B. Le travail des enfants

Malgré le fait que le travail des enfants soit un phénomène commun, chez les garçons comme chez les filles lors du XIXe siècle, les rares informations dénichées dans les actes de décès ne concernent que des garçons.

La famille encourageait l’enfant à travailler principalement pour raisons économiques : l’activité de l’enfant doit donc apporter des bénéfices économiques immédiats. C’est ainsi que les petits emplois saisonniers ou temporaires attiraient surtout les enfants du bas de la pyramide sociale (petits marchands, garçons, vendeur de billets de loterie, serviteurs de boutiques)651. Bien entendu parfois les parents envoyaient leurs enfants en atelier afin qu’ils apprennent un métier qui pourrait garantir leur entrée dans la vie active. L’enfant, tout au long de son apprentissage, ne participe pas activement à la production mais se limite à quelques tâches d’aide652 en échange de son apprentissage.

La plupart des fois les garçons qui viennent en ville, travaillent dans différentes boutiques de leurs compatriotes en tant que serviteurs ou aides, avec comme rémunération de la nourriture et un toit, dans le but de succéder à leur maître ou de monter leur propre entreprise. Lors de la période 1872-1874, 3 élèves sur 10 de l’Ecole des Enfants sans Ressources653, travaillent dans le petit commerce, 3 sur dix d’entre eux dans le monde de l’artisanat (surtout dans la métallurgie et la menuiserie) et 4 sur 10 d’entre eux sont serviteurs (au marché, dans des boutiques ou dans des maisons). Lors de la période 1886-1887654 la moitié des élèves travaillent dans le petit commerce (cireurs et vendeurs de journaux), 3 sur 10 travaillent en tant que serviteurs alors que 1.4 sur 10 travaillent dans le monde de l’artisanat. En dehors de la menuiserie, les enfants travaillent aussi en tant que cordonniers ou maçons.

A. Mansolas655 donne une première idée du nombre des garçons et des filles au sein de l’industrie –sans distinction d’âge- en 1875. Même si ces données ne concernent pas les petites manufactures, ce qui sous évalue le nombre réel d’enfants, elles nous permettent déjà de comprendre les tendances qui ont commencé à se former au sein du marché du travail juvénile en plein développement. Les garçons sont surtout employés dans les filatures–37%-, les industries mécaniques–20%- et les tanneries -14%. Les filles apparaissent presque uniquement dans deux branches : les filatures de soie–58%- et les filatures–31%. En 1870, le salaire journalier d’un enfant est évalué entre 0.2 et 1 drachme656.

Les conditions de travail sont difficiles et les heures nombreuses. Même si ce problème avait été discuté auparavant et que des lois avaient déjà été proposées, la première loi (429) « Sur le travail des femmes et des mineurs » n’est votée qu’en 1912. 12 ans est désormais l’âge minimum pour travailler alors que le temps de travail ne doit pas dépasser les 6 heures pour les enfants de moins de 14 ans et 10 heures pour les enfants de moins de 18 ans. Enfin, la loi définit des pauses d’une demi-heure pour les enfants et de 2 heures pour les jeunes gens.

71 garçons de moins de 14 ans et dont la spécialité professionnelle a été enregistrée meurent dans la capitale lors de la période 1859-1902657. Ils proviennent de régions de la Vieille Grèce (60%), mais ceux qui sont nés à Athènes et qui apparemment appartiennent aux couches populaires enregistrent aussi un taux important (23%). Plus en détail, il s’agit surtout de garçons provenant du département montagnard d’Arcadie, de l’île de Naxos et de la Messénie qui viennent travailler à Athènes. L’Arcadie, est une région du Péloponnèse qui n’est pas reliée à la capitale, ni par voie maritime, ni par voie ferroviaire (comme il s’agit pour les deux autres régions). Ce qui nous donne conscience du fait qu’un enfant pour arriver jusqu’à Athènes devait supporter des conditions de vie et de déplacement difficiles.

Tableau 24 : 1859-1902, Lieu d’origine de garçons de moins de 14 ans décédés à Athènes
  Lieu d’origine N %
Vielle Grèce Athènes 16 23
Cyclades 12 17
Péloponnèse 20 29
Grèce Continentale 5 7
Eubée 3 4
Iles du Saronique 2 3
Annexion 1864 Iles ioniennes 4 6
Annexion 1881 Thessalie 2 3
Annexion 1913 Crète 2 3
Annexions après 1913 Iles d’Egée 1 1
  Etranger 3 4
  Total 70 100

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Ces garçons sont souvent des serviteurs et des employés dans des boutiques commerciales, des (apprentis) artisans surtout dans des cordonneries ou encore des ouvriers. Les garçons qui sont nés à Athènes semblent travailler le plus souvent dans le monde de l’artisanat. Au contraire, les garçons provenant du Péloponnèse travaillent exclusivement en tant que serviteurs ou bien dans le petit commerce : cireurs, vendeurs de journaux, cireurs de chaussures, vendeurs de tabac. Il semble d’ailleurs que le petit frère suive quelquefois les pas de son grand frère. En 1880, Ilias D. de Corinthe, 21 ans, fabriquant de sandales, va au Service de l’Etat Civil pour déclarer le décès pour cause de méningite de son petit frère, âgé de 14 ans, fabricant de sandales lui-même. Les deux garçons qui décèdent à l’âge le plus jeune à la capitale proviennent d’Italie. Le premier âgé de 5 ans est ébéniste et l’autre de 7 ans est tapissier.

Tableau 25 : 1859-1902, Profession de garçons de moins de 14 ans
Profession N %
Monde de l’artisanat 19 27
Agriculteurs 3 4
Transports 3 4
Ouvriers 10 14
« Garçons » 29 41
Ambulants 7 10
Total  71 100

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Nous observons le même phénomène que chez les femmes actives : ces enfants meurent en leur majorité dans les hôpitaux athéniens. Mais ce phénomène ne touche pas tellement les enfants nés à Athènes : à peine le quart d’entre eux meurt à l’hôpital. Au contraire il semble que ce soit courant chez les immigrés vu que 7 sur 10 d’entre eux meurent à l’hôpital, car ils se trouvent très probablement seuls au sein de la capitale, sans leur famille. Le fabricant de sandales, âgé de 14 ans, que nous avons mentionné plus haut, fait partie des rares cas où l’enfant ne meurt pas à l’hôpital.

Pour récapituler nous pouvons dire que l’activité des femmes et des mineurs était un fait existant au sein de la capitale, même si elle ne concerne pas la majorité de la population de la société athénienne de la deuxième moitié du XIXe siècle.

La majorité des femmes et des enfants qui travaillent à la capitale sont des immigrants. Pourtant, la profession de la servante est par excellence celle des immigrantes : 91% des servantes sont nées hors de la capitale. Cependant, les couturières et encore plus les sages femmes Athéniennes représentent des taux importants au sein de leur profession (30 et 33% respectivement), toujours plus bas, bien entendu, que le taux que représentent les Athéniennes sur le total de la population (45%). Il se peut que cette prédominance d’immigrants explique les nombreux décès à l’hôpital de la plupart des femmes ou des enfants exerçant quelque profession.

Ce qui caractérise ces deux groupes, c’est d’une part les rémunérations très faibles et de l’autre le jeune âge au décès. L’âge moyen au décès des femmes de plus de 5 ans pour le total de la période étudiée s’élève à 48 ans alors que pour les femmes de plus de 15 ans elle est de 52 ans. L’âge moyen au décès de la plupart des femmes actives est beaucoup moins élevé. Celles qui semblent vivre la vie la plus dure sont les couturières vu que l’âge moyen au décès pour cette population est de 24 ans. Puis suivent les servantes (28 ans) et les institutrices (34 ans). Les sages femmes semblent être l’exception à la règle précédente vu que l’âge moyen au décès pour cette catégorie professionnelle est un peu plus haut que la moyenne : 56 ans. Les sages femmes semblent aussi être les seules à ne pas abandonner leur travail pour cause de mariage. Pour l’exercice de cette profession, l’expérience était précieuse d’autant que la sage-femme était seule responsable du bon déroulement de l’accouchement.

Notes
651.

M. Riginos, 1995.

652.

Par exemple dans les boulangeries les apprentis avaient comme tâche de distribuer le pain aux clients.

653.

En 1872, L’Association Philologique Parnassos fonde l’école des enfants sans ressources, pour « développer la morale et les possibilités intellectuelles des enfants sans ressources. La lecture, l’écriture, l’arithmétique, des valeurs morales, l’histoire ancienne et nouvelle de la Grèce, la Géographie de la Grèce et de la Turquie et des éléments d’histoire naturelle et de chimie y étaient enseignés. En 1883 le nombre d’élèves de l’école est de 620, en 1901 2.149 élèves s’y inscrivent.

654.

Μ. P. Lambros, « Rapport sur l’Ecole des Enfants sans Ressources à Athènes, 1886-1887 », in Parnassos, Tome 13, Numéro 3, 1890, p. 193-209. Selon ce rapport, 53% des élèves sont âgés de 10 à 14 ans et 47% d’entre eux de 15 à 19 ans.

655.

A. Mansolas, « Renseignements statistiques sur les établissements industriels grecs fonctionnant avec la vapeur », Athènes, 1876.

656.

C. Agriantoni, 1986, p.197.

657.

Plus analytiquement, lors de la période 1859-1868 il y en a 15 garçons qui meurent, la période 1879-1884 il y en a 28 alors que la dernière période (1899-1902) il y en a 28.