Tout au long de la période étudiée, des nouvelles banques566, la Bourse et un nombre important d’entreprises sont fondés au sein de la capitale567. En 1860 la seule banque qui existe est la Banque Nationale. La décennie suivante se fondent la Banque de Crédit Industriel (1874), la société anonyme d’Eclairage à Gaz (1873) ainsi que deux sociétés métallurgiques : La Société Métallurgique de Laurion (1873) et la Société Métallurgique Française de Laurion (1876). C’est aussi lors de cette décennie qu’est créée la Bourse (1875). A partir des années 1880 et jusqu’à la première décennie du XXe siècle 17 banques et plus de 30 nouvelles sociétés568 sont fondées ou déménagent leurs bureaux dans la capitale569. Entre elles la Poudrerie Grecque, (1882), la Société Electrique Grecque (1899) et la Compagnie d’Assurance « Mutuelle » (1902).
Mais lors de ces 50 dernières années nous voyons aussi le nombre de petits ateliers augmenter570. Les différentes boutiques commerciales se multiplient aussi, car elles sont appelées à couvrir les besoins d’une population urbaine qui s’accroît continuellement. Entre 1860 et 1905 la population de la capitale est multipliée par quatre et nous comptons dix fois plus de boulangeries (de 26 au départ, elles sont 278), ce qui montre que les Atheniens s’éloignent de leurs habitudes d’autosubsistance. Le même phénomène est remarqué dans le domaine du vêtement et de la chaussure. (Les couturiers étaient 76 et sont devenus 236 et les cordonniers étaient 90 et sont passés à 254). Le nombre de boutiques commerciales a aussi augmenté : de 81 cafés et 85 marchands de vin en 1860, ils sont 45 ans plus tard 585 et 400. De 234 épiceries en 1879, il y en a 577 en 1905. La concentration de consommateurs, qui conduit à ces changements, entraîne aussi la croissance du taux de la population active dans le secteur tertiaire, donc entre autre des employés.
Pendant la période étudiée de nouvelles professions apparaissent aussi, comme celle du géomètre et du minéralogiste. En même temps il y a une augmentation des aubergistes, des maîtres et des professeurs. Le guide de 1860571 mentionne tout juste 6 hôtels notables et note qu’à part ceux qui sont mentionnés, il y en a d’autres, nombreux, petits et à bon marché. Le Guide de Koromilas en 1874572 en note 10 alors que le guide d’Igglessis, en 1905573, enregistre 55 hôtels.
L’augmentation du nombre des maîtres et des professeurs, ne concerne seulement les hommes qui travaillent au sein d’une école. En effet les habitudes urbaines conduisent à l’apparition des professeurs de danse, d’escrime, de musique et bien entendu des professeurs de français. Ces cours visent certainement l’élite de la société athénienne mais aussi les couches moyennes de la population. En 1905574 G. Polihronopoulos propose des leçons d’équitation à la rue Pindarou dans le quartier de Kolonaki ; on compte par ailleurs 62 professeurs de musique (et 10 boutiques qui vendent des instruments de musique), 21 professeurs de langues et 6 salles où se déroulent des cours de danse.
Une des caractéristiques des couches moyennes, c’est leur complexité, qui résulte de leur polymorphisme575. Ce que les hommes de cette couche ont en commun, c’est le rejet du travail manuel. Leur polymorphie cependant implique une hiérarchie intérieure, difficile à définir. En tout cas nous avons inclus dans ces couches des personnes qui possèdent un bien foncier : 6 sur 10 d’entre elles jouissent de la location de biens immobiliers qui leur rapportent plus de 2₤ par mois. 3 sur 10 d’entre elles en gagnent d’ailleurs plus de 4₤, c’est-à-dire une somme équivalente au salaire de l’employé au poste le moins prestigieux de la Banque Nationale en 1891.
Au niveau le plus bas de ce groupe se trouvent les employés des boutiques commerciales. L’employé n’est pas un patron, puisqu’il n’est pas indépendant, mais il n’est pas ouvrier, moins parce que son travail n’est pas manuel que parce qu’il s’insère dans une division complexe des tâches d’organisation et de fonctionnement d’une entreprise sans prise sur la production. [ ] L’employé est le médiateur entre l’entreprise et le monde, entre le haut et le bas de la hiérarchie, entre la stratégie et le résultat final576. Leurs salaires ne sont pas élevés, au contraire. Mais ils ont un salaire qui leur permet, lorsqu’ils parviennent à l’économiser et à rassembler un capital initial, de monter leur propre affaire. Le contact avec la clientèle de la boutique étend leurs réseaux de connaissances et ils rassemblent ainsi une éventuelle future clientèle. Finalement, au plus bas niveau de la hiérarchie de cette couche nous trouvons les « aides », qui gagnent un faible salaire dans le secteur privé ou public, comme les concierges, par exemple.
Les employés de la banque à des positions « intermédiaires » appartiennent sûrement à l’autre extrémité, c’est-à-dire au sommet des couches moyennes. Leurs salaires font parti des plus importants de la capitale, ce qui leur permet d’investir dans des biens immobiliers, qui permettent, après leur location, de gagner pratiquement un deuxième salaire. Nous insérons par ailleurs dans ce groupe les fonctionnaires et les militaires de grade « moyen ». Il est certain que leurs salaires sont moins importants que ceux des employés de banque, mais leur salaire mensuel régulier les distingue du reste des personnes qui travaillent dans l’administration et la force publique dans de grades plus bas.
Entre ces deux extrémités nous avons choisi d’intégrer les fonctionnaires et les militaires « de bas grade »577 ainsi que les artisans. Il est certain que certains artisans auraient pu appartenir au sommet des couches moyennes de la population. Mais les sources que nous utilisons ne nous permettent pas cette distinction. Nous savons cependant que la taille de ces manufactures est très limitée et le nombre des employés qui y sont employés est très petit lors de la période étudiée. Il est donc certain que ces personnes n’appartiennent pas au sommet de la pyramide sociale de la capitale.
Il est nécessaire de préciser un dernier point. Dans les pays de l’Occident les négociants et les propriétaires sont classés au sein de l’élite de la société urbaine578. Nous aurions fait de même pour la Grèce s’ils complétaient les mêmes critères. Cependant d’après nos sources nous ne pouvons pas faire cette distinction. Nous avons vu pour les propriétaires qu’il existe une grande fourchette en ce qui concerne leur fortune, mais aussi qu’ils proviennent de milieux sociaux différents. Il est certain que certains d’entre eux appartiennent à l’élite athénienne, comme Michail S. P., mentionné tellement de fois. Michail est un athénien autochtone et le fils de Spiridonas P., éphore et démogéronte athénien en1822 et par la suite conseiller municipal et supporter du parti de Kallifronas. Michail possède (selon l’archive de notre notaire) 14 biens immobiliers, prête de l’argent et donne à sa fille l’une des dots les plus importantes rencontrées dans notre étude. Une partie de sa fortune qui lui vient de l’héritage paternel et qu’il a partagé avec sa sœur Efrossini, épouse d’un avocat, est évaluée en 1859 à 350£. (10.000 drachmes). Mais des personnes comme Michail font exception dans la société athénienne. Les grands négociants font aussi exception. Comme le note d’ailleurs G. Dertilis c’est les Grecs de l’étranger qui dominent le grand commerce extérieur et non les marchands de l’intérieur, qui doivent sans doute appartenir aux couches moyennes579. Nous avons donc décidé d’insérer ces deux groupes dans le sommet des couches moyennes de la société athénienne en sachant cependant que quelques personnes entre elles appartiennent à l’élite.
La tendance de la couche moyenne à embaucher un personnel domestique dans le but d’imiter les pratiques de l’élite de la société est confirmée par les contrats d’embauche de domestiques ou des règlements des salaires de domestiques qui existent dans le fond d’archives de notre notaire. Les hommes qui embauchent des domestiques sont surtout les propriétaires, les commerçants et les fonctionnaires.
Michail Mitsakis rapporte les habitudes de la couche moyenne580 vers la fin du XIXe siècle. Son comportement ne diffère pas beaucoup de celui du reste des pays de l’occident. Il confirme que l’une de ses caractéristiques les plus marquées, c’est la démonstration, et l’angoisse du chef de famille qui gagne 300 drachmes par mois à faire passer au sein de son cercle le sentiment qu’il porte l’image de la vie d’un riche. Les jeunes filles doivent obligatoirement parler français et savoir jouer au piano. Le piano est toujours décoré et ne manque jamais de salle de la maison, même si les autres chambres restent nues, comme des appartements d’un hôtel ignoble. Des danses et des soirées se déroulent l’hiver alors que l’été, ils vont au Phalère581.
‘« Puis vient la couche moyenne. La couche qui n’a aucune personnalité. Employés en basse position, professionnels, retraités, petits rentiers, étudiants. Si la vie de la couche sociale la plus élevée de Grèce est la copie de la vie des couches les plus élevées d’ailleurs, alors la vie de nos citadins est la copie d’une copie, le duplicata d’un duplicata. Notre société actuelle tend à se baser et à former la nouvelle société en se fondant beaucoup à l’apparence extérieure. La bourgeoisie grecque est le représentant le plus caractéristique de cette tendance. Quel est le problème si le contenu d’un verre est modeste si son extérieur brille ? Quel est le problème si les vêtements, à l’intérieur, sont couverts de saletés et de boue s’ils semblent élégants ? [ ] Les jeunes de la famille font des promenades dans les rues et les places, se parent en achetant à crédit, font des promenades en voiture, jouent au billard dans les cafés et alignent des dettes ».’Kostas Kostis, Vassias Tsokopoulos, Les banques en Grèce 1898-1928, Athènes, Union de banques grecques, Editions Papazissi, 1988.
Christos Hadziiossif, La vieille Lune. L’industrie au sein de l’économie grecque, 1830-1940, Athènes, éditions Thémelio, 1993. voir surtout p.203-236.
N. I. Igglessis, Guide de Grèce, 1ère année, 1905 – 1906.
En 1896, en Grèce existaient 13 sociétés anonymes. En 1904 elles sont 20, en 1918 56 alors qu’en 1924 les sociétés anonymes atteignent les 130. X. ZOLOTAS, La Grèce au stade de l’industrialisation, Athènes, Banque de la Grèce, 1964 (b’), p.121.
C. Agriantoni, 1999, p.173.
La nouvelle Athènes…, 1860.
D. A. Koromilas, Guide d’Athènes de l’année 1874, 1ère année, Editions A. Koromilas, 1873.
N. I. Igglessis, Guide de Grèce, 1ère année, 1905 – 1906.
N. I. Igglessis, Guide de Grèce, 1ère année, 1905 – 1906.
Jean-Luc Pinol, 2000, p.248.
Christophe Charle, 1991, p.188.
L’inventaire après décès du fonctionnaire G. S. témoigne de la situation difficile vécue par une partie de ces hommes. G. S. vivait à une chambre de l’étage du milieu d’une maison sur la rue Nikis, sur la place de Syntagma. Le fonctionnaire meurt en 1889. Selon l’inventaire après décès, la fortune de G. se consiste en quelques habits et livres et de 15 obligations. La valeur de ces biens est estimée à tout juste 11₤, somme qui correspond à 5 mois de salaire d’un huissier employé dans l’administration publique.
Jean-Luc Pinol, 1991, P. Guillaume, La population de Bordeaux du XIXe, Paris, A. Colin, 1972.
Georges Dertilis, 1985 (c’), p.85-86.
Michail Mitsakis, 1988, P.68-83.
Région au bord de la mer, à proximité du Pirée, qui à commencé à se développer après 1874 lorsqu’elle est reliée à la capitale par le train. Son apogée a été noté après 1880, lorsqu’une estrade au bord de la mer a été construite pour se promener et une buvette, un petit théâtre en plein air et un grand hôtel comportant un restaurant, une pâtisserie et une salle de danse ont été édifiés. Le déclin de la région a commencé en 1917, lorsque la mer a été polluée par une usine chimique voisine. Après la fin de la première guerre mondiale, la région a été complètement désertée.