C. Mourir à l’hôpital

Les soins hospitaliers existent au sein de la capitale depuis sa fondation. Tout d’abord a été fondé l’hôpital militaire (1834), puis un an plus tard la Maternité, quelques années après l’Hôpital municipal ou civil d’Athènes « Elpis » (1842, avec deux cliniques : pathologique et chirurgicale) et l’Hôpital ophtalmologique ; les trois situés dans des zones proches du centre de la ville, mais qui étaient encore calmes à cette époque. Les décennies suivantes seront plutôt caractérisées par la volonté de créer des fondations philanthropiques, [l’hôpital des petits enfants en 1848, l’orphelinat « Amalio » pour les filles en 1858, l’orphelinat pour les garçons « Hadjikosta » en 1860, la maison des pauvres en 1870]. Lors de la décennie de 1880 un deuxième hôpital sera fondé (avec deux cliniques : Pathologique et chirurgicale), le plus grand de la capitale : l’« Evanghelismos ». A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, d’autres hôpitaux seront créés, plus spécialisés, ainsi que d’autres fondations philanthropiques.

Tableau 41 : Création des hôpitaux à Athènes
  1850 1880 1910
Hôpitaux 4 6 21
Etablissements
philanthropiques
0 5 8

Sources : La nouvelle Athènes, Athènes, 1860, pp. 46-47. N. G. Igglessis, Guide de Grèce 1905-1906, Athènes, 1905, p.444-445, 449-450.

Nous avons quelques informations sur le nombre de médecins à Athènes, basées sur des articles de l’époque et différents écrits, mais les sources ne se recoupent pas totalement351.

Tableau 42 : Evolution du nombre des médecins, pharmaciens et sage-femmes
  1853 1861 1870 1879 1889 1907
  Grèce Dème Grèce Dème Attique Grèce Ville Dème Attique Grèce Grèce Attique Grèce
Médecins 274 90 398 120 165 797 203 205 242 1.280 1.500 824 2.988
Pharmaciens   32 161 62 75 335 73 73 98 447 500 429 1.003
Sage-femmes 1.300 25 832 32 74 769 82 85 99 820 1.042 221 1.530

Sources : Fragkos D., La population économiquement active, Athènes, 1980. Résultats de recensements de la population des années 1861, 1870, 1879, 1907.

Nous pouvons observer que le nombre de scientifiques (les infirmières ne sont pas comptabilisées) augmente continuellement352 et qu’ils sont concentrés à Athènes. Environ un sixième des médecins et des pharmaciens y exerce. En 1879, il y a à Athènes un médecin pour 329 habitants alors qu’à l’échelle nationale, il y a un médecin pour 1312 habitants (281 et 170 habitants respectivement en 1896)353. A la fin de la période nous notons une amélioration importante à l’échelle nationale surtout. Cependant la capitale continue de concentrer un grand nombre de médecins par rapport au nombre d’habitants. Par ailleurs la capitale concentrait la plupart des institutions hospitalières du pays.

Tableau 43 : Evolution de la médicalisation de la population athénienne (ratio)
  1853 1861 1870 1879 1889 1907
Grèce Dème Grèce Dème Attique Grèce Ville Dème Attique Grèce Grèce Attique Grèce
Médecins 3.779 482 2.756 371 594 1.829 329 335 584 1.312 1.458 414 881
Pharmaciens   1.355 6.812 718 1.306 4.352 916 941 1.442 3.757 4.374 795 2.624
Sage-femmes 797 1.735 1.318 1.391 1.324 1.896 815 808 1.428 2.048 2.099 1.544 1.720

Combien de décès sont enregistrés dans les hôpitaux ? Nous n’avons pas de données sur le nombre de patients ayant été hospitalisés à Athènes354. Nous pouvons par contre faire quelques hypothèses. D’après une publication de 1868, 600 à 700 patients indigents étaient accueillis chaque année à l’hôpital « Elpis »355. Selon les décès enregistrés à l’hôpital municipal que nous pouvons trouver au Service d’état civil d’Athènes pour la décennie 1859-1868, en moyenne 15% (sur une population de 650) des patients qui allaient à l’hôpital trépassaient. Comme nous le savons grâce à l’exemple d’autres régions (comme le dème voisin d’Egaleo avant la guerre ou bien les villes de Rethymno ou de Chanée au début du XXe siècle356), les malades se dirigeaient fréquemment vers les hôpitaux lors du dernier stade de leur maladie, et c’est pour cela qu’ils finissaient par mourir.

La part des malades qui meurent augmente au cours de la période étudiée. Il s’agit lors de la première période de 10% des décès qui sont enregistrés au Service de l’état civil d’Athènes, de 12% lors de la deuxième période ; lors de la troisième période, il s’agit de 20% des décès enregistrés. Vu que lors de ce cinquantenaire le nombre d’hôpitaux est multiplié par 7, le nombre de patients qui peuvent être accueillis s’accroît. Il est donc normal que le nombre de décès augmente dans le milieu hospitalier.

Tableau 44 : Nombre de décédés aux hôpitaux par sexe
  1860 1880 1900
  Hommes Femmes Total Hommes Femmes Total Hommes Femmes Total
Décédés en hôpital 937 191 1.128 1.029 351 1.380 1.741 612 2.354
Décédés à Athènes 6.696 5.137 11.833 6.531 5.258 11.789 6.580 4.988 11.568

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Qui meurt au sein des hôpitaux ? Pour une majorité écrasante il s’agit d’hommes célibataires et immigrants. Ces hommes proviennent surtout de régions de la vieille Grèce (Péloponnèse, Cyclades, Grèce continentale) et de l’Asie Mineure. Il apparaît cependant un petit changement du comportement des gens face aux hôpitaux. Lors de la première décennie 80% des patients sont des hommes alors qu’au début du XXe siècle 70% des patients sont des hommes. Aussi, lors de la première période, 65% des hommes sont célibataires alors que 40 ans plus tard ils sont 30% à être seuls. Enfin, nous notons une augmentation du taux des décès des Athéniens (de 7% pendant la décennie de 1860 à 13% au début du XX siècle).

Tableau 45 : Lieu d’origine des hommes décédés aux hôpitaux (%)
Lieu d’origine 1860 (N) 1880 (N) 1900 (N) 1860 (%) 1880 (%) 1900 (%)
Athènes 43 126 212 7 13 13
Attique 23 25 38 4 3 2
Cyclades 57 124 164 9 12 10
Péloponnèse 116 199 448 18 20 27
Iles du Golfe Saronique 37 26 44 6 3 3
Grèce Continentale 63 81 199 10 8 12
Iles ioniennes 21 39 99 3 4 6
Epire 58 57 113 9 6 7
Thessalie 27 44 67 4 4 4
Iles de N. Sporades 4 7 8 1 1 0
Crète 40 49 50 6 5 3
Macédoine 24 46 60 4 5 4
Iles d’Egée 32 60 49 5 6 3
Etranger 102 116 124 16 11 7
Total 647 999 1.675 100 100 100

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Ce qui reste stable lors des trois périodes, c’est la situation socio-économique des hommes357. Ceux qui meurent le plus dans les hôpitaux athéniens sont les artisans, puis suivent toujours les ouvriers, les agriculteurs, les commerçants et les employés. Sur ces 5 catégories de patients celle des agriculteurs est la seule qui présente plus de décès chez les mariés que chez les célibataires. Les employés sont ceux qui présentent la durée moyenne de vie la plus basse : 31 ans. S’ils sont célibataires elle est de 27 ans alors que s’ils sont mariés, elle est de 51 ans. Au contraire, les commerçants sont ceux qui vivent le plus vu qu’ils atteignent en moyenne leur 44ème année (36 ans pour les célibataires et 51 ans pour les personnes mariées). Il est intéressant de noter que les hommes décédés aux hôpitaux, hommes qui relèvent surtout des couches populaires, ont un âge moyen au décès de 41 ans alors que l’espérance de vie moyenne est de 38 ans dans d’autres circonstances.

Tableau 46 : Profession des hommes décédés aux hôpitaux (%)
Profession 1860 1880 1900
Artisans 24 26 22
Ouvriers 20 24 25
Agriculteurs 16 11 13
Commerçants 9 12 15
Employés 13 12 11
Elite 1 2 2
Divers 17 13 12
Total 100 100 100

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Tirons quelques conclusions sur les femmes, malgré notre petit échantillon. Les femmes qui meurent à l’hôpital sont aussi immigrées, mais elles proviennent le plus souvent des Cyclades et du Péloponnèse. Lors de la décennie de 1860 à cause de la révolution en Crète, les femmes qui sont originaires de cette île représentent 17% des inscriptions, alors que pour les périodes qui suivent ce taux atteint les 6%. Les Athéniennes, alors qu’elles augmentent en nombre en 1880, diminuent à la fin du XXe siècle. La différence marquée avec les hommes est que presque 7 sur 10 des femmes qui meurent à l’hôpital sont mariées358! Cependant, alors que l’espérance de vie des hommes présente une certaine stabilité lors de la période étudiée, l’espérance de vie des femmes diffère beaucoup d’une période à l’autre. Elle est de 45 ans dans les années 60 et elle baisse à 38 ans dans les années 1900. La différence entre l’espérance de vie des femmes mariées et des femmes célibataires est importante. Elle est de 8 ans au départ et atteint les 14 pour le reste de la période. Chez les femmes qui ont déclaré quelque activité professionnelle, nous trouvons surtout des servantes359 alors qu’au début du XXe siècle nous trouvons de nombreuses couturières/modistes. Par ailleurs, les femmes qui sont déclarées avec un métier, sont célibataires, pour leur écrasante majorité (aux années 60, 95% des servantes sont seules).

La mentalité de l’époque interdisait aux femmes de montrer leur corps (surtout à un homme), ce qui les éloignait des soins hospitaliers et médicaux ; cette mentalité commence à changer vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe.

Tableau 47 : Lieu d’origine des femmes décédées aux hôpitaux (%)
Lieu d’origine 1860 (N) 1880 (N) 1900 (N) 1860 (%) 1880 (%) 1900 (%)
Athènes 25 85 100 17 25 17
Attique 5 9 23 3 3 4
Cyclades 19 56 86 13 16 14
Péloponnèse 17 42 139 12 12 23
Iles du Golfe Saronique 10 24 19 7 7 3
Grèce Continentale 13 30 37 9 9 6
Iles ioniennes 4 15 50 3 4 8
Epire 3 6 17 2 2 3
Thessalie 2 11 14 1 3 2
Iles de N. Sporades 0 2 1 0 1 0
Crète 25 27 35 17 8 6
Macédoine 1 4 13 1 1 2
Iles d’Egée 2 9 19 1 3 3
Etranger 17 26 42 12 8 7
Total 143 346 595 100 100 100

Source : Actes de décès de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

Notes
351.

Il est vrai que lors de la première moitié du XIXe siècle il y existe une confrontation entre les médecins « scientifiques » et thérapeutes « empiriques ». C’est peut être pour ça que les chiffres présentés par ces sources ne se recoupent pas.

352.

7.498 élèves ont été admis à l’Ecole de médecine de l’Université d’Athènes depuis sa fondation en 1837 à 1900, et 4.697 ont obtenu leur diplôme. A. Skarpalezos (dir.), D’après l’histoire de l’université d’Athènes, Athènes, 1964.

353.

Ι. Α. Foustanos, « Surabondance des médecins. Statistiques sur les médecins à Athènes », Evolution Médicale, 1896. Repris dans M. Korassidou, 2002, p.155.

354.

Dans le livre « Elpis ». Hôpital général d’Athènes, 1842-2002, Pirée, Institut de Recherche de l’Histoire Locale et de l’Histoire des Entreprises, 2002, les chercheurs Ν. Melios et Ε. Mpafounis, nous informent que l’hôpital tient des archives de dossiers de patients, tenus depuis le mois d’Avril 1897. Cependant après le dépouillement que nous avons effectué, ces archives ne font que transcrire les dates que couvrent chacun des tomes et non le nombre des patients. M.Korassidou, dans son livre Lorsque la maladie menace, présente pour certaines des institutions hospitalières d’Athènes le nombre de patients qui y ont été hospitalisés. Ces chiffres cependant proviennent de publications diverses datant de cette époque et ils sont fragmentaires, ils ne suivent pas de suite chronologique.

355.

« Ecrits sur la cité », Calendrier de la région d’Attique de 1869, Athènes, 1868, p.351.

356.

Ε. Bournova, 2002, p.62. E. Bournova, 2008, p.5-30.

357.

Vu que le nombre important de patients à l’hôpital militaire modifie le résultat, nous n’avons pas compris les militaires dans nos catégories socioprofessionnelles.

358.

Pour la situation familiale des femmes au long des trois périodes, nous avons des détails pour 66%, 78% et 87% des cas (respectivement pour chaque période).

359.

C’est parmi les rares métiers féminins enregistrés pour les deux premières périodes.