2. Couturières, modistes, ouvrières, tisserandes

Jusqu’à la première moitié du XXe siècle il est considéré que les qualités de base d’une future mariée sont de savoir coudre ou de savoir réparer les vêtements de la famille. Même si les filles « ont des parents assez riches, leur propre maison ou des terrains, leurs mères les envoient chez quelque bonne modiste pour devenir maîtresses de maison, apprendre à couper et à coudre…pour rajouter quelque chose à leur dot, devenir habiles, « se réveiller ». La boutique de couture est considérée comme une école pratique de la société »635. Les boutiques de vêtements déjà confectionnés sont rares. Jusqu’à ce que le prêt-à-porter se répande lors des années 1970 la mention d’un habit déjà confectionné porte une connotation péjorative vu qu’uniquement le milieu « populaire » de la société achète un vêtement qui n’a pas été fabriqué spécialement pour lui-même.

La bonne couturière est reconnue par son habilité technique mais aussi par les tissus dont elle dispose et les patrons qu’elle propose. Lors des premières décennies du XXe siècle quelques couturières voyagent 1 ou 2 fois par an à Paris pour observer les défilés de mode et pour copier des patrons à proposer à leurs clientes par la suite. Au début les deux couturières les plus connues à Athènes étaient deux françaises, Lizié et Delmelville, auprès desquelles toutes les futures couturières faisaient leur apprentissage. Les « maisons de mode » grecques, c’est-à-dire les ateliers de couture, font leur apparition et font des prouesses après 1900. Ces couturières occupaient, en dehors des élèves, des ouvrières qualifiées636. Mais les cours de couture se faisaient aussi dans des fondations philanthropiques de l’époque637 ainsi que dans quelques pensionnats privés de jeunes filles638. Ces filles, lorsqu’elles considéraient qu’elles avaient appris « à couper et à coudre, se retirent de leur quartier décentralisé, collent une figurine provenant de quelque magazine de mode et se proclament couturières pour les robes du quartier »639. Leur apprentissage dans les ateliers de couture de robes féminines durait entre 4 et 6 ans et dans les ateliers de chapeaux féminins entre 3 et 5 ans640.

Nous ne rencontrons pas beaucoup de femmes couturières dans les actes de décès. Ces femmes n’existent pas du tout dans les actes de la période 1859-1868. L’âge moyen au décès est assez bas : 24 ans. Il s’agit donc principalement de jeunes femmes qui meurent avant de se marier : 8 femmes sur 10 meurent célibataires. 9% de ces femmes sont mariées alors que 12% d’entre elles sont veuves. Il se peut que la mort du mari puisse obliger ces femmes à travailler afin de combler le trou dans les revenus de la famille.

De ces femmes, 4 sur 10 sont des immigrées des provinces et 3 sur 10 sont athéniennes ; il s’agit d’un taux beaucoup plus important que pour les servantes. Le reste d’entre elles provenait d’une île ou de l’étranger, principalement de l’Asie Mineure. Enfin, comme les servantes, la majorité de ces femmes meurent à l’hôpital (58% des cas). Même celles qui sont originaires d’Athènes s’adressent à l’hôpital pour leur dernier moment.

Tableau 22 : 1879-1902, Dème d’Athènes. Lieu d’origine des modistes et couturiers
  Lieu d’origine Actes de décès
Ν %
Vielle Grèce Athènes 11 31
Cyclades 5 14
Péloponnèse 5 14
Eubée 1 3
Iles du golfe Saronique 2 6
Annexion 1864 Iles ioniennes 2 6
Annexion 1913 Crète 3 9
Annexions après 1913 Iles d’Egée 4 11
  Etranger 2 6
  Total 35 100

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Notre source archivistique ne nous permet pas de donner des informations sur les salaires journaliers. Nous ne sommes que témoins de la situation de la couturière dechapeauxféminins, Despina, épouse de G. M., qui est embauchée en 1909 pour une durée de 5 mois en tant que directrice de la boutique commerciale « Matheos Pan. & G. S. »641. Son salaire mensuel est défini à 175 drachmes par mois (5.8£), somme assez importante lorsqu’on la compare avec le salaire mensuel du couturier-directeur d’une boutique commercialeen 1908, qui était de 200 drachmes (7.4£) ou avec le salaire journalier moyen féminin qui était de 1.8 drachmes (0.07₤)642.

Déjà dès le milieu du XIXe siècle, l’apparition de la machine à coudre permet aux femmes l’impossible conciliation entre tâches ménagères et salariat643. D’abord employée dans les ateliers eux-mêmes, elle se diffuse au domicile même des ouvrières. Posséder sa machine à coudre, c’est pour une ouvrière d’abord un rêve, puis une nécessité, en raison de la concurrence. Dans l’archive de notre notaire, nous trouvons deux actes d’achat de machine à coudre, les deux datés de 1909. Les deux femmes qui achètent la machine à coudre (de deuxième main) de type Singer sont mariées. Celle qui est manuelle coûte 80 drachmes (3.1£) alors que celle qui porte une pédale 150 drachmes (5.8£). Ces sommes ne sont pas énormes mais elles ne sont pas négligeables non plus, si on pense qu’elles correspondent à 43 et 81 moyens salaires journaliers féminins respectivement.

En 1905, selon le Guide d’Igglesis, existent à Athènes 181 couturières, 10 chapelières et deux couturières. Bien sûr ceux chiffres sont beaucoup plus importants vu que selon le recensement de 1907 (pour l’éparchie d’Attique) on enregistre 4.000 couturières et 610 chapelières. D’ailleurs lors de la période étudiée l’usine de chapellerie de I. Poulopoulos est aussi fondée dans le quartier du Théssio644 (1896). Elle occupait environ 250 employés. Comme nous l’avons déjà mentionné cependant le but du Guide était surtout d’enregistrer et de faire la promotion des couches commerciales et non des couches populaires. La majorité des ateliers de couturières et des chapelières se trouvent au centre d’Athènes : la rue Ermou et les petites rues qui l’entrecoupent, très proches de la place de Syntagma, comme le quartier de Kolonaki, sont les quartiers où sont concentrés la plupart des ateliers.

Dans certains contrats de location de boutiques de couture la couturière elle-même est une des contractants. La couturière Vassiliki, mariée à G. G. apparaît dans le bureau du notaire pour louer tout l’étage du haut du bien immobilier qui se trouve au coin des rues Ermou et Kapnikareas, très près de la Cathédrale. Ce bien immobilier va servir en tant que maison à Vassiliki mais aussi en tant que boutique de couture de vêtements féminins. Le loyer mensuel qu’elle doit débourser est de 340 drachmes, somme qui reste stable pendant toute la durée de la location. Nous ne savons pas exactement quand cette entreprise a commencé, ni quand elle a fermé. Cependant Vassiliki a sûrement habité dans le même bâtiment de 1883 à 1891. A la fin, elle apparaît sous son nom paternel. Se serait elle séparée de son mari ? Il semble qu’elle avait installé son atelier dans les deux chambres du fond près de la terrasse, après avoir obtenu l’autorisation de casser le mur qui les séparait. Depuis 1903 -au moins- une partie de l’étage du haut, c’est-à-dire 4 chambres, est louée par une couturière célibataire Marina, fille du cordonnier I. O. cette fois ci pour 120 drachmes. Marina reste à la même adresse de 1903 à 1909 au minimum.

Notons en tout cas que quelques couturières réussissaient à acheter quelque petite étendue dans les faubourgs agricoles du Dème.

Notes
635.

A. Kourtidis, « Les ouvrières d’Athènes », Journal Estia, No. 405, 2-10-1883, p.632-633.

636.

Pendant les années 1920 la maison « Pelayia Tsopanelli » occupait entre 60-70 ouvrières alors qu’à l’école de cette maison 80-120 filles faisaient leurs apprentissages. « Haute couture et mode en Grèce du XX siècle », dossier du journal « Kathimerini », Sept Jours , dimanche 12 octobre 2003.

637.

L’atelier des femmes sans ressources est fondé en 1872, dans le but d’éduquer les femmes mais aussi de les faire travailler en échange d’une rémunération. Les ouvrières, âgées de 12 à 35 ans, apprennent tout d’abord à coudre, à tricoter et à tisser etc. puis travaillent à l’atelier, ou de chez elles, pour recevoir de 0.50 à 2 drachmes par jour.

638.

Le Pensionnat de jeunes filles Simopoulou fonde la classe de couture en 1887.

639.

A. Kourtidis, 1883.

640.

Maria Svolou, « L’ouvrière grecque », Le combat de la femme, No 7, février 1924.

641.

Acte notarié no 24.042 du 30 juin 1909.

642.

Au début du XIXe siècle la rémunération d’une apprentie dans un atelier de couture de vêtements féminins allait de 50 centimes à 2 drachmes alors que le salaire journalier moyen d’une ouvrière se cumulait entre 3 et 4.47 drachmes. M. Riginos, 1995, p.101. En 1913, dans les ateliers de tissage et de tricot à Athènes, la journée de travail vaut entre 1.50 et 2.20 drachmes (0.06-0.09₤). C. Agriantoni, 1999, p.178.

643.

Michelle Perrot, « Femmes et machines au XIXe siècle », Romantisme, Année 1983, Volume 13, Numéro 41. p.5-18.

644.

La première usine chapelière est fondée en 1885, porte le nom  « Papaspiropoulos et Poulopoulos » et produit une puissance de 70 chevaux. Guide de Koussoulinos, 1904.