Chapitre XIII. Le travail des femmes et des enfants

A. L’activité féminine au XIXe siècle

Comme pour les autres pays, les données sur l’activité féminine sont rares. Les recensements grecs apportent des données en ce qui concerne les servantes, les ouvrières, les sages femmes et les institutrices, mais celles-ci sont assez douteuses. C’est un fait, l’activité féminine salariée n’était pas rependue619 dans le milieu urbain du XIXe siècle et du début du XXe. Cette situation semble changer graduellement, ainsi que le rôle et la place de la femme. C’est caractéristique que les voyageurs qui rendent visite à la capitale au milieu du XIXe siècle, notent que les femmes circulent rarement au bazar ou dans les rues. « Les hommes ont gardé cet avantage du temps de l’empire ottoman ou plutôt depuis l’antiquité »620. Cependant G. Deschamps, à la fin du XIXe siècle, se réfère aux athéniennes qui se promènent sur la rue Ermou où elles vont faire leurs courses mais aussi aux institutrices et aux gouvernantes qui accompagnent les enfants à la promenade sur la place de Syntagma ainsi qu’aux servantes qui désormais vont aux Halles pour qu’elles fassent les courses de la famille. « Il y a quelques années, l’usage admet- tait qu’on allât, en personne, faire ses provisions de bouche. On voyait des ministres disputer à des députés de l’opposition, les rougets à bon marché, et même les octapodes [ ] Ces mœurs innocentes ont disparu. Les personnes qui croient appartenir à la « société » athénienne aiment mieux se priver d’un plat que d’aller le chercher elles-mêmes » 621 .

Le textile, la branche des vêtements –comme l’industrie du tabac en province-, sont les branches qui réunissent les taux les plus importants de l’activité féminine et souvent juvénile. Par ailleurs le travail salarié féminin est considéré comme bon marché, plus discipliné et facilement supervisé622. En effet, les salaires journaliers des femmes au sein de l’industrie sont très faibles et atteignent la moitié du salaire journalier masculin623. Bien entendu l’usine et les ateliers ne sont pas les seules voies pour l’activité féminine professionnelle. La solution la plus adoptée par les femmes est de devenir servante (dans une famille ou dans diverses fondations de l’époque), -ou de se tourner vers d’autres travaux « d’aide » comme laveuse ou repasseuse. En général, les choix des femmes concerne principalement des professions de faible prestige social, manuelles, et qui ne nécessitent pas de connaissance spécifique.

D’ailleurs, le taux d’analphabétisme des femmes est très élevé. En 1879 93% des femmes sont illettrées alors qu’en 1907, quoique ce taux diminue, il reste tout de même à des niveaux élevés (83%). La conception générale que l’éducation était un moyen pour l’ascension sociale, concernait plutôt les garçons que les filles de la famille. La profession de l’institutrice donc, ou même de sage femme, est plus considérée par la société. Les salaires au Arsakio –école privée pour les filles- en 1862 sont indicatifs. La servante reçoit 25 drachmes par mois (0.9₤), alors que le salaire de l’institutrice de la 5ème classe est de 270 drachmes (9.3₤) et celui de la directrice de 744 drachmes (25.7₤), un salaire plus haut que celui du président de l’Aréopage, qui est en 1861 de 600 drachmes (20.7₤)624! Mais aussi à l’Hospice des enfants abandonnés en 1885, on observe que même si le niveau des salaires est bien moins élevé, les différences salariales sont très marquées. La servante reçoit 30 drachmes par mois (1.1₤) alors que la couturière en reçoit 50 (1.9₤) et la directrice reçoit un salaire allant jusqu’à 250 drachmes par mois (9.5₤), somme moins importante que celle gagnée par un professeur dans le public en 1886 (250 drachmes ou 9.5₤)625.

Tableau 18 : 1862, Salaires féminins à Arsakio (Ecole privée des filles)
Position Salaire mensuel en drachmes Salaire mensuel en ₤
Servante 25 0.9
Superviseuse des lavages 30 1.0
Surveillante d’hôpital 40 1.4
Surveillante 60 2.1
Institutrice de Phonétique 60 2.1
Institutrice de première classe 70 2.4
Femme de charge 100 3.4
Institutrice d’histoire 120 4.1
Institutrice de deuxième classe 170 5.9
Institutrice de piano 186 6.4
Institutrice de 4ème classe 200 6.9
Institutrice de 3ème classe 210 7.2
Sous directrice 250 8.6
Institutrice de 5ème classe 270 9.3
Directrice 744 25.7

Source : Société des amis de l’instruction, Budget des recettes et des dépenses pour l’année 1862, Archives Générales d’Etat, Fond Vlahoyanni

Tableau 19 : 1885, Salaires féminins à l’Hospice des enfants abandonnés
Position Salaire mensuel en drachmes Salaire mensuel en ₤
Puéricultrice 25 0.93
Servante 30 1.13
Nourrice interne 42 1.59
Couturière 50 1.89
Infirmière 60 2.27
Surveillante 80 3.02
Directrice 250 9.45

Source : Journal Ermis, No 52, 21 décembre 1886, p.417.

Bien entendu ces salaires élevés constituent des cas extrêmes. En général, la faible rémunération de la femme est considérée comme complément du revenu familial, alors que le fait qu’une femme travaille implique qu’il est impossible pour sa famille de l’entretenir et par conséquent, sa basse position sociale. Le plus souvent la carrière de la femme est courte et elle s’arrête après son mariage. Dans les actes de décès, 75% des femmes qui exercent une profession meurent célibataires. En tout cas les femmes actives sont minorité. Dans les différentes sources de l’époque, à la place de la profession de la femme, il est inscrit « sans », « tâches féminines » ou bien « ménagère ».

Les actes de décès limités en combinaison avec les actes notariés, surtout ceux qui concernent l’embauche d’une domestique ou le paiement de salaires de domestiques, ainsi que les données tirées du Guide d’Igglessis vont nous aider à approcher ces femmes et à comprendre leur réalité.

Notes
619.

Comme l’écrit dans deux articles Kalliroi Parren, éditrice du Journal de Femmes, en faisant la comparaison entre Paris et la Grèce, « les femmes en Grèce ne travaillent pas ni comme employées ni comme servantes dans les boutiques, ni comme commerçantes ni au petit commerce ». Kalliroi PARREN, « Les ouvrières parisiennes et les ouvrières grecques, A’ », in Journal de femmes, 20 août 1889 et Kalliroi PARREN, « Les ouvrières parisiennes et les ouvrières grecques, B’ », in Journal de femmes, 27 août 1889.

620.

Edmond About, p.260. Mais aussi Antoine Proust, note « Nous voyons rarement [les femmes] se promener. Elles sortent rarement de chez elles, où elles s’occupent des travaux domestiques et se livrent à la lecture de romans, la plupart traduit du français ». Antoine Proust, Un hiver à Athènes de 1857, Athènes, Editions Irmos, 1990, p.73.

621.

Gaston Deschamps, La Grèce d’aujourd’hui (1892), Paris, A. Colin, 1894, p.31, 36-37.

622.

Kostas Fountanopoulos, « Travail salarié », in Christos Hadziiossif (ed.), Histoire de la Grèce au XXe siècle, Tome A1, 1900-1922, Les débuts, Athènes, Editions Vivliorama, 1999, p.96-97.

623.

En 1870, alors que le salaire moyen des hommes s’élève entre 2 et 3 drachmes, le salaire féminin va de 1 à 1.5 drachmes. C. Agriantoni, 1986, p.197.

624.

P. Pizanias, 1985, p.101.

625.

Voir, Tableau 7, p.200-201.