A. La maison athénienne

Malheureusement les données que nous avons sous la main en ce qui concerne le nombre de maisons de la capitale ne touchent que les années de recensement de la population : 1861, 1870, 1879. A partir de 1890, nous disposons de données, non sur le nombre de maisons, mais sur le nombre annuel des permis de construction qui ont été publiés.

Selon les données des recensements, donc, le rythme de la construction connaît une certaine augmentation lors de la période 1861-1879. Pourtant, la construction ait augmenté avec des rythmes un peu plus rapides (1.9) que celui de la population de la capitale (1.6), ce qui transparaît aussi de la diminution des personnes qui résident dans chaque demeure. En tout cas, lors de la totalité de cette période, nous comptons environ deux ménages pour chaque maison.

Tableau 34 : 1861-1879, Nombre de maisons dans le dème et la ville d’Athènes
Année N de maisons personnes/ maison ménages/ maison N de maisons personnes/ maison ménages/ maison
Dème d’Athènes Ville d’Athènes
1861 4.242 10.22 2.23 3.831 10.78 2.34
1870 6.146 7.83 1.95 5.437 8.19 2.04
1879 9.271 7.41 1.76 7.316 9.14 2.08

Source : Résultats statistiques des recensements des années 1861, 1870 et 1879.

Malheureusement il n’y a aucune donnée officielle en ce qui concerne le nombre de maisons lors des années 1880, lorsque se déroule la grande explosion démographique d’Athènes. Nous pouvons cependant calculer que lors des années 1880-1889 au moins 2.150 nouvelles maisons ont été rajoutées au tissu urbain de la capitale674. Si l’on compare le taux moyen annuel d’accroissement des maisons et de la population, nous voyons qu’il existe pour les deux dernières périodes une relation positive directe. Lors de ces deux périodes, le taux moyen annuel d’accroissement des maisons est toujours plus élevé que celui de la population. C’est peut être la raison pour laquelle il y a un nombre important de maisons qui restent sans locataires en 1905675.

Le ralentissement du rythme de la construction lors de la période 1880-1889 alors que le rythme de l’accroissement de la population est à son apogée, pose des questions. Il se peut qu’il soit lié au développement de l’activité de la construction de la période qui précède, qui est de loin plus importante que celui enregistré pour la population. Vers 1879 le journal Estia notait que 7.5% des maisons restaient sans locataires. Selon la personne qui signe l’article, il aurait fallu que la construction de nouvelles maisons s’arrête, et puis, que la population de la ville augmente de 12%676.

Le nombre de permis de construction ne suit pas le même rythme sur la totalité de la période677, surtout lors de la décennie 1890-99678.

Tableau 35 : 1861-1909. Taux moyen annuel d’accroissement des maisons à Athènes
Période N de nouvelles constructions Taux moyen annuel d’accroissement des maisons Taux moyen annuel d’accroissement de la population
1861-70 1.904   1.2
1870-79 3.125 1.7 3.9
1880-89 2.151 1.3 5
1890-99 2.758 2.5 1.7
1900-09 4.213 4.2 2.8

Sources : Résultats des recensements de 1861, 1870, 1879. Grande encyclopédie Hellénique Pirsos. G. Bechmann, Alimentation d’eau et assainissement des villes d’Athènes et du Pirée, Athènes, 1900, p.261.

Malheureusement, nous n’avons pas de données sur la surface moyenne des maisons679 à Athènes, ni sur le nombre des chambres qu’elles abritent. Manos Biris680 note que ce qui caractérise les terrains à bâtir, c’est leur petite taille et leur profondeur assez importante. Les plus petits terrains, dans les régions densément habitées, atteignaient au plus les 90km2. Quelques contrats de locations donnent des détails sur le nombre de chambres. Cependant ce nombre n’est pas utilisable car les chambres peuvent se trouver à des étages différents sans constituer des appartements autonomes. Par exemple, lorsqu’il est noté qu’il loue 2 chambres de l’étage du haut ou en haut et au fond ou 4 chambres de l’étage intermédiaire et une chambre de l’étage du bas, nous ne pouvons pas savoir combien de chambres en tout existent par étage, ni au total.

Ce dont nous sommes certains c’est que les maisons de la capitale avaient une hauteur limitée. D’un côté les restrictions concernant le taux d’occupation du sol et de l’autre la qualité des matériaux ne permettaient pas l’édification de maisons de haute taille. Selon le recensement de 1879, 92% des maisons de la capitale sont en pierre, 7% d’entre elles en briques non cuites, en boue et pailles alors qu’1% étaient en bois. D’ailleurs, les structures métalliques en double T d’une hauteur suffisante vont faire leur apparition à Athènes après 1890 alors que le béton armé va faire son apparition lors des années 1920. Le besoin immédiat et urgent en maisons n’avait pas encore fait son apparition, comme après 1922 avec l’arrivée des réfugiés de l’Asie Mineure.

Tableau 36 : Hauteur des maisons à Athènes
Nombre d’étages 1879 1890-99 1900-09 1879 % 1890-99 % 1900-09 %
Rez-de-chaussée 2.643 1.966 2.996 40 71 71
2 étages 768 556 852 12 20 20
3 étages 2.504 207 328 38 8 8
4 étages 694 29 37 10 1 1
5 étages 21 0 0 0 0 0
Total 6.630 2.758 4.213 100 100 100

Sources : Résultats du recensement de 1879. Grande encyclopédie Hellénique Pirsos.

Le grand nombre de maisons à trois étages (c’est-à-dire le rez-de-chaussée plus deux étages) en 1879 (38%) semble problématique681. Surtout si on le compare avec les nombres des périodes suivantes, qui sont nettement moins importants. La différence est trop forte pour être due à une faute de typographie. Peut être que la réponse se trouve au contenu que donnaient les contemporains à la catégorie de ces bâtiments. Une réponse plausible pourrait être que le sous-sol est compté comme un étage et avec le rez-de-chaussée, cela fait déjà deux étages. D’ailleurs, la mention de l’existence de 21 bâtiments de 5 étages en 1879 est tout aussi problématique vu que nous n’avons pas réussi à localiser des édifices aussi haut lors de cette période. Par ailleurs le premier permis de construction de ce type de bâtiment a été délivré en 1917, alors qu’au total, pour la période de 1910-1921, le nombre de ces permis est de 9. Nous savons par ailleurs que les premiers immeubles apparaissent après 1925. Comme le note M. S. Anastassakis, la hauteur des maisons athéniennes va rester stable jusqu’à la deuxième Guerre Mondiale : même en 1939, 96% des permis concernaient des petits bâtiments, c’est-à-dire d’un ou deux étages (un rez-de-chaussée et un premier étage)682.

Le tableau qui enregistre le nombre des maisons imposables ou non imposables et leur valeur locative pour l’année 1899, donne des informations supplémentaires en ce qui concerne la qualité des maisons athéniennes. Selon donc les données de ce tableau, 8% des bâtiments athéniens ont une valeur locative annuelle de moins de 240 drachmes (6.2₤) et donc n’étaient pas imposables. C’est-à-dire que le loyer mensuel qu’ils rapportaient était de moins de 20 drachmes (0.5₤). La moitié (52%) des maisons au sein de la capitale appartenaient à la classe la moins imposable, c’est-à-dire qu’ils rapportaient un loyer mensuel de 0.5 à 2₤. Cette somme (2₤) est équivalente au salaire moyen d’un ouvrier qualifié dans l’artisanat. Si 6 maisons sur 10 avaient une valeur locative plus ou moins égale au salaire d’un serviteur de boutique (1₤), nous pouvons affirmer que les maisons athéniennes sont de petites dimensions et que leur loyer est élevé.

Tableau 37 : 1899, Les maisons taxées à Athènes et leur valeur locative
Valeur locative Ν %
Non taxées 1.038 8
De 6.2 à 25.6₤ 6.339 52
De 25.7 à 76.8₤ 3.494 29
De 76.9 à 205.0₤ 1.077 9
De 205.1₤ et plus 269 2
Total  12.217 100

Source : G. Bechmann, Alimentation d’eau et assainissement des villes d’Athènes et du Pirée, Athènes, 1900, p. 261.

La moitié des contrats de location offrent des informations sur le confort de chaque maison. Presque la moitié des maisons incluent une cuisine (54%). Dans 6 cas cependant, le locataire doit la partager avec le reste des locataires, alors que dans 6 autres cas la cuisine est une pièce séparée qui se trouve dans la cour. La buanderie est présente dans 32% des maisons louées et la plupart des fois elle est commune à tous les locataires. Cette habitude ne concerne pas uniquement les couches sociales populaires mais la totalité des habitations. La maison sur la rue Agias Irinis –au centre de la ville- que loue le couturier Nikolaos B. pour un loyer mensuel de tout juste 25 drachmes par mois (1£), a une buanderie commune. Dimitrios K., chimiste, loue aussi une maison avec une buanderie commune, sur le croisement des rues Halkokondili et Kaniggos très près de l’Ecole Polytechnique mais il paie 200 drachmes par mois (7.5₤). Tout juste 34% des maisons louées avaient de l’eau, et dans le cas où elles en auraient, elle n’était pas courante. Dans quelques cas il est mentionné que le locataire peut puiser de l’eau au puits ou à une fontaine ou à une citerne dans la cour. Très rarement les maisons ont des lieux d’aisances : on les trouve dans 3% des maisons, alors que nous trouvons des salles de bain dans seulement 1% des maisons. Quelques maisons en location comportent une cave (18%). Enfin, la terrasse de la maison est toujours commune pour tous les habitants et il est noté que le locataire peut s’en servir pour étendre son linge. Souvent, les appartements ne sont pas autonomes, vu que dans certaines d’entre elles il est prévu une entrée commune avec le reste des étages. Dans l’un des cas d’ailleurs il est mentionné qu’alors que l’appartement loué possède une entrée autonome, il communique avec l’étage du haut à cause de l’escalier de service commun intérieur.

En octobre 1890, l’ex-procureur de première instance Aristidis K. achète de Spilios T., employé de la Banque Mavrou Valaoritou un terrain à bâtir dans le quartier de Kolonaki683. Le terrain a une étendue de 63m² et une façade de 4 mètres sur une impasse de la rue Kapsali. La valeur du terrain est de 5.400 drachmes (174£) et l’ex-procureur paie le vendeur en argent liquide devant le notaire. Par l’acte notarié qui suit, le nouveau propriétaire du terrain donne au vendeur le chantier de la construction de la maison, et le plan d’une maison dessinée par l’architecte Antonios A. Le but est d’édifier une maison à deux étages en 4 mois. Les deux contractants se sont mis d’accord sur une rémunération de 10.600 drachmes pour que l’« entrepreneur » édifie le bâtiment (342£). Ce prix n’inclut pas le coût de l’installation de l’eau municipale ni des tuyaux. La maison est finalement livrée à son propriétaire le 27 mai 1891.

Malheureusement le plan de la maison ne définit pas de mesures. Il nous aide cependant à voir à quoi ressemblait l’intérieur de la maison d’une personne appartenant à l’élite de la société athénienne. Le rez-de-chaussée est composé d’une chambre et d’une salle qui se trouvent sur le devant de la maison. Derrière ces pièces se trouvent la cuisine et une autre chambre. Enfin, dans le fond, la buanderie est installée, ainsi que le lieu d’aisances. Près de ce dernier se trouvent les escaliers de service qui relient de l’intérieur les deux étages. Le deuxième étage, a une chambre et une grande salle avec des fenêtres qui donnent sur la rue. A l’arrière, avec une fenêtre sur un puits de lumière, un dortoir, une cuisine et le cabinet d’aisance. Ce deuxième étage compte aussi une entrée séparée qui est desservie par des escaliers sur le côté de la maison. Nous pouvons donc supposer que l’étage du haut aurait pu être mis en location par son propriétaire (comme le cas mentionné plus haut).

Plan de la maison de A. Kouroussopoulos. Quartier Kolonaki
Plan de la maison de A. Kouroussopoulos. Quartier Kolonaki

Source : Acte notarié no 4.222 du 12 octobre 1890. Fond d’archives D. G. Vouzikis.

Bien sûr nous n’avons pas autant d’information en ce qui concerne les maisons populaires. Al. Papadiamantis cependant, dans son récit « le voisin avec le luth », écrit en 1900, nous donne l’image d’une maison qui se trouve dans un quartier pauvre, le quartier commercial de Psirri.

‘« Les autres appartements, six ou sept chambres basses, en ligne, toutes très vieilles, des taudis, quelques uns sans fenêtres, presque tous avec de la pourriture sur les murs, étaient habités par de différentes personnes. Il y avait deux ou trois célibataires, une famille avec cinq ou six enfants, une nouvelle divorcée, Katerinio de Constantinople, femme de ménage, qui vivait toute seule. Et la chambre intérieure, au fond de la cour, c’est la logeuse, madame Yiannena, veuve qui l’avait avec sa fille Dimitroula. L’enclos et les maigres maisons se trouvait sur une petite rue, entre le quartier de Psirri et le quartier de Tatsi»684.’

Notes
674.

Selon l’étude de G. Bechmann sur l’approvisionnement en eau de la capitale, en 1899 le nombre de maisons était de 12.217. On sait que le nombre de maisons en 1879 était de 7.316 et que le nombre de permis de construction publiés lors des années 1890-1899 était de 2.750. On peut donc en déduire que le nombre de nouvelles maisons pour les années 1880-89 doit être au moins de 2.150. Les 272 permis de construction de 1899 n’ont pas tous donné lieu à des maisons achevées de toutes pièces, nous pensons donc alors que le nombre de nouvelles demeures doit être un peu plus élevé. G. Bechmann, Alimentation d’eau et assainissement des villes d’Athènes et du Pirée, Athènes, 1900, p.261. (Bibliothèque Gennadios).

675.

Journal Estia, 2 septembre 1905.

676.

C. Biris, 1995, p. 180

677.

Pour le tableau analytique, voir annexes, tableau 10, p.353.

678.

Il s’agit d’une période très troublée et difficile pour la Grèce : apogée de la crise des raisins secs, appauvrissement de l’Etat grec en 1893, guerre entre les Grecs et les Ottomans en 1897. Un résultat immédiat de ces événements est la diminution du nombre de permis de construction pendant les années où ils se déroulent, ou autour d’elles : 1891, 1894, 1895, 1897, 1899.

679.

Cette information n’est jamais mentionnée dans les contrats. Il vaut bien de souligner qu’Athènes est une ville où l’on détruit pour reconstruire. Nous ne conservons pas les vieux bâtiments. Le « contact » avec le passé est donc difficile, même si un siècle seulement a passé !

680.

Manos G. Biris, 2003 (b’), p.35.

681.

A Paris, à la fin du XIXe siècle, les maisons qui ont plus de deux étages constituent 75% des maisons. A Berlin en 1885 85% alors qu’à Vienne en 1880 49%. Résultats statistiques du dénombrement de 1891 pour la ville de Paris et le département de la Seine, Paris, 1894.

682.

M. S. Anastassakis, « Athènes avant la deuxième guerre mondiale : la construction d’une ville en formation », in Revue Technika Chronika Α, 1990, Tome 10, No 1, p.45-71.

683.

Acte notarié no 4.221 du 12 octobre 1890.

684.

Alexandros Papadiamantis, « Le voisin avec le luth », in Œuvres complètes, Tome C’, Athènes, Editions Chr. Yiovanis, p.453-461.