11. « Manufacturier - Industriels - Armateurs - Rentiers – Monnaie (emplois de l’argent, courtier, Bourse) »

Il est certain que certaines personnes de cette catégorie sont économiquement inactives. Cependant toutes ces personnes appartiennent au sommet de la pyramide socio-économique, à l’élite de la société athénienne. Cette population représente une part très faible de la population masculine adulte sur le total des trois périodes étudiées. Lors des années 1860, elle représente tout juste 0.3% de la population masculine alors qu’à la fin du XIXe siècle elle en représente 0.6%. La plupart d’entre eux exercent des professions qui ont un certain rapport avec l’argent (banquiers, boursiers467, prêteurs de fonds etc.). Nous remarquons par ailleurs que lors des deux dernières périodes (1879-1884 et 1899-1902) un homme sur deux mourant à Athènes vient de l’Empire ottoman468.

Au sommet de tous, Andreas Syggros, banquier né à Constantinople en 1830 avec un père venant de l’île de Chios. Il a fondé dans sa ville natale, avec G. Koronios et Stephanos Skouloudis, la Banque de Constantinople. En 1872469 il s’est installé à Athènes au Mégaron Syggrou, en face du Palais Royal, au 5 de la rue Vassilissis Sophias. Trois ans plus tard, en 1875470, il épouse Ifigenia Mavrokordatou, fille de Ioannis et de Aglaia (aïeule de la famille renommée des Fanariotes Mavrokordatos), originaire elle aussi de Constantinople. Leur mariage est célébré chez D. Soutsou (aïeul lui-même de la grande famille de Fanariotes. Il sera plus tard maire d’Athènes) au sein de la paroisse d’Agios Georgios Karitsis471. En 1872 il fonde la Banque Générale De Crédit472 et une décennie plus tard –en 1881- il fonde la Banque de l’Epire - Thessalie. Andreas Syggros a été mêlé à un des plus grands scandales boursiers de l’époque, connu jusqu’à aujourd’hui en tant que les Laureotiques 473. Il a joué un grand rôle en ce qui concerne l’appauvrissement de l’Etat grec en 1893474 et a été un des mécènes les plus importants du pays. C’est grâce à son argent que le canal de Corinthe été ouvert, que le Théâtre municipal d’Athènes a été fondé. Sans oublier les prisons de Syggrou, l’atelier des femmes démunies, ainsi que beaucoup d’autres fondations d’intérêt public à Chios et à Constantinople. Il légua de grandes surfaces à l’orphelinat « Amalio ». Par ailleurs il donna de grosses sommes pour ériger entre autres une nouvelle aile à l’hôpital Evanghelismos et pour ouvrir une grande avenue, qui porte d’ailleurs son nom, reliant Athènes au Vieux Phalère. Il se faisait élire dès 1885 député de Syros. Andreas Syggros est mort sans enfants à Athènes en février 1899 à l’âge de 68 ans475.

Syggros représente l’élite de la société athénienne, mais aussi de l’Etat grec ; nous rangeons aussi dans cette catégorie les industriels comme Anggelos Pyrris (1866-1916). Pyrris a fondé au faubourg d’Ambelokipi en 1888 (faubourg qui a été intégrée au dème d’Athènes au début du XXe siècle) une usine de fabrication d’étoffes à vapeur dénommée « Pyrris A. et P.S ». En 1904 l’usine fonctionnait avec une force motrice de 80 chevaux, sa production annuelle des étoffes de laines et des draps s’élevait à 43.000₤ (1.500.000 drachmes), et elle occupait plus de 200 ouvriers476. En 1904, il tient une boutique commerciale de produits en laine avec son frère Alékos477sur le croisement de la rue Nteka (aujourd’hui dénommée Mitropoleos) avec la place Kapnikareas, très près de la Cathédrale. Anggelos a aussi été conseiller municipal et une des personnes ayant travaillé pour la fondation de l’Association des Industriels et Manufacturiers Grecs ; Il touchait à plusieurs domaines : à la laine, la céramique, au bois et à l’industrie de fabrication de farine478 etc. Sa maison existe toujours au quartier d’Ambelokipi, derrière la petite église d’Agios Andreas à l’Hôpital Hippocratio.

Notes
467.

Les boursiers et les courtiers de bourse apparaissent pour la première fois lors de la dernière période, vu que la bourse d’Athènes –et la seule bourse grecque jusqu’à aujourd’hui- à commencé à fonctionner après 1876.

468.

Ces hommes proviennent surtout lors de la première période (1879-1884) des régions comme la Macédoine et Chios. Nous savons en ce qui concerne la Macédoine que la première banque de type occidental, la Banque Ottomane, a été fondée tout juste en 1863. Avant cette date les usuriers et les banquiers privés y étaient très puissants. C’était le plus souvent des Juifs, des Arméniens et des Chrétiens. Mark Mazower, Thessalonique. Ville des fantômes. Chrétiens, Musulmans et Juifs, 1430-1950, Athènes, éditions Alexandria, 2004, p.197. A la fin du XIXe siècle les hommes-banquiers qui meurent à la capitale viennent le plus souvent de Constantinople. Fait qui est en harmonie avec l’arrivée des grecs de l’étranger qui avaient pour but de prendre une part des revenus agricoles par le biais de la fondation d’entreprises de banque et finance. G. B. Dertilis, Histoire de l’Etat grec, 1830-1920, Athènes, Librairie Estia, 2006, Tome A, p.416.

469.

En 1921, après la mort de la femme du propriétaire, Ifigenia Mavrokordatou - Syggrou, le Mégaron a été laissé à l’Etat grec pour héberger le Ministère de l’Extérieur.

470.

Acte de mariage No 10, Tome 1875 AB.

471.

Connue aujourd’hui en tant que « la maison jaune », sur la rue Panepistimiou, il s’agit d’un des bâtiments les plus vieux de cette rue. Notons que D. Soutsos avait hérité d’une fortune immense, surtout immobilière, de son père Skarlatos Soutsos ; il en a vendu une grande partie à A. Syggros.

472.

La fondation de cette banque est le premier investissement important des grecs de l’étranger en Grèce. G. Dertilis, 2006, p.411.

473.

En 1863, après l’initiative de l’homme d’affaire italien Giovani Battista Serpieri, la société de Laurion est fondée. Il s’agit d’une compagnie d’exportation de plomb à Laurion. Lorsque Serpieri a tenté cependant d’exporter de l’or des embouchures, l’état a soutenu que celles-ci lui appartiennent et que l’homme d’affaire tentait de s’enrichir grâce à de l’argent qui pourrait sauver l’économie du pays. Plus l’Etat insistait, plus la rumeur que Laurion cachait des rivières d’or se rependait. La tournure du débat a été l’un des facteurs qui conduira à la chute du gouvernement. Le nouveau président, Ep. Deligiorgis, choisira de résoudre le problème via la vente des actions de la société par des fonds privés. L’acheteur sera finalement le banquier A. Syggros. La nouvelle société des métaux de Laurion se transforme en société par actions et tout le monde est hanté par une manie d’obtenir ces actions. Des fortunes entières se font en une nuit mais personne ne s’occupe de la valeur réelle du plomb de Laurion. Les enregistrements des achats des actions de Laurion constituent un des premiers actes financiers qui ont été effectués à Athènes. Au départ, et en quelques mois, le prix de l’action triple. Elle retombe cependant très vite à sa valeur nominative. L’effondrement fera doubler les faillites, envoler les petites épargnes, et amènera finalement à la chute du gouvernement. Jouer avec les actions a entraîné la plus grande crise boursière du siècle. G. Dertilis, 2006, p.423-491. Les évènements cités plus haut donnèrent beaucoup d’idées pour exercer ses satires. Dans les « Orismous », à travers « Asmodeos », nous apprenons ce que signifient les mots mine et le dividende. « Mine : l’erreur souterraine » ; « Dividende : Mot ancien, aujourd’hui inutile ». Michail Mitsakis écrira par ailleurs le récit « Un orpailleur Athénien », où le héros Megglidis répète souvent la phrase « nous donnerons les pierres de Dieu, nous donnerons les montagnes de Dieu, et nous recevrons quelques sterling !... »

474.

Il est raconté que A. Syggros a empêché le gouvernement de Tricoupis de procéder à un nouvel emprunt car il visait à ce qu’il fasse faillite et à ce qu’il obtienne les privilèges de la banque. Il est d’ailleurs considéré responsable de l’éloignement de Théodoros Diligiannis, alors Premier ministre, du pouvoir, en février 1892.

475.

Acte de décès No 184, Tome ΑΒ.

476.

S. Koussoulinos, Guide de Grèce, 1904, Athènes, Imprimerie Sp. Koussoulinos, Tome D’, p.222. (Bibliothèque Gennadios).

477.

La maison de campagne d’Alekos Pyrris existe encore ; elle abrite un restaurant, le « Baltazar ». Journal Mikros Romios, période D’, Année 17e, No 83, février 2003.

478.

Journal Imerissia, http://www.imerisia.gr/article.asp?catid=13774&subid=2&pubid=316733.