I. Ingénieur ou mécanicien ?

La profession du « mécanicien » nous a posé problème : le terme grec « mécanicien » est assez vague (ingénieur civil, mécanicien) car la personne peut exercer dans la navigation commerciale ou militaire ou bien dans l’industrie ou l’artisanat, comme dans les travaux publics. Dans le recensement de 1907 les « mécaniciens » apparaissent dans la catégorie des professions libérales mais aussi dans celle des transports (c’est-à-dire en tant que personnes qui travaillent dans des bateaux à vapeur, chemins de fer et usines à vapeur). Il existe des chercheurs comme Chr. Agriantoni446, qui soutiennent que les mécaniciens doivent être classés dans l’industrie/artisanat et qu’aurait été un anachronisme de les considérer comme professionnels libéraux.

Les « mécaniciens » apparaissent comme une catégorie distincte pour la première fois dans le recensement de 1879 : 705 « mécaniciens » existaient alors en Grèce et 65 dans le dème d’Athènes. L’Ecole des Ingénieurs étant fondée en 1887 et les 13 premiers ingénieurs ayant terminé leurs études en 1890447, il est certain que ces « mécaniciens » ne sont pas de diplômés formés en Grèce. Mais existaient aussi des ingénieurs avant la fondation de l’Ecole grecque, apparemment venant d’universités étrangères, mais aussi des ingénieurs étrangers qui habitaient en Grèce448. D’ailleurs, le fait qu’ils soient inscrits dans une catégorie distincte nous fait penser que leur statut n’était pas négligeable.

On rencontre les premiers « mécaniciens » dans les actes de décès les années 1880. 6 d’entre eux sont d’origine étrangère : France, Italie, Autriche, Suisse. A la fin du siècle leur nombre augmente : ils sont 20. Sur les 20 hommes qui meurent à la capitale lors de la période 1899-1902, 10 sont originaires d’Athènes, les 6 autres d’autres régions alors que 4 d’entre eux viennent de l’étranger. Entre temps d’autres spécialisations relatives à la profession d’ingénieur apparaissent, comme les ingénieurs du département (c’est-à-dire fonctionnaires) et les ingénieurs militaires. Un fait qui reste flou est le suivant : nous ne savons pas si tel ou tel ingénieur exerce dans les travaux publics ou dans l’industrie ; s’ils sont allés loin dans leurs études ou s’ils sont spécialisés dans la manipulation de machines spécifiques. Le guide d’Igglessis de 1905 est témoin d’une confusion qui existait pour la profession d’ingénieur : il n’est pas rare de rencontrer la même personne qui est désignée en tant que mécanicien dans la liste des professionnels et « architecte » dans la liste des habitants449.

D’ailleurs, dans les actes de mariage450 il existe 76 « mécaniciens » inscrits qui sont nés vers le milieu des années 1860. Nous avons trouvé 5 d’entre eux qui ont été professeurs à l’Ecole des Arts Industriels et deux d’entre eux qui ont été nommés en tant qu’Ingénieurs du Département. En dehors de ceux-ci, 28 personnes se déclarent machinistes, Ingénieurs du département451, chefs de chantiers, mécaniciens de gaz d’éclairage, mécaniciens de la Marine Royale ou ingénieurs civils452. L’un d’entre eux était professeur à l’Ecole Polytechnique. Il s’agit de Georgios M. originaire de Patras, qui en décembre 1901453 et à l’âge de 27 ans, épouse Ekaterini M., 20 ans, d’Athènes. Il s’agit pour tous deux de leur premier mariage et ils signent l’acte. La cérémonie est effectuée dans la maison du père de l’épouse, Kitsos M., fils du général M., à la rue Falirou 3 (dans l’actuelle région de Makriyiannis). G. M. a été professeur de l’Ecole Polytechnique lors de la période 1896-1938 ; il avait fait ses études à l’Ecole des Mines454.

On a décidé donc que les 20 « mécaniciens » rencontrés lors de la période étudiée dans nos sources appartiennent aux cadres supérieurs.

Notes
446.

Christina Agriantoni, 1986, p.357.

447.

En tout, de 1889 à 1902, 139 ingénieurs diplômés sortent de l’Ecole grecque des arts mécaniques. Yannis Antoniou, 2006, Tableau 5, p.199.

448.

Nous savons que vers le XIXe siècle, 180 étudiants grecs étaient inscrits dans des écoles françaises. Plus précisément, entre 1880-1895, 70 étudiants grecs étaient inscrits dans les Grandes Ecoles. Nous savons par ailleurs qu’entre 1855-1900 à Zurich 23 étudiants grecs ont pris leur diplôme. Enfin, en 1880, au pôle des travaux publics du ministère de l’intérieur, 41mécaniciens ont été embauchés. Yannis Antoniou, Les ingénieurs grecs. Institutions et idées, 1900-1940, Athènes, éditions Vivliorama, 2006, p.156, 159, 160.

449.

Après le croisement des deux listes du Guide, (adresse des habitants et adresse des professionnels) sur 24 architectes-exerçant un métier qui apparaissent dans les deux listes, 6 d’entre eux sont enregistrés comme ingénieurs dans la liste avec l’adresse de résidence alors que des 44 mécaniciens – exerçant un métier, 3 sont enregistrés en tant qu’architectes.

450.

Comme nous l’avons déjà mentionné, les actes de mariage du service de l’Etat Civil sont une source d’archives particulière, vu qu’y sont sur représentées l’élite (21%) et les couches moyennes (66%) de la société athénienne alors que le milieu populaire est sous représenté.

451.

D’ailleurs l’un d’eux sera désigné directeur de l’Ecole Polytechnique. Il s’agit d’Aggelos G., originaire de Spetses, qui épouse en 1898 à l’age de 39 ans Antigone S., 25 ans, originaire d’Athènes, dans la maison du père de l’épouse, à la paroisse des Agioi Theodori. A. G était depuis 1886 ingénieur du département d’Arcadie. Acte de mariage numéro 59, Tome AB, 1898. Lors de la période 1898-1927, il a été professeur et directeur de l’Université Nationale de Technologie. Il dirigeait le domaine des travaux portuaires et hydrauliques et avait étudié aux universités de Dresde et Karlsruhe. Yannis Antoniou, 2006, Tableau 8, p.202.

452.

Leur dernier fils, Kitsos Maltezos (né en 1921) est mort à l’âge de 23 ans, lors de l’Occupation.

453.

Acte de mariage numéro 1, Tome A, 1902.

454.

Yannis Antoniou, 2006, Tableau 8, p.202.