3. Les institutrices

L’éducation des femmes n’est pas encore répandue au début du XXe siècle. C’est les connaissances pratiques qui sont appréciées comme qualités importantes chez la femme, comme coudre et cuisiner et non son niveau d’éducation. Terminer une école mais aussi recevoir un diplôme d’institutrice est rare au sein de la société grecque de l’époque et ce parcours offre alors une certaine distinction sociale.

Jusqu’au début du XXe siècle c’est grâce à l’initiative privée que les filles peuvent entreprendre des études à l’école secondaire et devenir institutrices à leur tour645. Pendant presque la totalité de la deuxième moitié du XIXe siècle, les institutrices ne peuvent recevoir d’éducation qu’au sein des hauts pensionnats de filles, de la Société des amis de l’instruction. Les frais de scolarité payés par les élèves n’étaient pas du tout négligeables et c’est pour cela que ces filles provenaient souvent des plus hautes couches, économiquement parlant, de la société646.

En 1881 par ordonnance royale, les écoles de la Société des amis de l’instruction à Athènes et à Corfou sont reconnues comme centres nationaux d’éducation, les cours pédagogiques qui doivent y être enseignés sont définis par l’Etat et il est décidé que les candidates qui souhaitent être institutrices doivent obligatoirement avoir accompli les deux dernières classes des pensionnats pour jeunes filles. Les examens ont lieu dorénavant devant des commissions mixtes. Parallèlement en 1893, le premier Programme Analytique des cours des pensionnats pour jeunes filles est publié ; il devait être suivi par tous les pensionnats privés pour jeunes filles, de façon à ce que les élèves qui en sortaient aient le droit de participer aux examens dans le but de l’obtention d’un diplôme647. Enfin en 1897 l’« Union des Femmes Grecques » fonde l’Institut de formation pour les enseignantes de maternelle. Toutes les institutrices diplômées qui souhaitaient un diplôme d’Etat pouvaient l’obtenir après une éducation de 3 ans et des examens.

Le nombre d’institutrices qui décèdent au sein de la capitale n’est pas très élevé pendant la période de 1859-1902. Il est de 35. Parmi elles nous trouvons aussi trois directrices de pensionnat pour jeunes filles dont Fanny Hill de N. York, fondatrice du pensionnat homonyme, et Aspassia Sourmeli, directrice de l’école Sourmeli au Pirée. Il s’agit surtout de jeunes femmes célibataires. L’institutrice la plus jeune décède à 16 ans alors que la plus âgée a 86 ans. L’âge moyen au décès s’élève à 34 ans alors que 7.5 des femmes sur 10 décèdent avant de se marier648.

Ces femmes viennent surtout d’Athènes (33%), de pays d’Europe occidentale (33%) et aussi des régions de la Vieille Grèce. Le taux d’Athènes ne surprend pas si l’on pense d’une part au fait que la capitale présente les taux les plus élevés de femmes lettrées et de l’autre que l’Institut de formation pédagogique du Arsakio se trouvait à Athènes. Mais il est aussi logique que les institutrices étrangères (France, Suisse, Allemagne, Italie) enseignant quelque langue étrangère ou le piano présentent un taux élevé.

Tableau 23 : 1859-1902, Dème d’Athènes. Lieu d’origine des institutrices
  Lieu d’origine Ν %
Vielle Grèce Athènes 11 33
Péloponnèse 4 12
Grèce continentale 2 6
Cyclades 1 3
Annexion 1864 Iles ioniennes 1 3
Annexion 1913 Epire 1 3
Annexion 1913 Crète 1 3
Annexions après 1913 Macédoine 1 3
  Etranger 11 33
  Total  33 100

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Les institutrices grecques résident surtout au centre ville (33%), près de la place d’Omonia (30%) et dans le quartier de Plaka (20%) alors que certaines d’entre elles habitent au quartier de Neapoli (13%). Les étrangères résident toutes au centre d’Athènes, surtout à côté de l’université ou de Arsakio.

Dans les archives notariales, nous trouvons par ailleurs deux institutrices qui louent chacune une maison au rez-de-chaussée avec 3 chambres, les deux à proximité de la place des Agioi Theodori au centre commercial d’Athènes. Le loyer qu’elles déboursent s’élève à 20 drachmes en 1888 et à 50 drachmes en 1908 respectivement (1.3 et 1.9£), somme plus ou moins équivalente au salaire de la surveillante de l’hôpital d’Arsakio en 1862 (40 drachmes-1.4£).

Notes
645.

En 1831, le couple Hill, évangélistes venant d’Amérique, vont fonder au rez–de-chaussée de leur maison à Plaka un pensionnat privé pour jeunes filles. Ainsi, lorsqu’en 1836 sont fondés les premières écoles publiques pour jeunes filles, le personnel est recruté parmi les élèves qui sortent du pensionnat des Hill. Le but de la Société des amis de l’instruction fondée en 1836 est de promouvoir l’éducation des femmes. C’est pour cette raison qu’un an plus tard elle ouvre le Pensionnat de Filles d’Athènes, nommé Arsakio par la suite. La section la plus élevée du pensionnat de filles de la Société des amis de l’instruction a fonctionné pour la première fois en 1842. Les études durent 4 ans et les élèves qui en sortent et qui souhaitent devenir institutrices sont examinées par la Commission de l’institut de formation des maîtres royale. En 1851 la durée des études était 5 ans.

646.

En 1851 le coût mensuel d’une élève au pensionnat était de 60 à 70 drachmes (2.1 – 2.8₤). Eleni Varikas, « Subjectivité et identité de genre. L’univers de l’éducation féminine dans la Grèce du XIXe siècle », in Genèses. Sciences sociales et histoire, Année 1991, Volume 6, Numéro 1, p.29-51.

647.

Dimitris Kanellopoulos, « L’éducation des filles, l’action de la Société des amis de l’instruction dans la période après Othon et la création d’Arsakio à Patras ». http://www.elemedu.upatras.gr/eriande/synedria/synedrio3/praltika%2011/kanellopoulos.htm

648.

Selon l’article du Journal de femmes de 1902 « Dans les couches moyennes, la mère s’occupe de l’avenir de sa fille, un avenir qui est identifié au mariage. Lorsque la mère ne peut pas assurer une dot, elle essaye de pourvoir ses filles d’un diplôme d’institutrice. Et cependant il est connu que les filles qui n’ont pas de dot ne peuvent pas espérer à se marier. ». Eleni GEORGIADOU, « Les femmes qui travaillent », in Journal de femmes, 13 janvier 1902.