 1886-91 et 1905-09 dans les archives de Vouzikis. Les enfants sont très rarement mentionnés comme héritiers dans ces testaments. La femme est généralement l’héritière exclusive. L’épouse n’était pas ab intestat héritière289 . Elle ne pouvait être héritière que si le testament le mentionnait. Malheureusement nous n’avons pas les contrats de dot des hommes qui rédigent un testament. Par conséquent nous ne pouvons pas comparer la valeur de la dot qui lui a été donnée avec la fortune qui est laissée à sa femme mortis causa. Cependant, dans un testament de 1907290 Andreas S., propriétaire, désigne sa femme Panayiota, de la famille de Konstantinos T., comme héritière principale de sa fortune. Il cède donc à Panayiota tous ses biens meubles et les bijoux qui existent dans leur maison, 40.000 drachmes en liquide et le loyer mensuel de 133 drachmes qui sont reçus de Christos T., entrepreneur. Il précise cependant que les 40.000 drachmes qu’il laisse à sa femme comprennent aussi les 6.000 drachmes qui provenaient de sa dot. Malheureusement, nous n’apercevons pas quelque donnée indiquant la date du mariage ou de l’offre de la dot.

Nous savons que la fille n’est pas exclue de l’héritage paternel291 vu que tous les enfants sont égaux devant l’héritage ab intestat. Mais si la fille a déjà été dotée, dans le testament elle reçoit le complément de sa part héréditaire. C’est ce qui apparaît aussi dans les archives de Vouzikis.

Dans l’un de ces testaments, Dimitrios K., ex-tanneur et propriétaire actuellement, désigne comme héritiers son fils Christos, ses deux filles Zoi veuve de V. S. et Marigo, épouse d’Apostolos F. et ses deux petits- enfants, enfants de sa fille décédée Anna. Sa volonté est que ses biens soient divisés de la manière suivante :

‘« A chacune de mes filles, Zoi et Marigo, je laisse 25 drachmes à chacune car je les ai assez dotées. A chacun des mes petits enfants je laisse aussi 25 drachmes vu que j’avais assez doté leur mère (et ma fille) Anna. Le reste de ma fortune, mobile et immobilière, quelle que soit sa valeur, je la laisse à mon fils Christos » 292 .’

Aussi, Maria, veuve de Stavros T., habitant d’Amaroussion, désigne comme héritiers ses 7 enfants : 3 fils et 4 filles et elle leur laisse :

‘« Toute ma fortune mobilière et immobilière afin qu’ils la séparent en parties équivalentes, en dehors du vignoble qui se trouve dans le hameau de Glykovrissi, d’une superficie de deux stremmes (0,2 hectares), que je laisse en supplément à ma fille Chrissoula qui est célibataire » 293 .’

Enfin, Theodoros A.294 désigne sa femme et ses 4 enfants (2 filles et 2 garçons) comme héritiers. Il mentionne aussi qu’après le décès de sa femme, il veut que sa fortune soit distribuée de la manière suivante : A l’une de ses filles qui est mariée et qui a déjà été dotée, il laisse un terrain de 320m2 au lieu dit d’Agios Ioannis Theologos. A sa fille célibataire il laisse une maison avec une boutique en tant que dot. Le reste de sa fortune est divisé en deux parties égales qui sont laissées à ses deux fils.

De temps en temps, à la fin du contrat de mariage, le couple déclare qu’il « remercie et est redevable » et qu’il n’a aucun autre droit ou demande sur le reste de la fortune de la personne qui a rassemblé la dot »295.

Les exemples connus par les différentes régions du pays montrent qu’il existe une corrélation très nette entre le mode de dévolution des biens et le mode de production dominant de chaque région : les femmes n’héritent pas de moyens de production essentiels. C’est-à-dire des animaux et des troupeaux dans les sociétés pastorales, des terres dans les communautés d’exploitation agricole et des barques dans les communautés maritimes296. Selon notre échantillon une épouse sur deux297 reçoit comme dot un bien immobilier (55% des cas) surtout dans le cas où elle se marierait avec un agriculteur – propriétaire. Il paraît donc que dans le milieu urbain le foyer devient une affaire des filles.

Vu qu’en Grèce c’est le régime de la séparation des biens qui domine, il n’y a pas de raison spécifique pour rédiger un contrat. La famille n’a pas besoin de document pour régler ses affaires, les témoins suffisent. Par ailleurs, si le parent ne laissait pas de testament, tous les enfants étaient égaux en ce qui concerne leur droit d’héritage. Par conséquent, les filles – à travers la dot et souvent avant le décès du parent- recevaient une part d’héritage, alors que les garçons devaient attendre plus longtemps pour la recevoir. Nous pensons simplement que nous nous trouvons devant une société qui continue de régler ses affaires familiales soit avec des contrats privés soit sur parole, une société encore « étrangère » au poids légal que procure un contrat devant un notaire. Ou comme l’écrit Françoise Saulnier-Thiercelin pour un village en Crète vers la fin du XIXe siècle : « on tente d’abord de résoudre entre soi les problèmes liés à la transmission des biens, car une intervention extérieure comme celle du notaire démontrerait aux yeux de la communauté villageoise l’incapacité des membres de la famille à s’entendre et leur caractère intéressé »298.

Notes
287.

Florence Laroche - Gisserot, 1988.

288.

Un nombre pas négligeable d’études sur la dévolution des biens a été mené pour des différentes régions de la Grèce. Le but de ces recherches était l’étude de la transmission des biens par dot et/ou par héritage et du lien entre la transmission et le sexe et le rang des enfants d’une famille. La manque des sources adéquates pour Athènes ne me permet pas une telle étude. Dans ce chapitre je ne fais que présenter les rares testaments trouvés dans le fond d’archive de Vouzikis en essayant de faire quelques premières hypothèses pour la ville d’Athènes.

289.

Jusqu’à l’introduction de la loi 2310/1920, seulement le conjoint pauvre avait droit héréditaire.

290.

Acte notarié n° 22.625 du 5 novembre 1907.

291.

Arrêt No 849 (1890), Thémis, Tome 1890, p.378.

292.

Acte notarié n° 5.040 du 3 août 1891.

293.

Acte notarié n° 2.260 du 22 janvier 1889.

294.

Acte notarié n° 24.480 du 30 décembre 1909.

295.

Actes notariés n° 1.301 du 3 mars 1888, n° 3.237 du 14 novembre 1889 et n° 23.921 du 25 avril 1909.

296.

E. PAPATAXIARCHIS ; S. D. PETMEZAS, « The devolution of property and kinship in late and post ottoman ethnic Greek societies. Some demo-economic factors of 19th and 20th century transformations », in MEFRIM, No 110, 1998-1, p. 217-241.

297.

Selon P. Sant-Cassia et C. Bada les dots qui contenaient des maisons concernent 64% des familles qui n’avaient que de filles et 18% des familles où existaient des filles et de fils. Paul Sant Cassia ; Constantina Bada, The making of the modern Greek family : Marriage and exchange in nineteenth - century Athens, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p.45.

298.

Françoise Saulnier-Thiercelin, « Principes et pratiques du partage des biens l’exemple crétois », in Colette Piault, Familles et biens en Grèce et à Chypre, Paris, L’Harmattan, 1985, p.47-66.