Chapitre II. Les savoirs sur le culturel

Langue et culture sont d’inséparables sœurs siamoises, en interaction permanente : la langue témoigne de la culture, elle en est le vecteur et le reflet ; elle est en elle-même un fait culturel ; il est vain de vouloir apprendre et comprendre une langue sans avoir accès à la culture qui lui est associée, et la langue elle-même influe sur les représentations que construisent ses locuteurs (Sapir, 1967, 1re édition 1921). Les langues comme les cultures peuvent être abordées à travers leurs fonctions, et sont toutes deux à la fois outils de régulation et d’expression du groupe. Ce groupe peut comprendre les locuteurs et acteurs natifs, mais aussi être étendu à tous, y compris les apprenants d’une langue et les nouveaux membres d’une culture :

‘Appartenir à une culture, communiquer par une même langue, c’est être intégré à un réseau de connaissances et d’interprétations collectives (cultural network), autrement dit faire partie d’une communauté cognitive (Lapaire, 2003 : 106) ’

Mais ces éléments partagés par les langues et les cultures ne suffisent pas à expliquer la présence ici d’un chapitre consacré aux savoirs savants sur le culturel. La donne culturelle est particulièrement importante dans la vie de la classe, à plusieurs titres, car elle est à la fois objectif de scolarisation, objectif de l’enseignement de différentes disciplines, et élément de l’environnement scolaire. La culture est un objectif associé à l’enseignement de la langue de scolarisation pour les enfants de migrants, à celui de la langue étrangère ou régionale pour tous les enfants. Dans la situation d’enseignement d’une langue étrangère, le culturel est présent dans le choix de la langue et des contenus, dans les compétences visées, et dans la communication que représente la situation d’enseignement elle-même. Les situations de plurilinguisme et les différentes cultures présentes dans les aires concernées par la langue cible sont des éléments culturels qui peuvent faire partie des contenus d’enseignement : le choix de les présenter ou de les occulter sera à la fois un élément de la culture d’enseignement, et une validation ou au contraire un déni de la pluralité de langues et de cultures. Les compétences de communication telles qu’elles sont aujourd’hui définies incluent des compétences sociolinguistiques et stratégiques, indissociables de compétences culturelles.

L’environnement scolaire et les choix que font ses principaux acteurs, c’est-à-dire les systèmes éducatifs, les éditeurs, les enseignants et les apprenants, peuvent difficilement être analysés sans prendre en compte les données culturelles. L’enseignement d’une langue et d’une culture à des apprenants d’autres langues et cultures est une mise en contact des cultures souvent considérée dans une dimension d’abord duelle : une nation, entité politique, linguistique et culturelle fait le choix d’enseigner à ses membres la langue et la culture d’une autre nation. Le système éducatif d’un pays (émanation de la culture dominante de ce pays) choisit parmi différentes langues et cultures celle(s) qu’il choisit d’enseigner. Ainsi, lorsque l’éducation nationale française choisit d’enseigner une langue, elle ne prend pas seulement en compte des données quantitatives telles que le nombre de locuteurs et le la distance du pays concerné, mais un faisceau de raisons internes et externes : à l’interne, les traditions d’enseignement, les chaires existantes, à l’externe, la diplomatie, l’économie, les visées d’enseignement du français à l’étranger, etc. Toutes raisons qui font de cette sélection un acte culturel en tant que tel. La culture éditoriale et la culture de l’enseignant influeront sur le traitement en classe des potentialités linguistiques et culturelles des élèves. L’acte d’apprentissage lui-même et la rencontre avec le micro-milieu de la classe de langue mettent en jeu des compétences culturelles.

Autant de raisons pour analyser les principaux discours sur les cultures, sans prétendre en dresser un tableau exhaustif. Evoquant les cent-soixante-trois définitions répertoriées par Alfred L. Kroeber et Clyde Kluckhon, Michel Wieviorka (2001 : 18) rappelle que la culture a pu être présentée comme « une jungle conceptuelle », et que « non seulement la notion est complexe, mais qui plus est, son territoire est en expansion constante ». Michaël Byram (1992 : 111) cite Kaplan et Hamers :

‘« Culture » est un mot fourre-tout. De nombreux chercheurs estiment qu’en conséquence, il ne peut servir d’instrument d’analyse. (1972 : 3)’

Nous essaierons de tracer les grandes lignes d’un parcours de recherches et de voir dans quelle mesure elles font écho aux recherches sur le plurilinguisme. Nous verrons ensuite quels peuvent être les impacts sur la classe des travaux sur le culturel.