Chapitre XIV. Profession et lieu d’origine

Athènes, après sa proclamation en tant que capitale en 1834, est entièrement reconstruite. Ce ne sont pas seulement les bâtiments, les rues, les infrastructures qui sont édifiés en partant de zéro. C’est aussi le matériau vivant, les habitants de la nouvelle capitale. Lorsque la capitale déménage de Nauplie pour s’installer à Athènes, cette dernière ville ne comptait pas plus de 7.000 habitants. Même à la fin du XIXe siècle les Athéniens constituent une minorité de la population de la ville : tout juste 24% des hommes et 35% des femmes sont nés au sein de la capitale. Mais étaient-ils, eux-mêmes, des enfants d’Athéniens ?

Pour parler d’intégration ou d’assimilation des immigrés dans la capitale il faut que les autochtones aient eux-mêmes créé une certaine identité ou qu’ils aient acquis une conscience qui les différencie des autres. La capitale est cependant trop jeune et les quelques décennies ne sont pas suffisantes pour laisser aux gens le temps de développer la sensation d’être un habitant de la capitale. Il est clair que vers la fin du siècle cette tendance commence à se développer. En tout cas c’est ce que l’on peut voir de la manière dont les autres villes se positionnent par rapport à la capitale. Les Piréotes, dans leurs journaux, écrivent des articles pour souligner les différences entre les Athéniennes bourgeoises et les ouvrières du Pirée pour « chanter les louanges » de ces dernières qui « vivent de leur salaire journalier » et ne sont pas des « êtres vides et bêtes » comme les Athéniennes qui ne travaillent pas658 !

Mais nous pensons que lors de la période étudiée il n’y a pas de comportements communs qui pourraient définir une « athénaïssité » et donc repousser des immigrants.

Athènes, pendant le XIXe siècle, est une ville en plein développement et en plein mouvement, une ville qui offre de nombreuses et différentes possibilités aux citoyens qui ont en commun le fait qu’ils n’y sont pas nés. Ils diffèrent cependant en ce qui concerne les buts et les stratégies qu’ils suivent pour s’introduire dans une société en construction.

L’étude de l’activité professionnelle des immigrés peut nous décrire leur manière de s’intégrer dans la ville mais aussi de s’insérer dans la vie économique de la capitale. Cette étude va s’appuyer encore une fois sur les actes de décès de tous les hommes de plus de 15 ans pour lesquels nous avons des données sur leur profession et leur origine659. Bien entendu, à cause de notre source étudiée, nous nous référons à la profession exercée par les hommes au moment de leur décès. Nous ne pouvons pas savoir quelle profession ils exerçaient à leur arrivée ni s’il s’agit de la profession qu’ils ont suivie pendant toute leur carrière. Par conséquent nous ne pouvons pas étudier leur mobilité professionnelle. Ce que nous examinerons en réalité, c’est la possibilité qu’il existe une spécialisation particulière aux immigrés pour certains types de profession, d’une part, et d’autre part l’hypothèse de réseaux professionnels ou géographiques. Nous pouvons creuser encore plus et voir si certains immigrés qui ne réussissent pas à s’insérer dans certains métiers sont finalement poussés à la marge.

Nous examinerons tout d’abord la relation entre les couches sociales athéniennes et le lieu d’origine (Tableau 27). Il semble que les immigrés grecs dominent dans les couches populaires, les Athéniens dans les couches moyennes alors que nous trouvons au sein de l’élite plutôt des hommes nés hors de la Grèce. Les Athéniens vont devoir « attendre » la fin du XIXe siècle pour faire partie de l’élite. Ce qui est cependant important, c’est la répartition des immigrés et des Athéniens dans toutes les couches sociales. L’immigration n’entraîne donc pas automatiquement l’évolution ou la marginalisation.

Tableau 26 : Couches sociales et origine géographique
Couches sociales 1859-1868 1879-1884 1899-1902
1 660 2 3 4 T 1 2 3 4 T 1 2 3 4 T
Couches populaires 20 43 28 9 100 22 47 21 10 100 17 55 21 7 100
Couches moyennes 24 38 24 14 100 27 42 21 10 100 27 47 20 6 100
Elite 12 37 35 16 100 11 45 30 14 100 26 46 16 12 100
Total  22 39 26 13 100 25 43 22 10 100 24 50 20 6 100

1 : Athènes. 2 : Vielle Grèce. 3 : Périphéries de la Grèce actuelle qui à l’époque était sous l’Empire ottoman ou sous une autre domination. 4 : étranger

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Les immigrés exercent des professions qui vont des plus humbles aux plus prestigieuses. Les Roums originaires de Constantinople ou de l’île de Chios sont un bon exemple. Le rôle joué par certains d’entre eux, comme Α. Syggros, entraîne l’assimilation de celles-ci à la position sociale élevée de l’individu. C’est vrai que ces personnes, surtout vers la fin du siècle, s’investissent dans le domaine de la banque, où ils sont les plus nombreux à exercer. Cependant il existe aussi beaucoup d’hommes qui proviennent de ces régions et qui exercent dans le petit commerce, en tant que serviteurs en boutique, comme maçons, ouvriers métallurgistes, forgerons ou en tant que cuisiniers. Le domaine de la banque est peut être le seul à présenter des tendances « à monopoliser ». D’ailleurs, les riches grecs de l’étranger ne sont jamais intéressés à investir dans l’industrie ou l’agriculture. Ce qui les intéressait, était la monétisation facile et sûre ainsi que le transport du capital en cas de danger. C’est pour cela qu’ils se sont tournés principalement vers la fondation d’entreprises financières et de banques661.

Malheureusement nous ne disposons pour la première période de données que pour seulement 50% de l’échantillon. Cependant les résultats qui en sortent (même s’il faut rester prudent) présentent un certain intérêt car ils nous permettent de localiser le noyau initial d’Athènes au moment où la ville est devenue une capitale. Il s’agit d’hommes qui sont nés en moyenne en 1817, donc presque deux décennies avant le transfert de la capitale. Ces hommes travaillent dans l’artisanat (21%) et comme ouvriers (11%), ils sont propriétaires (21%) et agriculteurs (15%). 10% d’entre eux travaillent dans le commerce alors que 7% dans le corps militaire. Cette image est conservée lors des années 1880. A la fin du siècle, la part des propriétaires et des agriculteurs diminue considérablement alors que toutes les autres professions présentent une augmentation. Ceux qui sont actifs au sein de manufactures représentent 25% de la population masculine active et les ouvriers 15%. Donc presque 1 athénien sur 2 exerce dans le secteur secondaire. En comparant le poids dans la population des athéniens avec le poids de chaque profession lors des deux premières périodes les Athéniens dominent chez les propriétaires et les agriculteurs. Le changement se fera progressivement lors de la deuxième période, où nous commençons à remarquer leur forte présence chez les cochers. Donc à la fin du siècle, les autochtones dominent dans le domaine de la manufacture, l’administration publique et l’élite athénienne.

La présentation plus analytique des professions en relation avec le lieu d’origine nous permet de repérer les ressemblances possibles entre des comportements, donc de constater l’existence de réseaux. La présentation analytique de chaque région et de chaque profession dépasse les limites de notre étude. Nous avons choisi de présenter les régions et les professions qui, même peu nombreuses, indiquent clairement l’existence d’un réseau.

Tableau 27 : Lieu d’origine et participation dans les couches populaires
Lieu d’origine 1860 1880 1900
Athènes -4 -3 -8
Attique 52 25 21
Péloponnèse -6 -1 2
Cyclades 6 4 3
Crète 24 10 5
Macédoine 5 0 8

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

* Les chiffres concernent la différence entre le taux total de la population masculine de chaque région et le taux de participation de la région au sein des couches populaires.

Nous observons donc que c’est principalement les régions de l’Attique et de la Crète qui dominent au sein des couches populaires pour toutes les périodes. La révolution avortée de la Crète en 1866 semble conduire à la capitale, en dehors des femmes et des enfants, une population masculine qui, pour survivre, va exercer des professions sans spécialisation ni connaissance particulière. Les habitants de la Macédoine et des Cyclades ainsi que ceux du Péloponnèse à la fin du XIXe siècle semblent aussi exercer des professions non spécialisées. Les Athéniens y participent très peu. Cependant les habitants de chaque région semblent exercer des professions différentes.

Tableau 28 : Lieu d’origine et participation dans des professions concrètes. Couches populaires

Lieu d’origine Transport Ouvriers Ambulants Serviteurs Agriculteurs
1860 1880 1900 1860 1880 1900 1860 1880 1900 1860 1880 1900 1860 1880 1900
Athènes 1 21 17 -3 -4 -5 -13 4 -13 -17 -12 -17 6 10 -8
Attique 0 0 1 15 3 2 -3 6 -2 2 2 2 9 2 2
Péloponnèse -3 -4 4 -3 -4 0 12 7 15 10 17 0 -9 -5 1
Cyclades -2 -5 -9 4 4 3 -4 -11 -7 3 -3 3 4 5 3
Crète -5 -2 0 0 5 2 -5 -1 -3 -1 1 -1 8 -2 0
Macédoine 1 -2 -1 3 0 1 6 2 -1 4 3 4 -2 -1 -1

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Les hommes qui proviennent de l’Attique, une périphérie qui en dehors de la capitale et du Pirée, est constituée de petits villages, travaillent en tant qu’ouvriers et agriculteurs. Lors de la deuxième période il semble que certains d’entre eux exercent dans le petit commerce, qu’ils abandonnent par la suite. Les personnes provenant des Cyclades présentent les mêmes caractéristiques. Les Crétois aussi préfèrent initialement les tâches agricoles. Au contraire, les crétois qui ont choisi d’habiter au Pirée travaillent surtout au sein de différentes industries662.

Les habitants du Péloponnèse présentent un comportement totalement différent. Il semble clairement que ces immigrés travaillent dans le commerce, dans le petit commerce, en tant que colporteurs ou encore en tant que serviteurs de boutique. Cependant à la fin du XIXe siècle ils se tournent vers d’autres types d’activité et ce sont des gens originaires des Cyclades ou de la Macédoine qui prennent leur place.

Il semble enfin que les choix des Athéniens soient très précis. En dehors des tâches agricoles (qu’ils abandonnent vers la fin du XIXe siècle) il apparaît qu’ils obtiennent le monopole du travail des cochers. Bien entendu dans le secteur des transports nous trouvons aussi des Maltais en tant que portefaix ou bien des personnes venant des îles en tant que marins. A Paris cependant, il n’y avait pas autant de cochers parisiens qu’il y avait d’Auvergnats663.

Tableau 29 : Lieu d’origine et participation dans l’élite
Lieu d’origine  1860 1880 1900
Athènes -2 -3 1
Etranger 3 9 12
Iles ioniennes 11 6 0
Iles du Golfe Saronique 4 2 3
Grèce Continentale -2 1 1
Péloponnèse 0 1 -1
Macédoine 4 3 -3
Iles d’Egée 1 5 -1

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Il est clair que les personnes qui proviennent de l’étranger et des Iles du Golfe Saronique notent une présence régulière au sein des couches sociales les plus élevées. Il y a beaucoup de personnes provenant des îles du Golfe Saronique dans l’élite athénienne car ils sont largement représentés aux officiers supérieurs de l’armée.

Les Grecs de l’Empire ottoman présentent des taux importants dans les trois catégories professionnelles qui constituent l’élite. Au cours du temps leur participation au sein des professions libérales diminue de manière importante, à partir du moment où les diplômés augmentent et ces professions s’ouvrent à plus d’hommes. Au contraire leur présence aux hauts fonctionnaires et aux officiers supérieurs reste stable. Vers le milieu du XIXe siècle le taux des originaires de Constantinople augmente tellement qu’ils semblent exercer un monopole de fait et chasser les banquiers de Chios ainsi que les changeurs et prêteurs Macédoniens.

Enfin, ceux qui proviennent des pays de l’Europe d’Ouest états participent aux couches les plus élevées en tant que hauts salariés : Comme officiers supérieurs lors de la première période, comme ingénieurs et directeurs au sein de différentes institutions et même par la suite comme industriels.

Tableau 30 : Lieu d’origine et participation dans des professions concrètes de l’élite
Lieu d’origine Professions libérales Manufacturiers, banquiers, industriels Hauts salaires
1860 1880 1900 1860 1880 1900 1860 1880 1900
Athènes -2 -11 1   -7 7 -14 -15 2
Grecs de l’Empire ottoman 4 1 -1   11 26 3 1 3
Pays d’Europe Ouest -3 -3 2   -3 6 3 8 1
Iles ioniennes 1 4 2   -3 0 9 2 -1
Iles du Golfe Saronique 5 0 1   -3 -3 3 2 2
Grèce Continentale -5 -2 1   -5 -6 1 3 3
Péloponnèse 2 9 0   -20 -6 -3 3 -4
Macédoine 7 0 -1   24 -2 1 0 0
Iles d’Egée -4 1 -2   14 2 2 4 0

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Les personnes provenant du Péloponnèse ne semblent pas très présentes dans la haute société. Cependant lorsque c’est le cas, c’est principalement grâce à des études de Droit et en seconde place, grâce à des études de Médecine. Et lorsqu’ils font partie des hauts fonctionnaires, ils travaillent en tant que juges ou en tant que médecins de la Cour. Ils apparaissent lors de la première période comme ceux qui détiennent le monopole des pharmacies.

Au contraire, ceux qui proviennent des Iles ioniennes ont une présence plus forte. Leur forte représentation au sein du corps médical mais aussi leurs hautes positions au sein de l’armée, leur permettent de faire partie de l’élite athénienne. Ce sont aussi les hauts grades militaires que les personnes provenant de la Grèce continentale obtiennent qui font qu’ils entrent dans l’élite.

Les Athéniens réussiront à être acceptés au sein de l’élite à la fin du siècle, et c’est grâce à des investissements dans des usines et par leur fonction d’avocat ou de juge.

Tableau 31 : Lieu d’origine et participation dans les couches moyennes
Lieu d’origine  1860 1880 1900
Athènes 6 6 1
Epire 2 8 -1
Cyclades -4 -2 -1
Péloponnèse 6 0 -1
Iles du Golfe Saronique 4 2 3
GrèceContinentale -7 -7 1

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Comme nous l’avons mentionné auparavant les couches moyennes sont caractérisées par leur polymorphie et par la multitude des professions qu’elles comportent. Chaque groupe géographique a des stratégies différentes en ce qui concerne le choix de la profession exercée.

Il est clair que les habitants de la Grèce Continentale préfèrent les emplois stables : l’administration et la force publique sont leur but principal lorsqu’ils s’installent à la capitale.

Les hommes du Péloponnèse choisissent l’administration publique alors que les individus provenant des îles du Golfe Saronique dominent dans la force publique. La supériorité au sein du commerce change de mains très souvent. A la fin du XIXe siècle il semble que les personnes provenant du Péloponnèse sont celles qui tiennent la première place. Parallèlement, pendant la même période, est enregistrée aussi l’augmentation de serviteurs péloponnésiens comme nous avons vu précédemment. L’appartenance commune à un lieu géographique du maître et de l’employé, prouve l’existence de réseaux entre le lieu d’origine et le lieu d’accueil.

Tableau 32 : Lieu d’origine et participation dans des professions concrètes des couches moyennes
Lieu d’origine Administration Publique Force Publique Commerce Employés Monde de l’artisanat et de la boutique
1860 1880 1900 1860 1880 1900 1860 1880 1900 1860 1880 1900 1860 1880 1900
Athènes -6 -2 3 -6 -5 0 0 5 -2 -1 9 4 -2 0 5
Epire 3 0 -1 6 0 -1 2 0 0 -1 1 -2 -2 2 1
Cyclades -5 -6 -6 -4 -7 -7 1 -5 -5 -2 -5 -5 3 6 6
Péloponnèse 7 12 6 1 2 3 -1 6 6 13 -2 1 2 -6 -7
Iles du G. Saronique 0 1 0 4 2 4 0 -1 0 -2 0 -1 1 1 0
GrèceContinentale 5 3 5 4 6 6 -2 -2 0 -3 2 -1 -2 -3 -3

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Cependant c’est le monde de l’artisanat et de la boutique qui davantage indique des spécialisations professionnelles géographiques. Les Athéniens semblent prédominer dans l’imprimerie, branche urbaine par excellence.

Les personnes provenant de l’Epire sont spécialisées dans la boulangerie depuis des siècles664 mais aussi en tant que sculpteurs de bois et maçons665. Ceux qui décident cependant de s’installer à la capitale exercent surtout la première profession. D’ailleurs, même lorsqu’ils exercent dans le petit commerce, ils sont vendeurs de petits pains. A Athènes, dans le domaine du bâtiment, comme il paraît aussi dans le tableau 33, les protagonistes sont des hommes qui viennent de régions qui ont déjà une tradition avec cette technique : les Cyclades, la Macédoine et le Dodécanèse. Les réseaux sont d’ailleurs très précis et déterminés. Les Macédoniens sont plutôt originaires de la ville de Kastoria alors que les hommes de Dodécanèse viennent presque exclusivement de l’île de Karpathos666. Les hommes venant des Cyclades et qui meurent à la capitale au XIXe siècle étaient spécialisés dans des métiers pour lesquelles leurs îles sont encore connues aujourd’hui. Les hommes venant d’Andros sont maçons et menuisiers : les artisans d’Andros avaient participé à l’édification de l’église d’Agios Nikolaos à Syros. Les hommes de Tinos, île encore renommée pour ses marbriers et ses sculpteurs667, sont tailleurs de pierre, charpentiers ou cordonniers. Les hommes de Kythnos, île connue pour ses céramiques, sont presque tous potiers. Enfin les hommes de Syros sont spécialisés surtout dans la menuiserie.

Les habitants de l’Arcadie étaient spécialisés pendant des années dans différents métiers : cordonniers, forgerons, couturiers, maçons, charbonniers. En effet les Arcadiens qui choisissent de travailler à la capitale exercent ces métiers. Mais ils semblent surtout travailler en tant que cordonniers, couturiers et forgerons. D’ailleurs l’arrivée à la capitale entraîne parfois l’orientation vers de nouvelles professions, apparemment nouvelles pour eux. Nous les rencontrons en effet souvent en tant que cuisiniers et hôteliers. Les hommes de Sifnos aussi sont souvent cuisiniers. Il s’agit de l’île d’origine du Chef Nikolaos Tselementes668 (1878-1958), nom aujourd’hui encore synonyme des recettes de cuisine.

Tableau 33 : Lieu d’origine et participation dans des professions concrètes de l’artisanat
Lieu d’origine Boulanger Typographe Bâtiment Forgeron Cuisinier Couturier Charpentier
1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3
Athènes -12 -16 -17 46 50 36 -15 -3 3 -32 -23 -12 1 -3 -7 2 -5 -8 2 0 4
Epire 2 34 48 -2 -6 -4 -1 -2 0 -7 4 -1 5 -6 0 9 3 -1 -6 1 0
Cyclades 1 0 -8 -7 -15 -15 13 12 18 -3 5 11 -9 -1 -15 0 1 -5 8 3 20
Macédoine 7 -3 0 7 -12 -8 8 7 6 -7 0 -2 -19 -13 -2 6 0 4 -3 1 -3
Iles d’Egée -4 -4 -1 -4 0 0 8 8 0 0 9 -2 -3 -16 -2 6 -9 2 -3 7 0
Péloponnèse -5 -2 -11 -19 -8 1 -11 -13 -16 46 2 4 26 19 12 -36 1 7 2 -8 -14

1 : 1859-1868, 2 : 1879-1884, 3 : 1899-1902

Source : Actes de décès 1859-1868, 1879-1884, 1899-1902. Dépouillement personnel.

Athènes est au XIXe siècle une ville qui grandit grâce à l’important flux migratoire; les ¾ de la population athénienne vient d’un autre endroit. Lors du XIXe siècle, l’économie de la capitale permet la répartition des immigrés dans presque toutes les professions et les couches sociales. Bien entendu, les actes de décès du Service de l’Etat Civil sont une source qui ne peut par répondre à des questionnements sur la mobilité professionnelle. Mais le taux important des mariages mixtes669 (45% environ), c’est à dire entre les Athéniens et les immigrés, est encore un indicateur du fait que les immigrés étaient vite absorbés par la société athénienne. Il se peut que la participation des Athéniens dans les couches populaires semble plus faible que celle des immigrés, mais comme nous l’avons vu dans des domaines particuliers comme celui des transports et de l’agriculture les autochtones dominent. D’ailleurs, l’étude comparative de l’âge moyen au décès des Athéniens et des immigrés a confirmé que le lieu d’origine n’influe pas beaucoup sur le niveau de vie d’un individu. Bien sûr, chaque immigré a sa propre stratégie d’insertion dans l’environnement athénien. Une stratégie déterminée par les réseaux de parenté et de soutien mutuel des immigrés de chaque région, des spécialisations qui dominent dans le lieu d’origine mais aussi par les besoins de la capitale de se construire et de se nourrir.

L’existence de réseaux est confirmée par le choix du quartier de résidence, même si l’étendue de la capitale est encore petite. L’exemple le plus caractéristique est celui des personnes qui proviennent de l’île de Naxos. Les Naxiens qui meurent à la capitale, au début comme à la fin de la période étudiée, montrent une préférence prononcée pour le faubourg le plus éloigné d’Athènes, le faubourg agricole de Patissia. Cette préférence reste stable malgré le fait que le type de professions qu’ils choisissent change entre ces deux périodes670.

Le reste des immigrés choisit de s’installer dans divers autres quartiers, bien plus proches de la capitale. Cependant les individus provenant d’Andros se concentrent surtout dans le quartier de Neapoli alors que les Syriots choisissent des régions bien plus décentralisées, comme Pankrati à l’Est et Agios Pavlos au Nord.

En ce qui concerne les hommes venant du Péloponnèse, les hommes de la Laconie ou de l’Arcadie, semblent présenter une préférence marquée pour le quartier de Agios Konstantinos - Vathis, c’est-à-dire une région au voisinage immédiat de la place d’Omonia où sont rassemblés la plupart des hôtels et des gargotes, puis pour le quartier de Metaxourgio où étaient réunis plusieurs manufactures. Au contraire, les immigrés provenant de l’Argolide ne se sont pas limités à un quartier et ils préfèrent s’installer dans des quartiers à proximité du réseau ferroviaire de la capitale.

1899-1902. Lieu d’habitation des originaires de l’île d’Andros (Cyclades) Echelle 1 : 50.000
1899-1902. Lieu d’habitation des originaires de l’île d’Andros (Cyclades) Echelle 1 : 50.000

Source : Actes de décès 1899-1902. Cartographie N. Tsigkas.

1899-1902. Lieu d’habitation des originaires de l’île de Naxos (Cyclades) Echelle 1 : 50.000
1899-1902. Lieu d’habitation des originaires de l’île de Naxos (Cyclades) Echelle 1 : 50.000

Source : Actes de décès 1899-1902. Cartographie N. Tsigkas.

1899-1902. Lieu d’habitation des originaires de l’île de Syros (Cyclades) Echelle 1 : 50.000
1899-1902. Lieu d’habitation des originaires de l’île de Syros (Cyclades) Echelle 1 : 50.000

Source : Actes de décès 1899-1902. Cartographie N. Tsigkas.

1899-1902. Lieu d’habitation des originaires du département d’Argolide (Péloponnèse) Echelle 1 : 50.000
1899-1902. Lieu d’habitation des originaires du département d’Argolide (Péloponnèse) Echelle 1 : 50.000

Source : Actes de décès 1899-1902. Cartographie N. Tsigkas.

1899-1902. Lieu d’habitation des originaires du département d’Arcadie (Péloponnèse) Echelle 1 : 50.000
1899-1902. Lieu d’habitation des originaires du département d’Arcadie (Péloponnèse) Echelle 1 : 50.000

Source : Actes de décès 1899-1902. Cartographie N. Tsigkas.

1899-1902. Lieu d’habitation des originaires du département de Laconie (Péloponnèse) Echelle 1 : 50.000
1899-1902. Lieu d’habitation des originaires du département de Laconie (Péloponnèse) Echelle 1 : 50.000

Source : Actes de décès 1899-1902. Cartographie N. Tsigkas.

Notes
658.

« A travers la ville et le faubourg. La question des femmes », Journal Sfera, 3 octobre 1898.

659.

Entre 1859 et 1868 le nombre d’hommes de plus de 15 ans qui meurent au Dème d’Athènes s’élève à 3.430. Entre 1879 et 1884 ils sont 3.462 et enfin, lors de la période entre 1899 et 1902 le nombre d’hommes âgés de plus de 15 ans qui meurent au Dème d’Athènes est évalué à 1.059. Cependant, les informations sur le lieu d’origine, ainsi que sur la profession exercée concernent 1.780 individus pour la première période (1859-1868), 3.224 individus lors de la deuxième période (1879 – 1884) et 3.910 lors de la dernière période (1899-1902). Par conséquent notre échantillon concerne 52%, 93% et 96% des hommes de plus de 15 ans qui y meurent à ces périodes-là.

660.

Pour l’explication de ces 4 catégories du lieu d’origine, voir Chapitre VII, p. 158-159.

661.

G. B. Dertilis, Tome Α’, 2006, p.416.

662.

C’est ce que sous-entend Vassias Tsokopoulos. Le Pirée, 1835-1870. Introduction à l’histoire du Manchester grec, Athènes, Editions Kastaniotis, 1984, p.242-243.

663.

Françoise Raison – Jourde, La colonie Auvergnate de Paris au XIXe siècle, Paris, Ville de Paris, Commission des travaux historiques, 1976.

664.

Les Epirotes, qui s’étaient installés en Asie Mineure, au Aivali vers le XIXe siècle, s’occupaient aussi en tant que boulangers. Ils avaient même créé leur propre quartier. Encyclopédie de communauté grecque majeure, Asie Mineure (www2.egiklopedia.gr). D’ailleurs le Petit pain de Thessalonique, que nous achetons encore aujourd’hui des marchands ambulants dans la rue, a été fabriqué par des Epirotes artisans à la ville de Thessalonique. Aujourd’hui, une des plus grandes entreprises de fabrication de pain est la compagnie Vossinakis. Une entreprise qui était au départ une boulangerie-pâtisserie à Patras lors des années 1920 et qui a été ouverte par l’Epirote Nikos Vossinakis.

665.

Avant le XIXe siècle, les maçons Epirotes étaient organisés en confréries. Lorsqu’elles connaîtront leur décadence au début du XIXe siècle, les Epirotes vont changer d’activité pour devenir artisans ambulants qui se déplaçaient à travers la Grèce mais aussi en Asie Mineure et dans les Balkans. La technique passait de père en fils et tous les membres de la famille restaient fidèles à la tradition. Ces « pelotons » démarraient d’habitudes au début du printemps pour revenir à la fin de l’automne. Il existe des témoignages sur l’installation des maçons Epirotes dans différentes régions de la Grèce continentale actuelle (Macédoine, Thessalie, Magnésie, Péloponnèse). Voir surtout G. P. Papageorgiou, Les confréries à Yiannena au XIX e siècle et au début du XX e , (Thèse), Société des études épirotes, 2ème édition, Ioannina 1988.

666.

Il s’agit d’une île d’où sont originaires beaucoup de maçons et de charpentiers, qui ont voyagé à travers toute la Méditerranée mais aussi jusqu’à la ville d’Ephèse en Asie Mineure.

667.

Yiannoulis Halepas, un des sculpteurs les plus reconnus de Grèce, provient de Tinos (1851-1938).

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Nicolaos Tselementes, Chef, provient de Sifnos et a grandi à Athènes, où il a fini le Gymnase. Il a tout d’abord travaillé en tant qu’employé de bureau chez un notaire, mais se passionne pour la cuisine en travaillant chez son père et son oncle. Il fait des études de gastronomie à Vienne et à son retour, exerce dans plusieurs ambassades. Il devient célèbre à travers ses publications dans le magazine « Guide de Cuisine » dès 1910, qui comportait –en dehors des recettes- des conseils diététiques, de la cuisine internationale, des nouvelles sur cet art, etc. En 1919 il devient directeur de l’hôtel « Hermes », l’année d’après il part en Amérique, où il travaille dans les meilleurs restaurants, en faisant parallèlement des études supérieures en cuisine, pâtisserie et diététique. Il rentre en Grèce en 1932 fonde une petite école de gastronomie et de pâtisserie et il publie son livre de recettes, très connu, le premier Guide Complet de Gastronomie. Source : WIKIPEDIA

669.

A Paris au milieu du XIXe siècle ce taux est de 37%. Christine Piette, Barrie M. Ratcliffe, « Les migrants et la ville : un nouveau regard sur le Paris de la première moitié du XIXe siècle », in Annales de démographie historique, 1993, p.263-302.

670.

Entre 1859 et 1868, 61% de ces hommes travaillent en tant que jardiniers. Entre 1899 et 1902 ce taux diminue considérablement et atteint 13%.