A. Le poids du phénomène

Jusqu’à présent nous avons vu que les immigrés venus à la capitale sont plutôt des hommes, jeunes et célibataires. Mais quelle est la part qu’ils représentent sur le total de la population athénienne ? Selon les actes de mariage360 (1862-1910) du Service de l’Etat Civil, uniquement 3 personnes sur 10 qui se marient à la capitale sont d’origine athénienne ; ce phénomène est plus marqué chez les hommes : 2 de ces hommes sur 10 sont nés à Athènes alors que 4 femmes sur 10 y sont nées.

Les données des actes de décès361 du Service de l’Etat Civil donnent une image différente362. Les taux de la première période sont incontestablement déformés aux dépens des Athéniens : l’origine des enfants décédés avant la fin de leur 15ème année n’est pas enregistrée dans la majorité des cas363. Cependant lors de la période 1879-1884 les Athéniens représentent 64% des personnes décédées. Au début du XXe siècle (1899-1902), le taux des Athéniens diminue considérablement et les décès des autochtones ne représentent plus que 50% des décès. Athènes attire, en tant que jeune capitale, un plus grand nombre d’immigrés que Paris (où en 1850 les immigrés représentent 70% de la population parisienne) ou Lisbonne (où en 1900 les immigrés représentent 60% de la population)364.

Tableau 48 : Pourcentage de migrants selon les actes de l’état civil (%)
Actes de : 15 ans et plus
Hommes Femmes
Décès 1879-84 75 61
Décès 1899-1902 78 65
Mariages 1862-1910 78 56

Source : Actes de décès et de mariage de la Mairie d’Athènes. Dépouillement personnel.

A cause de l’enregistrement lacunaire des années 1860 concernant les personnes de moins de 15 ans on se limitera à présenter l’origine des personnes plus âgées pour les deux dernières périodes365. L’augmentation de la part des immigrés lors de ces 20 ans est nette ainsi que la part des femmes. Ce nous laisse supposer que vers la fin du XIXe siècle les femmes commencent à arriver en masse dans la capitale.

Notes
360.

Il est certain que les actes de mariage du Service de l’Etat Civil seraient la source idéale pour étudier les caractéristiques du mouvement migratoire. Cependant, les actes conservés aux archives constituent un échantillon trop petit et les informations -que l’on peut tirer ne sont pas transposables à la totalité de notre population. Par ailleurs les actes que nous avons dépouillés ne sont pas toujours complétés et (ils) n’offrent pas d’informations sur les parents des couples. Ils ne nous permettent pas alors de tirer des conclusions sur la mobilité géographique et sociale.

361.

Aujourd’hui, les actes de décès sont la seule source représentative et disponible procurant des données et des informations sur l’origine des immigrés –surtout après 1861. L’utilisation de cette source pour étudier le mouvement migratoire vers la capitale est une démarche originale ; elle présente des difficultés et des désavantages. Le flux total des migrants vers la capitale reste un mystère. Les actes de décès ne nous indiquent pas quelles sont les dates de ces flux, l’âge des migrants à leur arrivée, s’ils viennent seuls ou accompagnés de leur famille, leur profession et/ou leur statut social. Il en est de même pour les données sur leurs parents. Il n’est pas possible, par ailleurs, de savoir s’il s’agit d’une migration temporaire ou de longue durée, saisonnière ou permanente, la durée de leur séjour. Nous nous penchons donc exclusivement sur les personnes au sein de la ville ou tout au moins qui meurent en ville. Malgré tout, les actes de décès du Service de l’Etat Civil demeurent la seule source disponible permettant l’étude du mouvement migratoire vers la capitale mais aussi celle des caractéristiques des immigrés. Et c’est cette source que nous utiliserons tout d’abord pour répondre aux questions sur l’ampleur du phénomène, l’âge à l’arrivée, la situation familiale des immigrés et leur origine.

362.

J’ai observé de nombreuses lacunes lors du dépouillement de la première période (1859-1868, période qui correspond au début de la série). Malheureusement l’origine du décédé n’est renseignée que dans 54% des actes. Cet enregistrement lacunaire est observé surtout lorsqu’il s’agit d’enfants d’un âge inférieur ou égal à 15 ans (62%). Les enregistrements lacunaires concernent aussi les adultes (25%) et les personnes âgées (13%). Le dépouillement de la deuxième période (1879-1884) offre des données sur l’origine de la personne décédée dans 99% des cas. Finalement, pour la troisième période (1899-1902), on a des renseignements dans 85% des cas. L’enregistrement lacunaire n’est observé que - à quelques exceptions près - dans les actes de décès des enfants de moins de 15 ans (91%).

363.

Comme nous l’avons déjà mentionné, lors de la totalité de la période étudiée le nombre des décès infantiles et juvéniles est très élevé : presque la moitié des actes de décès du Service de l’Etat Civil concernent des personnes de moins de 15 ans. Aussi, 9 enfants sur 10 en moyenne qui meurent à la capitale y est né.

364.

Christine Piette, Barrie M. Ratcliffe, « Les migrants et la ville : un nouveau regard sur le Paris de la première moitié du XIXe siècle », in Annales de Démographie Historique, 1993, p.263-302. Teresa Rodrigues Veiga, Maria Joao Guardado Moreira, 2004, p.178

365.

Nous avons des données sur l’origine dans 63% des cas de décès des personnes âgées de plus de 15 ans, pour la première période. Cet enregistrement lacunaire concerne surtout les hommes (60%). Pour la deuxième période nous avons des données dans 99% des cas. L’enregistrement lacunaire concerne encore une fois surtout les hommes (75%). Enfin, pour la troisième période, l’origine est enregistrée dans 98% des cas pour les plus de 15 ans. Le manque d’information concerne toujours plus d’hommes que de femmes (74%).