Méthodologie et corpus

Cette étude centrée sur les pratiques enseignantes pour les langues à l’école primaire ne dissocie pas les langues et les cultures des élèves, ni l’enseignement d’une langue étrangère et celui du français langue de scolarisation pour les enfants de migrants, et c’est ce qui nous amène à étudier les savoirs sur le plurilinguisme et l’apprentissage des langues, sur le culturel et l’interculturel, et sur l’histoire de l’immigration. Convoquer plusieurs disciplines s’est présenté aussi comme une nécessité pour tenter de répondre à notre questionnement : pourquoi l’enseignant est-il souvent rivé à des pratiques monolingues dans un environnement plurilingue et alors que l’institution lui recommande de prendre en compte les savoirs sur ces réalités plurilingues ?

Nous avons conduit notre réflexion à partir de l’observation des situations d’enseignement de langue et de formation d’enseignants. Nous observons moins des faits de langue ou des processus d’apprentissage que nous ne mettons en lumière les relations entre différentes composantes institutionnelles, culturelles et linguistiques de l’espace éducatif, ce qui situe ce travail dans le champ de la sociolinguistique impliquée en didactique des langues. Nous avons choisi une démarche qualitative et plusieurs sources de données complémentaires : des textes institutionnels européens et nationaux, des manuels, des entretiens et des questionnaires auprès d’enseignants pour analyser la noosphère entre savoir savant et savoir enseigné, des situations de classe et des productions d’enfants pour observer les répertoires plurilingues et pluriculturels des élèves. Notre corpus a été constitué sur une période assez longue, puisque nous avons effectué nos premiers recueils de productions enfantines en 1999 et analysé des supports publiés en 2008. Son analyse apporte des éléments de réponses à notre première hypothèse sur l’impact de l’environnement professionnel des enseignants et nous amène à formuler une seconde hypothèse sur le bien-fondé d’un appui sur les ressources locales, que nous tentons de vérifier par des situations de formation. Cette présentation de notre méthodologie, cependant, ne suffit pas à rendre compte du cheminement de notre travail : les étapes n’en sont pas successives, mais imbriquées l’une dans l’autre. Chaque élément suscite de nouvelles questions à propos d’un autre domaine : par exemple, l’étude des manuels amène à réexaminer les instructions officielles. Les entretiens avec des enseignants entraînent de nouvelles orientations dans les formations. Etudes théoriques, analyses du corpus et pratiques de formation se sont nourries les unes des autres. Les différentes parties de notre corpus sont également considérées les unes en regard des autres, qu’il s’agisse des créations enfantines, des répertoires traditionnels et de ceux utilisés par les enseignants, des manuels d’histoire de lycée et des discours des enseignants sur les langues des enfants de migrants, des premières unités des manuels et de la première séance de langue des enseignants.

Notre première hypothèse, l’impact de l’environnement des enseignants sur la transposition didactique des savoirs, justifie un corpus large et diversifié. C’est la genèse de notre travail qui nous a d’abord amenée à recueillir les productions d’enfants, et en particulier leurs productions spontanées hors cadre scolaire. Constatant de manière empirique un écart entre les thématiques abordées par les manuels de langue de primaire et celles des conversations quotidiennes des enfants de notre entourage, nous avions dans un premier temps envisagé une étude sur cette seule question. L’élargissement de notre champ de recherche nous a amené à considérer ces productions d’enfants comme l’une des manifestations de leurs potentialités méta langagières. Nous les avons enregistrées au fil du quotidien, dans des contextes familiaux ou dans des cours d’écoles, et les avons analysées en les confrontant au répertoire traditionnel de la culture enfantine, largement utilisé dans les écoles maternelles.

Pour analyser les potentialités des élèves, nous avons également mis en place et enregistré plusieurs séances dans des classes de maternelle et de primaire. Ce sont les transcriptions des enregistrements en classe qui constituent notre corpus. A l’école maternelle, il s’agit d’activités d’éveil aux langues, qui permettent aux élèves de verbaliser leur réflexion et à l’observateur de l’analyser :

‘« l’activité métalinguistique des apprenants (qui) comporte une face émergée (verbalisée, observable) et une face interne (la réflexion, les processus conscients et inconscients) » (Porquier, 1996 : 9)’

Notre questionnement à propos des enfants en maternelle est double : quelles sont leurs compétences et connaissances plurilingues ? Les repérer et les solliciter peut-il contribuer aux apprentissages ? Nous avons construit notre protocole à partir d’un double constat fait dans les classes de langue, en école maternelle ou primaire : les supports de langues utilisent le plus souvent une illustration visuelle, des documents vidéo, mais aussi, plus largement, des realia, des « cartéclairs »1, des illustrations d’albums, ainsi que la gestuelle explicative et le mime. Ce très large recours aux supports visuels peut paraître paradoxal si l’on considère que l’objectif premier et prioritaire est le développement de l’écoute et de la compréhension. Par ailleurs, l’utilisation de supports audio-visuels est fréquemment soupçonnée de déclencher une attitude passive de la part des enfants. Ces constats nous ont amenée à choisir des outils de médiation qui privilégient l’approche auditive et des activités centrées sur l’écoute active. Nous avons utilisé des supports audio-visuels, mais nous avons dissocié les canaux sonores et visuels afin de créer un enjeu en demandant aux enfants de formuler des hypothèses, validées ou infirmées par le visionnement du support. Nous avions également la préoccupation de miser sur une économie d’énergie pour les enseignants de maternelle comme du primaire : ils sont en effet sollicités pour enseigner les langues à l’école, pour construire des projets, pour utiliser de nouveaux outils. Dans ce contexte, il est précieux d’explorer des dispositifs de classe qui prennent appui sur des gestes professionnels déjà bien maîtrisés dans d’autres contextes : d’où le choix de transférer aux documents audio-visuels la typologie de textes écrits, qui est un dispositif pédagogique bien rôdé par de nombreux enseignants pour la maîtrise du français langue de scolarisation et langue-matière. L’identification par les enfants de types d’oraux télévisuels dans différentes langues convoque des stratégies similaires au tri de textes : se concentrer sur les éléments co-textuels et sur les fonctions du document. Outre ces éléments, il s’agira pour les enfants de formuler les indices qui leur permettent d’identifier les langues entendues.

En amont de cette typologie de documents télévisuels, les enfants ont manipulé des photos de situations de communication et se sont exprimés à leur sujet. Les supports utilisés ont été, pour cette première étape, 72 photographies montrant des situations de communication courante, dans des contextes familiers, et mettant en scène une variété d’âges, de types physiques, de milieux sociaux : une femme hésite dans un magasin entre plusieurs paires de chaussures, des enfants jouent dans une caravane, une famille prend le petit-déjeuner, etc. Pour la seconde phase de l’expérimentation, nous avons interrogé les enfants en grand groupe sur les émissions qu’ils regardent le plus souvent, et nous avons construit un montage d’extraits de ces émissions (seul manque un extrait de documentaire) dans différentes langues. Chaque document télévisuel était de trois minutes au maximum : en allemand, un extrait de journal télévisé ; en anglais, un extrait de journal télévisé incluant un extrait de match de football ; en arabe, un jeu télévisé (il s’agissait de deviner des chansons de variétés), un dessin animé par ailleurs diffusé par des chaînes françaises, des marionnettes, une émission de cuisine (comprenant l’usage par la présentatrice de mots français : « petits fours », « montage », « mousse au chocolat », « génoise », …) ; en espagnol, le discours d’investiture de M. Zapatero au parlement espagnol, un extrait d’actualités ; en français, un match de football enregistré lors d’un direct, une situation en classe, un bulletin météo ; en italien, des publicités ; en portugais, un extrait de journal télévisé ; en russe, une scène familiale extraite de Derzou Ouzala, le film de Kurozawa.

Le corpus pour l’école primaire n’est pas recueilli dans le cadre d’une situation expérimentale mais d'une situation de l’enseignement ordinaire d’une langue étrangère à l’école. Nous sommes intervenue soit de manière ponctuelle, en introduction de l’enseignement d’anglais ou d’italien assuré ensuite par l’enseignant de la classe, soit pour enseigner l’anglais deux fois par semaine dans une classe. Nous avons très peu modifié les conditions de travail habituelles des élèves, et avons mis en place une activité de recueil des représentations et des capacités méta langagières des élèves. Cette activité peut être mise en place avec peu de moyens par l’enseignant, et permet autant de faire émerger les représentations et les ressources linguistiques des élèves que de développer leur réflexion sur les langues, grâce au débat qui s’instaure :

‘Dans la classe, et c’est encore plus vrai pour l’oral que pour l’écrit, c’est sur le dialogue et à travers le dialogue que se développe la réflexion métalinguistique (…). C’est aussi par le dialogue, dans une construction à plusieurs, que ces jugements, ces commentaires peuvent s’affiner, se confronter, prendre une forme plus objective. (Nonnon, 2004 : 325-326)’

La première phase de l’activité est un débat sur la question « Quelle(s) langue(s) connaissez-vous ? » ; il permet de convoquer des connaissances et de lister des langues et impulse un court débat sur les langues communes à l’Europe et au continent américain ; il déclenche peu l’évocation d’expériences personnelles ou la réflexion métalinguistique, et nous ne le relatons pas ici. La seconde phase consiste à faire écouter au groupe classe un montage audio de différentes langues (allemand, anglais, arabe, boulonnais, créole, espagnol, italien, polonais, soninké, yiddish). Dans cette situation courante d’éveil aux langues, les élèves essayent d’identifier les langues et justifient leurs hypothèses. Les enregistrements analysés ont été faits en début d’année scolaire, juste avant le début de l’enseignement d’une langue, de 2000 à 2003, avec sept groupes-classes différents. Les classes sont en Centre Ville, quatre dans un quartier dit favorisé, trois en REP, Réseau d’Education Prioritaire.

Le corpus de notre deuxième partie est constitué de plusieurs passages obligés entre les savoirs et la classe : les textes institutionnels et les manuels. Nous avons analysé les textes des institutions européennes et nationales. Pour les premières, nous avons confronté les grandes orientations et les principales recommandations de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe en matière de politique linguistique et culturelle à deux outils. Pour l’Union, les Eurobaromètres, et pour le Conseil de l’Europe, le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. Gerhard Bach a analysé l’Eurobaromètre 2001 en confrontant ses résultats aux objectifs de plurilinguisme du Cadre Européen Commun de Références pour les Langues et du Livre Blanc. Ceci l’amène à déplorer que la réalité ne soit pas à la hauteur des ambitions affichées. Nous avons adopté un point de vue différent, et nous nous sommes moins attachée aux résultats de l’Eurobaromètre qu’à la conception même de l’enquête : ce sondage est-il en cohérence avec les objectifs de l’Union européenne ? Ses questions permettent-elles de rendre compte de l’existence et des modalités des pratiques plurilingues dans l’espace européen ? Nous avons confronté les orientations du Livre Blanc et du Cadre Commun de Référence pour les Langues aux enquêtes conduites pour l’Eurobaromètre – 54 de 2001 et celui de 2005 (63.4) sur les pratiques linguistiques, et celui publié en septembre 2007 (278), résultat d’une enquête conduite en février et mars 2007 sur les comportements et valeurs culturelles. Nous avons analysé la formulation des questions, la présence ou l’absence de certaines données, la terminologie employée pour désigner les pratiques linguistiques et culturelles, autant d’éléments qui constituent un angle de vue qui n’est pas nécessairement celui des grandes orientations des institutions européennes.

En ce qui concerne les textes ministériels français, nous avons consulté les titres et les mots-clés des textes parus au Bulletin Officiel à partir de 1973, qu’il s’agisse des programmes, de leur mise en place, des modalités d’organisation, des horaires, de la formation et/ou du recrutement des enseignants de langue au primaire et nous avons exploré le texte entier des programmes de langues de 2002, 2007 et 2008 ; nous y avons recherché les occurrences des mots suivants : bilinguisme, français langue étrangère, français langue de scolarisation, langue et culture d’origine, langue étrangère, langue régionale, langue vivante, plurilinguisme, ainsi que les termes décrivant les objectifs assignés à cette nouvelle discipline, ceux utilisés pour désigner les élèves en situation plurilingue, et les évocations de compétences plurilingues et des langues familiales.

Les manuels d’histoire de lycée sont des données qui peuvent a priori être considérées comme éloignées de notre problématique. Nous les avons analysés pour explorer quelques facteurs qui ont pu peser sur l’image que les enseignants se font à la fois de l’élève, de l’identité linguistique du citoyen en devenir, et de leur propre mission. Nous avons étudié et comparé dix-neuf manuels d’Histoire2, et nous y avons recherché les mentions des langues nationales, minoritaires ou régionales, des politiques linguistiques, des évènements liés aux cultures et aux usages linguistiques, afin d’apporter un éclairage sur ce qui peut former le regard d’un enseignant sur un citoyen parlant, à l’orée du XXIe siècle. Les manuels que nous avons étudiés sont publiés entre 1997 et 2003 ; situons-les par rapport à la carrière d’un professeur des écoles en exercice : celui-ci aura pu étudier l’un des manuels d’Histoire de Première publié en 1997, de Terminale publié en 1998. Peut-être aura-t-il, en cours élémentaire ou en cours moyen, suivi un des manuels édités ou réédités en 1985 et analysés par Suzanne Citron (1987 : 14), dont nous évoquerons l’étude. Analyser plusieurs ouvrages d’un même directeur de collection répond en partie à la question de savoir si le traitement des données linguistiques est le fait de la période historique ou du niveau de classe. Le programme de Seconde couvre la période de l’Antiquité au milieu du XIXe, celui de Première le monde contemporain du milieu du XIXe à 1945, et celui de Terminale le monde de 1939 à nos jours. Lorsque Alain Choppin analyse dans une perspective en œuvre de méthodes d’apprentissage, référentielle, puisque les manuels traduisent le programme et historique l’édition scolaire française (2005 : 39-53), il attribue aux manuels quatre fonctions : instrumentale, par la mise présentent les contenus éducatifs, documentaire par la présentation de documents textuels et iconiques, et idéologique et culturelle :

‘C’est la fonction la plus ancienne. Depuis le XIXe siècle, avec la constitution des Etats-nations et le développement, dans ce cadre, des principaux systèmes éducatifs, le manuel s’est affirmé comme l’un des vecteurs essentiels de la langue, de la culture et des valeurs des classes dirigeantes. Instrument privilégié de la construction identitaire, il est généralement ressenti, à l’instar de la monnaie ou du drapeau, comme un symbole de la souveraineté nationale.  (2005 : 40).’

Notre analyse des manuels d’histoire s’attache moins à la fonction instrumentale qu’aux trois autres mentionnées. Dans un premier temps, nous avons recherché des indicateurs en terme quantitatif de l’importance accordée aux phénomènes linguistiques dans les notions et faits historiques abordés, dans la cartographie, les index et les mots-clés, dans les documents et textes littéraires insérés. Dans un second temps, nous avons analysé les conceptions mises en évidence dans les contenus, le choix des formulations et les analyses historiques.

Pour avoir une image plus complète de ce qui a pu contribuer aux représentations du futur enseignant, nous ne pouvions analyser la vision des pratiques linguistiques véhiculée par les manuels d’histoire de lycée sans le faire également avec les manuels de langues pour la même période : nous avons donc étudié six publications parues entre 1996 et 2003. Par ailleurs, et afin de mieux comprendre l’impact du CECRL sur plusieurs étapes de la scolarité, nous avons étudié sept publications postérieures à l’introduction du CECRL dans les programmes. Ces treize publications (manuels, accompagnés ou non de livrets de complément, cahiers d’activités, CD audio) concernent l’anglais, pour les classes de seconde, première et terminale. Nous avons recherché quelles étaient les conceptions présentées sur les langues et cultures cibles, via les illustrations et les textes choisis, sur les stratégies plurilingues, via les activités et méthodologies proposées.

Dans l’environnement immédiat de la pratique enseignante pour les langues, nous avons étudié les manuels du primaire3. Nous avons dans un premier temps analysé le contrat didactique proposé par les auteurs aux enseignants et aux élèves, tel qu’il apparaît dans la première Unité du livre de l’élève et du livre d’activités, dans les principes et les approches méthodologiques développées dans les introductions à l’usage de l’enseignant ou dans le livre du maître, pour 76 manuels de langues (allemand, anglais, espagnol, italien et portugais)4 publiés entre 1989 et 2003 pour les cycles 2 et 3 de l’école élémentaire, pour la sixième et pour la quatrième seconde langue du collège. Parmi ces manuels, nous avons écarté ceux qui peuvent être considérés comme des outils de complément (par exemple les méthodes construites à partir de l’exploitation d’un conte traditionnel). Nos questions à propos de l’entrée en matière de ces manuels portent essentiellement sur les références faites à la langue de scolarisation, aux langues des apprenants, sur le traitement qui en est fait et sur les préconisations aux enseignants en matière de prise en compte des acquis antérieurs des élèves.

Dans un second temps, nous avons analysé dix manuels parus après l’introduction de la référence au Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues dans les programmes : il s’agit de deux manuels d’allemand langue vivante 2 pour le collège, et de huit manuels pour le primaire, dont cinq pour l’anglais, deux pour l’espagnol, un pour l’italien. Nous avons considéré comme un seul outil le manuel et les supports périphériques (livrets d’activité, guide pour l’enseignant, ainsi que les publications d’une même collection pour plusieurs niveaux). Nous avons cherché dans quelle mesure cette modification dans les programmes avait impulsé de nouveaux choix de la part des auteurs, en particulier en ce qui concerne la prise en compte des parcours langagiers des apprenants, la présentation de la langue cible en termes de variétés de langue (les accents, les lexiques différents), de zones de diffusion, mais aussi de pratiques plurilingues dans les pays concernés ; nous avons également étudié si étaient abordés le développement de stratégies plurilingues, la capacité à s’auto-évaluer et à repérer les compétences et stratégies transversales à plusieurs langues, la reconnaissance des diversités linguistiques et culturelles. Nos indicateurs sont les illustrations, les prénoms des personnages de la narration qui est utilisée par la plupart des méthodes, les situations de communication mises en scène, les thématiques abordées, les personnes célèbres présentées comme représentatives de la culture cible (artistes, écrivains, cinéastes, acteurs, sportifs, créateurs de mode…). Nous n’avons pas fait le comptage des dessins pour plusieurs raisons : fréquemment, une planche est reprise dans les pages suivantes sous forme de médaillons, et le comptage s’avèrerait peu informatif sur ce qui nous préoccupe ; de nombreux croquis de personnages ont un rôle de signalétique attrayante et non d’information sur la culture : c’est le cas par exemple de l’ourson qui explique le rôle des prépositions dans Wie geht’s ? (2005 : 163) ; d’autres dessins représentent les « héros » choisis par les auteurs et leur répétition illustre la narration et ne constitue pas une information donnée par les auteurs sur la culture du pays concerné ; de même, en ce qui concerne les photos, nous n’avons pas fait le comptage des « héros » du manuel, lorsque des comédiens sont photographiés dans des scènes du quotidien. Nous n’avons pas non plus fait le comptage de photos pour lesquelles il est difficile d’avoir une vision précise : foules vues de loin, personnes masquées, de dos, …

L’analyse du parcours qu’empruntent les savoirs pour être transposés dans la classe ne suffit pas à rendre compte de la réception de ces savoirs par l’enseignant. Nous avons analysé des pratiques enseignantes à travers l’analyse de mémoires professionnels de professeurs des écoles en formation initiale et à l’aide de questionnaires et d’entretiens auprès d’enseignants en exercice. Sont analysés ici cinquante des huit cent-soixante-deux mémoires écrits en 2004 par les professeurs d’école stagiaires des centres de Bourg, Lyon et St-Etienne de l’IUFM. Nos critères de choix ont été, soit un lien direct avec le culturel et l’interculturel (ethnomusicologie, stages à l’étranger), soit une thématique qui peut amener à traiter des cultures des élèves (les relations école-famille), soit au contraire des thématiques plus éloignées, mais qui peuvent accueillir une réflexion sur l’interculturel (le choix de supports en littérature pour la jeunesse, l’usage des Instructions Officielles). Cette analyse n’est pas une étude quantitative : la question n’est pas « parmi tous les mémoires de 2004, combien traitent de l’interculturel ? », mais plutôt : quelles informations la lecture d’une cinquantaine de mémoires abordant des problématiques différentes peut-elle nous apporter sur la manière dont sont traitées les langues et les cultures des élèves à l’école ? Dans les cinquante mémoires analysés5, quatre champs de réflexion peuvent permettre d’aborder ces éléments : les rôles de l’école, la relation école-famille, les cultures mentionnées, les profils d’élèves. Nous avons dans un premier temps analysé comment ces points faisaient l’objet de repérage, d’omission, d’évaluation, d’analyse et de mise en interaction. Dans un second temps, nous analysons la manière dont les enseignants conçoivent les interactions des différentes cultures présentes dans la classe, puis dans une troisième étape, la manière dont ils abordent les langues de leurs élèves. Nous ne citerons que les extraits du corpus les plus représentatifs des points de vue présents dans les mémoires analysés.

Nous avons souligné plus haut à quel point les créations spontanées des enfants témoignaient d’une réflexion métalangagière, et nous avons rappelé les fonctions communes aux répertoires de culture enfantine dans différentes langues. Ceci nous amène à rechercher les points de contact entre les répertoires plurilingues acquis par les élèves dans leurs pratiques sociales et les répertoires scolaires des enseignants de maternelle. Pour cela, nous avons exploré les répertoires de chants et comptines construits par des enseignants de maternelle et avons recueilli leur réflexion sur ces répertoires, au cours d’entretiens avec les enseignants de trois écoles maternelles. Nous faisions l’hypothèse que l’environnement de ces trois écoles pouvait, pour des raisons différentes, amener les enseignant-e-s à choisir certaines comptines ou chansons dans des langues familières de leurs élèves : la première école (A)6 dans une banlieue défavorisée de Saint-Étienne, est depuis plusieurs années fréquentée quasi exclusivement par des enfants arabophones et turcophones. Pour l’année 2003-2004, année de nos entretiens avec les quatre enseignantes réunies, un seul élève était francophone et monolingue. Les deux autres écoles sont lyonnaises. L’une (B) compte plusieurs enfants récemment arrivés en France, et plusieurs des parents d’élèves, majoritairement de classe moyenne, sont eux-mêmes immigrés ou enfants d’immigrés. Les deux enseignantes rencontrées enseignent l’anglais et ont monté plusieurs projets sur la dimension internationale. L’autre (C) est à la frontière d’un quartier favorisé et d’un quartier en Réseau d’Education prioritaire ; plusieurs des parents d’élèves de cette école sont immigrés ou enfants d’immigrés ; il s’agit de deux formes d’immigration différentes, l’une économique et en provenance de pays du Sud, l’autre de personnes à statut social élevé, familières de la culture de l’école maternelle, et venant de pays de l’Union européenne ; aussi ces parents parlent-ils des langues dont la diffusion, le prestige et le statut sont différents. Nous sommes reçue dans cette école par deux enseignants d’une même classe.

Si le traitement des répertoires plurilingues des élèves dès la maternelle peut à la fois induire de la part des élèves plus ou moins de confiance dans ses propres stratégies plurilingues d’apprentissage, et être un indicateur des modes de didactique plurilingue, une autre étape importante est l’entrée dans une langue étrangère enseignée à l’école. Nous avons pour cela interrogé neuf enseignantes sur leur première séance de langue (déroulement, supports, recueil des représentations et du capital langagier des élèves), sur le vécu linguistique de leurs élèves, en classe et en dehors de l’école, et sur l’usage fait d’éléments de ce vécu au cours de leur enseignement. Les questionnaires portent sur le début de l’enseignement de l’allemand en sixième, de l’anglais en CP, CE2, CM1-CM2, et sixième, de l’italien en CM1. Nous avons interrogé, en 2003, trois enseignantes d’école primaire et deux de collège (à propos des classes de sixième) ; en 2008, deux enseignantes en école primaire et deux en collège. Sept de ces enseignantes sont impliquées dans la formation à divers degrés, soit pour l’accueil ponctuel de stagiaires étrangers, soit en tant que titulaires du CAFIPEMF, maîtres ressources en langue vivante, maître de stage au secondaire ou formateur associé. Nous avons utilisé le questionnaire (en annexe) comme grille d’entretien pour deux enseignantes, dans un premier temps, et les autres réponses ont été données par écrit.

Nous avons analysé et mis en lien tous les éléments ci-dessus (textes institutionnels, supports, entretiens, séances de classe, productions d’enfants), afin de construire une image des possibilités et des freins qui existent, dans l’environnement de l’enseignant du primaire, à l’exploration et à l’exploitation des potentialités des élèves. Nos corpus d'enseignants et d'enfants ont tous été recueillis dans la deuxième région d'immigration en France, à Lyon, St-Etienne et St-Chamond. Pour Lyon seul, Akinci, De Ruiter et San Augustin (2003) ont répertorié soixante-sept langues, outre le français, dans l'environnement des enfants auprès desquels ils ont enquêté.

Nous avons tenté de pratiquer une approche « d’ethnographie éducative » telle que Margarida Cambra Giné la conseille à l’observateur de la classe de langue, approche qu’elle définit (2003 : 18-19) comme la capacité à s’intéresser à la classe réelle (et non rêvée), espace de rencontre de différentes cultures ; à considérer la classe comme une micro-communauté culturelle ; à prendre en compte les éléments macro et micro du contexte, dans leur complexité et leurs multiples interactions.

‘Une classe est insérée dans une niche écologique de différentes macro cultures, et constitue également une culture en soi, un mode de vie, un réseau de significations pour les membres du groupe (2003 : 65).’

Nous nous sommes efforcée de suivre ses propositions, en particulier en ce qui concerne :

La dernière partie de ce travail s’efforce de répondre à notre seconde hypothèse par des propositions pour l’enseignement et la formation. Pour cela, nous nous référons à des travaux sur la formation et la transposition didactique, et le corpus que nous avons utilisé pour évaluer les dispositifs de formation sont une partie des productions de stagiaires de 2003 à 2008. Au plan terminologique, et en particulier dans cette dernière partie, nous n’avons pas introduit de termes ou d’expressions spécifiques, sinon une : explorant les liens à différentes langues qu’ont les enfants et les enseignants, liens construits par l’acquisition, les apprentissages successifs dans des contextes divers, de l’environnement familial à l’école, de contacts occasionnels à des migrations, nous désignons plusieurs fois les langues qu’ils côtoient sous le terme « langues de vie ». Nous avons utilisé cette expression dans nos écrits, mais également en situation, lors d'entretiens avec les enseignants et de formations. Encarni Carrasco a étudié les concepts de LM/L1, L2 et LE en regard du plurilinguisme en Espagne (2004 : 365-374), et constate la difficulté qu’il y a à choisir un terme pour rendre compte de multiples variables comme « la filiation linguistique de l’individu, son caractère mono- ou bilingue », (2004 : 367), mais aussi de :

‘La multiplicité et la variété des contextes et des modes d’appropriation langagière, la relativisation des distances et de la perception de l’extranéité langagière grâce à la mondialisation progressive des échanges, au développement/diffusion des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et à l’accélération des processus de communications ; les possibilités de plus en plus fréquentes de rencontrer des locuteurs alloglottes grâce à la démocratisation des voyages de loisir et à la libre circulation de personnes à l’intérieur des zones de libre-échange des traités économiques internationaux favorisant la mobilité professionnelle et les échanges scolaires et universitaires ; la multiplication d’aires de métissage linguistico culturel émergeant du contact croissant et permanent de communautés provenant d’horizons divers, etc. (ibid : 373)’

Louise Dabène (1997, citée par Danièle Moore, 2006 : 30) a distingué les statuts formels et informels des langues, et, pour le second, l'interaction des composantes économiques, sociales, épistémiques (les exigences cognitives associées à l'apprentissage de cette langue), culturelles et affectives. Jean-Louis Calvet (1999, 2004) a rendu compte des contact des langues par un "modèle gravitationnel", modèle qui n'est pas construit à partir de statuts figés. Calvet prend en compte les relations des langues entre elles et avec leurs locuteurs : sont distinguées, outre une langue hyper centrale, l'anglais, des langues super centrales de grande diffusion et au prestige important (le français, l'hindi, le russe, …), des langues centrales et des langues périphériques. Ce modèle permet de décrire différentes formes de plurilinguismes et de rendre compte de la relativité des statuts des langues selon le contexte. Notre formulation " langue de vie " n'évacue pas ces réflexions sur les statuts des langues et sur les interactions de ces statuts. Mais elle permet, pour des ateliers de formation qui privilégient la valorisation des différentes composantes des répertoires plurilingues des enseignants et des élèves, de donner la priorité au lien que chaque personne a avec les langues évoquées, et lors d'entretiens d'enquêtes, de prioritairement solliciter l’expression sur l’expérience vécue : une langue de vie peut avoir été apprise ou simplement côtoyée ; ponctuellement et partiellement pour un voyage professionnel ou lors d’une histoire amoureuse, grâce à une nounou ou avec des voisins, à l’école ou en vacances. C’est la relation entre la langue et chaque personne qui est privilégiée, et non son statut ou une désignation externe au locuteur. Notre hypothèse est celle de la modification des représentations et des pratiques des enseignants grâce à la validation des répertoires plurilingues des enseignants et à l'appui sur les ressources locales. Danièle Moore rappelle combien cette revalorisation est difficile :

‘Le statut informel des langues, et la dévalorisation dont celles-ci peuvent faire l'objet dans les communautés en contact, peuvent rendre difficiles les efforts de revalorisation, même si le nombre de locuteurs est suffisamment élevé pour pouvoir assurer démographiquement la transmission des langues concernés, et leur enseignement dans le cadre scolaire (2006 : 31).’

La tâche est d'autant plus ardue pour des langues minorées (langues régionales non enseignées ou non répertoriées, langues de faible diffusion). Ce constat nous a amenée à choisir l'expression "langue de vie" afin de minorer les représentations en termes de statuts, et de valoriser les langues quelles qu'elles soient en tant que ressources pour les apprentissages, ressources pour les membres de la communauté d'apprenants, stagiaires en formation ou élèves. Cette formulation désigne, au cours des entretiens et dans nos ateliers de formation, tous les modes d’expression et de communication, tous les usages partiels ou plus amples, indépendamment des statuts habituellement évoqués (dialecte, langue orale, langue écrite, etc.).

Notes
1.

Communément appelées flash-cards.

2.

Afin d’alléger la lecture, les références aux manuels sont indiquées par une lettre et un chiffre dans le corps du texte, se reporter à la liste en annexe.

3.

Uniquement les livres. Nous n’avons pas analysé les mallettes pédagogiques.

4.

La liste des éléments analysés pour les différentes méthodes, ainsi que les langues et les niveaux de classe concernés, figurent en annexe.

5.

Ils sont référencés dans le texte par une lettre et un chiffre qui renvoient à la liste en annexe

6.

Nous utiliserons les lettres A, B, C pour désigner ces écoles dans les pages suivantes et dans le chapitre II de la troisième partie.