12. « Ambulant - Mendiants – Prisonniers »

Nous insérons dans la couche sociale la plus basse de la capitale les petits marchands et les marchands ambulants qui crient dans la rue, comme le cireur, le vendeur de petits pains chauds, les vendeurs de pistaches, les nettoyeurs de voitures mais aussi les porteurs d’eau et les vendeurs de glace. Nous trouvons dans des contrats de location de boutiques de notre notaire 5 d’entre eux : 4 vendeurs de pois chiches et 1 camelot. Les loyers qu’ils doivent débourser sont assez bas. 3 d’entre eux résident dans une région éloignée du dème ; ce qui sous-entend un caractère assez provisoire de leur installation, tout au moins au début. Dimitrios R., vendeur de pois chiches et habitant du village Krania de Chalcis (Eubée), loue en 1886 une boutique sur la rue Aischilou 9 afin d’exercer son métier. Il renouvelle son contrat les deux années suivantes. En 1888 Dimitrios déclare qu’il est habitant d’Athènes.

Nous avons aussi classé dans cette catégorie les vendeurs de tabac. En effet, dans les contrats que nous avons dépouillé, les vendeurs de tabac louent le plus souvent un banc, une fenêtre sur la sortie d’une autre boutique : d’une épicerie, d’un café, d’un coiffeur et d’une pâtisserie. Il n’est pas rare qu’il s’agisse d’une sous-location. Le commerçant de tabac il a été classé avec les commerçants.

Nous avons ajouté dans ce groupe populaire les mendiants, les chiffonniers mais aussi les forçats-prisonniers. Il s’agit d’une catégorie qui enfle en nombre (18 pour la décennie 1860, 50 à la fin du siècle), et elle représente 1% du total de la population masculine. Cependant cette évolution n’est pas due à l’augmentation des mendiants, dont le nombre reste presque stable (12 pour les années 1860, 15 pour 1899-1902) mais à l’augmentation du nombre des prisonniers. L’âge moyen au décès pour cette catégorie semble être de 7 ans de plus que du total (55 ans contre 48) et ce à cause des mendiants ! Alors que les prisonniers sont pour leur majorité plus jeunes, (l’âge moyen au décès est de 38 ans) les mendiants sont âgés : en moyenne, ils meurent à 71 ans. Peut être que leur physionomie leur donnait l’image d’une personne très âgée mais qu’en réalité ils ne l’étaient pas. Il est en effet difficile d’admettre que les mendiants ont un âge au décès plus avancé que celui des médecins ou des avocats.

Michail Mitsaskis, dans son récit Dessin nocturne 479 décrit de manière détaillée ces personnes qui, minuit passé, alors qu’il y a un bon moment que le reste de la ville s’est endormi, viennent juste de terminer leur journée de travail.

‘« Trois heures après minuit, et la place d’Omonia est déserte…[] Un par un, progressivement, les commerces, les cafés qui l’entourent, se vident de leurs clients…deux tabacs seulement, sans sommeil, côte à côte, sur le bout de la rue Stadiou, illuminent le trottoir de la lumière blanche sortant de leurs ampoules. Plus loin, au fond [ ], on voit un des cafés à moitié éclairé [ ] un peu après le café Ivi, la musique ambulante, embauchée pour faire plaisir à ceux qui boivent des bières, a fini de jouer la Traviata. Et les garçons qui vont et viennent transportent des sièges, [ ], ramassent les verres qui restent, ballaient les mégots du plancher, ainsi que les coques des pistaches. [ ] Trois-quatre voitures se tiennent sur la place et attendent quelque passager nocturne, avec leurs animaux fatigués, qui dorment presque debout.
En face, [ ] éveillé aussi, le kiosque [ ] ; et dedans son vendeur, qui dort assis sur sa chaise, en prenant toute la surface étroite. [ ] Sur un des bancs, à proximité de l’estrade d’où la musique est jouée, [ ] on discerne deux personnes qui sont assises. La première, un homme haut de taille, avec une barbe noire, [ ] en tenant une baguette remplie de nœuds dans sa main est assis à l’une des extrémités ; la deuxième est un petit cireur, âgé au plus de 10 ans, avec sa casquette qui couvre son beau visage [ ] il est assis à l’autre bout.
-petits pains chauds !... a retenti une voix, une ombre est apparue dans la pénombre du café, entre un tourbillon de poussière, en tenant un grand plateau sur sa tête et un trépied entre ses mains.
[ ] Il éteint le gaz dans la brasserie, ses portes se sont fermées, le vendeur de pains chauds s’est éloigné, et seuls le barbu et le cireur étaient encore sur le banc, préparant des négociations dissuasives ».’
Notes
479.

Publié dans le Journal Akropolis du 16 mai 1893. MITSAKIS Michail, Proses, Athènes, 1988, p.234-243.