B. Par sexe et par age

1. Mortalité infantile et juvénile

Conformément à G. N. Makkas 319 la mortalité infantile en Grèce pour la période 1900-1908 - mais aussi pour la période à partir de 1870 - est de 106‰! (Makkas prend en compte les enfants ayant achevé la première année de leur vie comme nourrissons) tandis que pour les 12 villes les plus grandes, elle atteint 177‰. Makkas et Savvas attribuent ce phénomène à la grande mortalité des bébés exposés à l’hospice des petits enfants. Selon eux, la mortalité juvénile (qui selon eux concerne les enfants de 2 à 4 ans) en Grèce est de 30.4‰ tandis que dans les grandes villes elle est de 50.5‰. Pour les enfants de 5-9 ans et de 10-14 ans, ils constatent que les pourcentages nationaux sont assez proches des pourcentages urbains. Ils concluent donc que la mortalité infantile n’est pas très élevée (sauf dans les centres urbains) mais qu’au contraire, les autres tranches d’âges sont plus touchées par la mort.

L’absence d’actes de naissance du Service de l’état civil d’Athènes mais aussi de données pour la composition d’une pyramide des âges de la population de la capitale, ne nous permet pas de calculer à partir de lenquête primaire, la mortalité infantile et juvénile pour Athènes. Un croisement des données présentées par la Statistique du mouvement annuel de la population avec les actes de décès du Service de l’état civil d’Athènes, nous permet une première approche.

Tableau 30 : Mortalité infantile à la deuxième moitié du XIXe siècle
Année Garçons Filles Total
Naissances Décès Mortalité ‰ Naissances Décès Mortalité ‰ Naissances Décès Mortalité ‰
1860 379 126 332.5 395 150 379.7 774 276 356.6
1864 500 153 306.0 462 150 324.7 962 303 315.0
1865 570 177 310.5 502 167 332.7 1072 344 320.9
1866 483 204 422.4 411 143 347.9 894 347 388.1
1867 634 211 320 332.8 596 191* 320.5 1230 402* 326.8
1868 578 216 373.7 499 255 511.0 1077 471 437.3
1879 611 248 405.9 578 213 368.5 1189 461 387.7

Sources : Résultats statistiques de Mouvement de la population des années 1860 – 1868. Recensement de la population 1879. Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Il est prouvé encore une fois combien les données de ces publications sont douteuses, en ce qui concerne les naissances principalement. Au milieu du XIXe siècle la mortalité infantile en Angleterre est de 150‰, et dans des villes comme Manchester ou Liverpool elle touche les 200‰ ou même les 225‰. Les villes allemandes, vers 1875, enregistrent une mortalité infantile de 211‰ tandis qu’en Espagne au début du XXe siècle la mortalité infantile dans les villes est de 199‰. A Milan dans la première moitié du XIXe siècle la mortalité infantile est (avec un pic de 275‰ en 1864) de 209‰. Pour la France321 de 1887 à 1891, la mortalité infantile est de 26,8% à Bordeaux, de 29,4% à Paris, de 36,9% à Marseille et de 24,9% à Toulouse. La période de 1909 à 1913 est caractérisée par une chute importante de ces pourcentages : ces mêmes villes enregistrent respectivement une mortalité infantile de 8.7%, 14.6%, 15.4% et 13.6%. Enfin, au Portugal en 1902 la mortalité infantile est de 189‰. Il est donc évident que si nous ne pouvons pas présenter de conclusion définitive sur le niveau et l’évolution de la mortalité infantile à Athènes, elle n’est certainement de 177‰ comme les contemporains l’affirment.

Les chiffres absolus des décès infantiles enregistrés au Service de l’état civil d’Athènes nous permettent au moins de constater l’évolution du nombre de décès, donc aussi d’un changement possible de la part de la mortalité infantile sur le total des décès322.

Tableau 31 : Nombre des décès infantiles par année et par sexe
Année Garçons Filles Total
1859 161 101 263
1860 126 150 276
1861 70 69 146
1862 128 113 246
1863 157 168 325
1864 153 150 308
1865 177 167 345
1866 204 143 348
*1867 211 191 402
1868 216 255 471
Moyenne de la période 160 151 313
Total de la période 1.603 1.507 3.130
1879 248 213 461
1880 291 286 577
1881 336 264 600
1882 301 298 600
1883 233 213 447
*1884 273 247 521
Moyenne de la période 280 254 534
Total de la période 1.682 1.521 3.206

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Année Garçons Filles Total
1899 344 296 646
*1900 268 235 505
*1901 465 439 907
*1902 479 492 972
Moyenne de la période 389 366 757
Total de la période 1.556 1.462 3.030

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

En tenant en compte ces lacunes nous observons une augmentation permanente de la valeur absolue des décès infantiles. Cependant le pourcentage des décès infantiles sur le nombre total de décès qui sont enregistrés au Service de l’état civil d’Athènes n’évolue pas. Ils constituent 26%, 27% et 26%324 (pour les 3 périodes respectivement) de l’ensemble des décès enregistrés. On observe une stabilité relative de la mortalité infantile pendant ces cinq décennies qui se maintient à un niveau élevé. En France325, pour la période 1887-1891, le pourcentage des décès infantiles sur le nombre total des décès est de 13% à Bordeaux, de 16% à Paris, de 19% à Marseille et de 15% à Toulouse. Lors de la période de 1909 à 1913, pour toutes les villes citées ci-dessus, les pourcentages sont tombés de 4 à 5 unités.

Les choses sont différentes lorsqu’il s’agit des petits enfants de 1 à 4 ans. Les décès juvéniles diminuent, pour les chiffres absolus mais aussi pour la part qu’ils prennent sur le nombre total de décès : Sur les 2.203 décès d’enfants, c’est à dire 19% du nombre total de décès la période 1860, les décès juvéniles sont réduits à 1.397 c’est à dire 12% du nombre total de décès au début du XXe siècle, donc de 7 unités de pourcentage. Par ailleurs, les décès des jeunes de 10 à 14 ans diminuent d’une unité.

Tableau 32 : Rapport du nombre des décès juvéniles et du nombre total des décès
  1860 1880 1900
Age N % N % N %
0-11 mois 3.113 26 3.206 27 3.030 26
1-4 ans 2.203 19 1.790 15 1.398 12
5-9 ans 591 5 612 5 327 3
10-14 339 3 303 3 224 2
Total de décès 11.837   11.790   11.586  

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle le taux des décès infantiles à Athènes reste stable, contrairement à ce que V.Valaoras et G.Siampos ont avancé comme hypothèse ; on note cependant que la mortalité juvénile présente une réduction importante à la fin du XIXe siècle.

Comme le remarque P. Guillaume « La mortalité infantile est moins due à la maladie qu’au manque de soins ou à l’inadaptation des soins donnés pour faire face à la fragilité du jeune enfant. La lutte contre la mortalité infantile fut affaire d’éducation »326. Le manque d’éducation de la société grecque est illustré dans divers articles médicaux de l’époque. Selon Anastasios Zinnis les femmes des couches populaires mais aussi des médecins de l’époque ne recommandaient pas aux nourrissons du lait de vache ou de chèvre car ils avaient « l’idée tordue » qu’il provoquait des diarrhées. Ainsi un grand nombre de mères offrait à leur bébé, en tant que nourriture supplémentaire déjà à partir du deuxième mois de leur vie, de la farine de riz mélangée avec du beurre ou de l’huile327. Les femmes de familles riches confiaient l’allaitement de leurs enfants à des nourrices. Contrairement aux pratiques françaises, elles n’envoyaient pas les nourrissons en province, mais au contraire les nourrices venaient habiter la capitale, dans les familles328. Les scientifiques de l’époque s’élèveront contre la fin prématurée de l’allaitement et contre l’allaitement par des tiers et souligneront les avantages du lait maternel. En tout cas, des articles des débuts du XXe siècle « font de la propagande » pour « l’allaitement maternel »329. Comme le note aussi E. Bournova pour la Crète aux débuts du XXe siècle : « L’hygiène générale, grand facteur de progrès dans la lutte contre la mortalité notamment infantile avant l’invention des antibiotiques, semble y avoir été particulièrement absente »330.

Le quart des nourrissons (de 0 à 11 mois) meurt avant qu’il ait le temps de compléter son premier mois de vie ; Les 2 premiers jours semblent d’ailleurs être très importants. S’ils réussissent à survivre le premier mois, ceci n’implique pas qu’ils aient dépassé entièrement le risque, puisque jusqu’au 6ème mois une nouvelle fois le risque est accru331. A partir du 7ème mois il existe une réduction continue des décès.

Il n’existe pas des différences importantes en ce qui concerne la répartition mensuelle des décès infantiles et juvéniles. Pour les nourrissons (de 11 mois inclus), les mois les plus dangereux sont les mois les plus chauds, principalement juin, puis juillet et mai332. À cause des lacunes importantes dans les archives en février pour la décennie de 1860, le nombre des décès infantiles est sérieusement sous évalué pour les mois hivernaux. En tout cas il est évident que l’été (avec pour causes de décès les plus communes les problèmes gastriques et intestinaux) et l’hiver (à cause de la bronchite et de la pneumonie) sont les deux époques les plus dangereuses pour les nourrissons. D’ailleurs, pour les enfants de 1 à 4 ans, les 3 mois estivaux sont les plus dangereux, avec le mois de juillet en première place, alors que l’automne semble les influencer de façon plus importante que l’hiver333.

Graphique 6 : Répartition saisonnière des décès infantiles et juvéniles (1860-1910)
Graphique 6 : Répartition saisonnière des décès infantiles et juvéniles (1860-1910)
Graphique 7 : Rythme mensuel de décès infantiles
Graphique 7 : Rythme mensuel de décès infantiles
Graphique 8 : Rythme saisonnier de décès infantiles
Graphique 8 : Rythme saisonnier de décès infantiles
Graphique 9 : Rythme mensuel de décès juvéniles
Graphique 9 : Rythme mensuel de décès juvéniles
Graphique 10 : Rythme saisonnier de décès juvéniles
Graphique 10 : Rythme saisonnier de décès juvéniles

Admettons que les professions enregistrées dans les actes de décès du Service d’état civil d’Athènes nous permettent d’apercevoir la population de la capitale. Ainsi, nous pouvons étudier les paramètres socio-économiques qui influencent la mortalité. Nous savons grâce à d’autres villes européennes que « les différences économiques jouent fortement sur le niveau de la mortalité infantile, qui apparaît comme un véritable indicateur, non seulement des conditions hygiéniques générales mais aussi des écarts sociaux. […] Le revenu a une influence directe sur le niveau de mortalité. […] L’appartenance sociale constitue un facteur d’explication presque automatique »334.

Tableau 33 : Décès par catégorie socioprofessionnelle, 1879-1902 (%)
Profession Décès d’hommes de plus de 15 ans Père d’infant
Artisans - boutiquiers 21 32
Commerçants 8 13
Transport 2 6
Professions du bâtiment 3 6
Commerçants ambulants 1 2
Agriculteurs 13 9
Fonctionnaires 7 3
Militaires 9 6
Employés 6 4
Professions libérales 3 1
Ouvriers 11 10
Divers 17 8
Total 100 100

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Le tableau ci-dessus présente le pourcentage des hommes (de plus de 15 ans) qui meurent à Athènes en fonction de la catégorie socioprofessionnelle déclarée, ainsi que le pourcentage des pères qui ont déclaré le décès de leur enfant335.

On ne connaît pas le nombre moyen d’enfants par famille selon les différents métiers ou les catégories socioprofessionnelles afin d’utiliser le nombre de décès infantiles comme indicateur du niveau de vie du chef des familles.

On peut cependant noter que l’ouvrier athénien ne peut être comparé à celui qui vit à Londres ou à Paris, car dans ces métropoles les conditions de travail et d’existence étaient plus dures à cause de l’entassement des ouvriers dans des logements insalubres. On verra plus loin que le logement populaire à Athènes corresponde à des chambres louées dans des maisons particulières. Ceci permettait aux ouvriers athéniens d’avoir un meilleur habitat.

Selon les actes de décès du Service de l’état civil d’Athènes, 25% de la population masculine âgée de plus de 15 ans qui meurt à Athènes pendant la période de 1879 à 1902 est née à Athènes tandis que 75% des décédés sont des immigrés ! En comparant l’origine du père des nourrissons mourant à Athènes lors de la même période, nous constatons qu’un peu plus d’un tiers des nourrissons ont un père athénien et que les deux tiers restant sont des enfants d’immigrés, c’est-à-dire un peu moins que la proportion des immigrés sur l’ensemble de la population masculine de plus de 15 ans. Par conséquent il ne semble pas exister d’importantes différences entre les immigrés et les autochtones en ce qui concerne la mortalité infantile.

Tableau 34 : Décès par lieu de naissance, 1879-1902 (%)
Lieu de naissance Hommes de plus de 15 ans Père des enfants
Athènes 25 32
Hors Athènes 75 68
Total  100 100

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Notes
319.

Les données de la recherche de Makkas sont publiés dans l’article de C. Savvas « La mortalité des douze villes principales de la vieille Grèce », p.186-187.

320.

Il s’agit d’une année avec un sous-enregistrement évident puisque le volume correspondant au mois de janvier n’a pas été tenu régulièrement.

321.

Pierre Guillaume, 1972, p.290.

322.

Nous rappelons encore une fois que nous avons rencontré des lacunes partielles ou totales pour certains mois, sur 5 des 20 années dépouillées. L’absence des trois mois hivernaux est importante puisque - comme nous le verrons dans le prochain sous-chapitre – l’hiver est l’époque la plus critique pour les nourrissons. Pour 4 années le problème touche le mois de janvier, pour 2 années le mois de décembre, pour une année le mois de février alors qu’en 1900 il touche les mois d’avril à novembre, voir note 300, p.123. Dans le tableau 31, les années qui présentent ce problème sont désignées par un astérisque (*).

323.

Pour certaines années il y a des cas où nous connaissons l’âge du nourrisson mais non son sexe. Pour ces années en particulier, le total est supérieur à la somme.

324.

Presque trente ans plus tard, lors de la période de 1934 à 1940, dans la municipalité voisine d’Egaleo les décès infantiles continuent a représenter le quart des décès enregistrés au Service de l’état civil d’Athènes. Ε. Bournova, 2002, p.59.

325.

Pierre Guillaume, 1972, p.290.

326.

Pierre Guillaume, 1972, p.158.

327.

Α. Zinnis, La mortalité infantile à Athènes, Athènes, 1877.

328.

Α. Zinnis, Etude sur les principales causes léthifères chez les enfants au-dessous de cinq ans et plus spécialement chez ceux de 0-1 an à Athènes, Athènes, 1880.

329.

Μ. Melissinos, Le nourrisson, Athènes, 1904. Repris dans Maria Korassidou, Lorsque la maladie menace, Athènes, 2002, p.201.

330.

E. Bournova, « La mortalité en transition dans une ville méditerranéenne. Rethymno au début du XXe siècle » in Histoire Urbaine, No 21, Avril 2008, p.5-30.

331.

A Milan, la période cruciale est jusqu’au 5ème mois. O. Faron, 1997, p.329.

332.

Dans d’autres villes occidentales, les mois les plus mortifères sont le mois d’août et de janvier. O. Faron, 1997, p. 331.

333.

A Milan les saisons les plus mortifères pour les enfants (1-4 ans) est le printemps et l’été alors que pour les nourrissons l’automne et l’hiver. O. Faron, 1997, p.330.

334.

O. Faron, 1997, p.333.

335.

47% de décès de nourrissons de la période 1879-1885 et 56% de décès infantiles de la période 1899-1902, sont déclarés par leur père.