I. Les propriétaires

En général, les personnes qui sont enregistrées en tant que propriétaires ont des revenus (au total ou une part) venant de la possession et de l’exploitation de la terre agricole ou d’un terrain en ville. En France, les propriétaires sont souvent classés dans l’élite, avec les rentiers422. Lors de la période étudiée 7% de la population masculine active athénienne est enregistrée comme propriétaire ; ce qui démontre que la totalité de ces personnes n’était certainement pas au sommet de la pyramide de la société athénienne.

Le montant de cette fortune et les bénéfices qu’elle peut apporter sont assez variés. Dans les contrats de mariages des archives de Vouzikis, 18 contractants offrant la dot sont des propriétaires. En 1906 Sideris Ap. K. offre comme dot à sa fille Hariklia un terrain de 195m2 dans le quartier agricole de Kato Patissia, d’une valeur de 18₤. Cependant Michail P. est lui aussi propriétaire, et offre à sa fille des trousseaux et une maison de 273m2 à proximité de la place d’Omonia, d’une valeur totale de 7.164₤.

Dans les testaments qui existent dans les archives de Vouzikis 4 contractants sont propriétaires. Malheureusement seulement l’un d’eux présente une part seulement du montant de la fortune de l’héritage. Il s’agit du testament423 d’Epaminondas G. S., d’ailleurs hospitalisé à la chambre numéro 3 de l’hôpital de l’Evanghelismos. Ses héritiers sont : son ami Athanassios K., avocat, deux neveux et ses deux sœurs, Pigi et Antigoni. Le testateur laisse par ailleurs de l’argent pour la fabrication de statues, pour des donations à 8 églises et pour l’hôpital ainsi que pour les trois infirmières qui se sont occupées de lui. En tout il lègue 53.100 drachmes (1.923₤). Le reste de sa fortune, quelle qu’elle soit, il en fait donation à la marine nationale.

Parmi les 19 inventaires après décès qui existent dans l’archive du notaire, l’un concerne la fortune du propriétaire Georgios N. I. Les héritiers sont son frère Ioannis, propriétaire, sa sœur Marigo, veuve de H. M., et les fils de Marigo : Dimitris, avocat, et Constantin, lieutenant de la gendarmerie. Tous, à part le dernier qui habite à Athènes, sont résidents de Nauplie. Enfin, les autres héritiers sont les deux sœurs Eleni et Eugenia, de la famille d’A. L. (nièces, filles de sa sœur Ekaterini, qui est décédée avant lui424) ; elles sont représentées par le mari de la première, Christos T., avocat. Eux aussi sont habitants de Nauplie. Il semble donc que la personne décédée était originaire de Nauplie et habitait à Athènes. En 1904, il achète, avec l’aide d’un agent immobilier, du propriétaire Them. P. K. une maison au centre ville, à la rue Praxitelous, d’une valeur de 22.500 drachmes (655₤). Il semble, des différents contrats d’emprunts qui ont été trouvés lors de l’inventaire425, que Georgios ne soit pas arrivé à Athènes avant 1894. La fortune du défunt s’élève à 261.700 drachmes (8.500₤, c’est-à-dire l’équivalent de 4.250 salaires d’un ouvrier qualifié) et inclut des actions et des valeurs à la bourse, des bijoux et des meubles, et la maison citée plus haut. Un champ cultivable de 57 stremmes (5,7 hectares) dans le lieu dit Bolati de Nauplie n’est pas inclus dans la fortune.

Dans seulement 7 cas, les personnes déclarent une double activité professionnelle et appartiennent à l’élite de la société athénienne (deux avocats, deux médecins, un courtier et un député)426. Dans ce cas nous classons cette personne selon sa seconde activité. Mais dans les contrats ces personnes à double vocation sont à peu près 100. C’est important, vu que ces mêmes personnes à double vocation ne discernent donc pas leur emploi de leur (seconde ?) source de leurs revenus. Le fait que la personne participant à un acte notarié choisisse d’ajouter le terme « propriétaire » pour s’identifier, montre clairement la conception sociale du terme. Ces hommes proviennent de toutes les catégories socioprofessionnelles et pas seulement de l’élite. Ils exercent dans l’artisanat (charpentier, imprimeur, tanneur, cordonnier), sont fonctionnaires et militaires, commerçants (vendeur de café, épicier, vendeur de livres, etc.), exercent une profession libérale (médecin, avocat, ingénieur). Nous trouvons par ailleurs un propriétaire qui est serviteur de boutique, trois carrossiers et un vendeur de tabac. Enfin, 1 sur 5 de ceux qui déclarent une seconde profession en plus de « propriétaire » ajoute qu’il exerçait auparavant un autre métier (charpentier, vendeur d’alcool, mais aussi « sans emploi »). Ces exemples montrent que les propriétaires exercent souvent un autre métier.

Il a été soutenu que les hommes se déclarant « propriétaire » étaient des hommes d’un âge avancé427. Ce fait ne semble pas être confirmé par mon étude. Dans les actes notariés nous trouvons deux étudiants et un soldat qui se déclarent propriétaires. Aussi, dans les actes de décès, il y a des propriétaires qui décèdent à l’âge de 15 ou de 18 ans.

Bien sûr, quelquefois le terme est utilisé clairement pour des raisons d’identification sociale. Comment expliquer autrement le cas de Konstantinos I. A., douanier originaire de la ville de Volos, propriétaire de deux maisons : l’une au faubourg deNouveau Phalère et l’autre au centre commercial, sur la rue Evripidou 68. En un an, il loue ces deux maisons à quatre locataires différents. Konstantinos se déclare douanier dans les trois cas où les locataires sont couturier, licencié militaire ou caissier. Mais lorsque le locataire dans le 4ème cas est médecin, cette fois il apporte à l’acte notarié la mention, « propriétaire ».

Nous nous rappelons par ailleurs du cas d’Konstantinos E., docteur de droit, qui se déclarait propriétaire après avoir reçu une dot. Malheureusement le manque d’archives, comme les registres d’impôts, ne nous permet pas d’étudier plus en profondeur la fortune des propriétaires. Il semble que la fortune qu’ils possédaient et les revenus qui leurs en revenaient leur offraient un niveau de vie meilleur, vu qu’ils meurent en moyenne 13 ans plus tard que les agriculteurs et 7 ans plus tard par rapport à la moyenne de la population !

Tableau 2 : Agriculteurs, pêcheurs, propriétaires. 1860-1910. Age moyen au décès
Profession Total
N Age moyen au décès
Propriétaire 664 63
Pêcheur 22 41
Agriculteur 652 50
Total du secteur 1.338 56
Total 9.810 48

Source: Actes de décès des années 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Notes
422.

« C’est la propriété qui porte prestige et respectabilité. [ ] Il est vrai que le terme de propriétaire est équivoque dans les nomenclatures hésitantes du XIXe : il désigne aussi des gens sans véritable patrimoine et qui vivent dans les quartiers riches sans vraiment participer ni de la richesse, ni du pouvoir qui s’y attache ; mais la plupart d’entre eux sont soit des éléments retirés de la vie active et dont les héritiers sont aux affaires, soit toujours des nantis qui vivent de leurs seuls revenus et souvent, nobles ou roturiers, depuis plusieurs générations ». Maurice Agulhon (dir), La ville de l’âge industriel. Le cycle haussmannien, Editions du Seuil, 1998, p.499-500.

423.

Acte notarié no 20.996 du 21 février 1906.

424.

Comme il en résulte par la distribution de la fortune de l’héritage de G.N.I, Acte notarié no 20.017 du 3 février 1905.

425.

En tout, de 1894 à 1904, G. N. I. semble avoir prêté en tout 8.633 drachmes (221₤).

426.

Il s’agit d’Andreas Syggros (Constantinople 1830 - Athènes 1899), politicien, banquier et bienfaiteur grec.

427.

Y. Yannitsiotis, 2006, p.56.