2. Un autre regard sur le locuteur bilingue et l’apprenant

2.1. De nouveaux terrains d’observations du bilinguisme

Les recherches de Peal et Lambert, en 1962, auront un impact plus fort sur la didactique, car elles comparent des populations d’élèves en situation scolaire ordinaire. Deux groupes d’élèves montréalais de classe moyenne sont étudiés. Ne sont pas seulement évaluées les compétences strictement linguistiques des enfants bilingues et monolingues, mais également leurs compétences langagières et différents savoir-faire et attitudes : il apparaît alors que les enfants bilingues, lorsqu’ils sont dans un contexte socio-économique sans problème particulier, font preuve d’une plus grande flexibilité cognitive et d’une meilleure capacité d’abstraction que les monolingues. Pearl & Lambert ne considèrent plus les bilingues comme des cas marginaux, les comparent à des groupes ordinaires, veillent à éviter les biais tels que la comparaison d’enfants de catégories sociales très différentes ; même si, en l’occurrence, les enfants bilingues observés ont en commun le fait d’avoir des parents francophones ayant pour leur enfant le projet d’une éducation bilingue, ce qui dans le contexte canadien des années 1960 pouvait déjà constituer un avantage partagé par cette catégorie sur les élèves monolingues anglophones (Bialystock, 2001 :188). Lewis Balkan (1970), de sa recherche en Suisse romande, conclut que les enfants bilingues présentent une meilleure plasticité verbale et perceptive que les enfants monolingues (Titone, 1974). Ces travaux vont permettre des passerelles plus importantes entre les recherches sur le bilinguisme et la didactique des langues. Cependant, la multiplicité des facteurs en jeu rend difficile une évaluation et une comparaison fiables des bilingues et des monolingues.

Accepting the standard assumption that no bilingual is ever equally competent in both languages, how much language is needed before we agree that a person is bilingual ?  9 Bialystok, 2001 : 10)

Question à laquelle il est impossible de répondre, faute de pouvoir évaluer monolingues et bilingues dans des contextes semblables, ou les performances d’un sujet bilingue dans des situations identiques dans les deux langues concernées ; ce qui supposerait que le sujet fasse un va-et-vient entre deux univers identiques, y vive les mêmes expériences et apprenne ainsi deux fois la capacité à vivre des situations langagières semblables.

McLaughlin finira par écrire :

It has not been demonstrated that bilingualism has positive or negative consequences for intelligence, linguistic skills, educational attainment, emotional adjustment, or cognitive functioning. In almost every case, the findings of research are either contradicted by other research or can be questioned on methodological grounds. The one statement that is supported by research findings is that command of a second language makes a difference if a child is tested in that language – a not very surprising finding 10 (1978, cité par Grosjean, 2004, 37)’

C’est aussi ce que conclue Titone (1974) de son analyse de travaux faits sur le bilinguisme au cours du vingtième siècle : il souligne la fragilité de résultats qui se fondent sur des témoignages de faible valeur scientifique, en nombre restreint ou qui privilégient des critères au détriment d’autres. Tout au plus peut-on avancer, en termes de compétences strictement linguistiques, que les enfants bilingues ont un lexique plus étendu dans l’une des deux langues, que leur lexique dans chaque langue est moins important que celui d’un enfant monolingue dans sa langue, et que leur maîtrise des deux langues leur permet de s’engager de manière équivalente dans des situations de communication similaires (Bialystok, 2001 : 20). Ni la référence à la norme linguistique ni les performances en situation d’évaluation normative ne suffisent à évaluer les compétences bilingues.

Notes
9.

Si nous reconnaissons qu’aucun bilingue n’est compétent de manière identique dans deux langues, quel est le degré de maîtrise d’une langue requis avant de pouvoir qualifier une personne de bilingue ?

10.

Les conséquences positives ou négatives du bilinguisme n’ont pas été démontrées, qu’il s’agisse de l’intelligence, des compétences linguistiques, des résultats scolaires, de l’adaptation émotionnelle, ou des processus cognitifs. Dans presque tous les cas, les résultats des travaux sont contredits par d’autres recherches ou peuvent être contestés pour des points de méthodologie. La seule conclusion qui puisse être retenue des différentes recherches est la suivante : le degré de maîtrise d’une langue 2 influe sur les résultats des évaluations, lorsque l’enfant est évalué dans cette langue. Ce qui n’est pas une découverte très surprenante.