La sociologie de l’immigration a été créée par l’école de Chicago dans le contexte américain d’une politique d’immigration restrictive et de discours à la fois négatifs et biaisés sur les populations immigrées. Les premiers travaux sont inspirés par l’anthropologue Boas, que nous avons évoqué dans le chapitre précédent : l’Ecole de Chicago étudie l’immigration de personnes étrangères et la migration interne d’Américains noirs venus du Sud. Thomas et Znaniecki, dans The Polish Peasant in Europe and America (1918, cités par Réa & Tripier), décrivent le processus d’intégration des individus immigrés grâce à leur communauté ; celle-ci a le double rôle de réassurance du nouvel arrivant et de médiation entre lui et la société d’accueil. L’individu immigrant, déstabilisé, réorganise son parcours de vie grâce à l’étayage de sa communauté, le groupe le plus proche à la fois de son univers de départ et de son nouveau milieu. Les travaux de l’Ecole de Chicago inspireront largement la réflexion en France ; il s’agit d’une démarche qualitative, alors qu'à partir des années 1940 les chercheurs américains adopteront des techniques quantitatives ; les chercheurs de l’Ecole de Chicago construisent une image positive de l’immigration, fondée sur la confiance dans la capacité d’adaptation à la société d’accueil : le processus d'adaptation se fait grâce à l’étayage d’une communauté mixte qui a adopté des traits de la société du pays d’accueil et gardé d’autres du pays d’origine, et grâce à la « réorganisation » des liens et des comportements du migrant. Dès les années 1920, les études de Thomas sur l’immigration polonaise aux Etats-Unis25 énoncent plusieurs principes que nous avons évoqués pour des périodes plus récentes à propos des études sur le bilinguisme et sur les cultures :
C’est dans la représentation de ce qu’est une immigration réussie qu’il faut chercher la différence entre le regard porté par l’Ecole de Chicago sur l’immigration et celui de travaux plus récents. Si Thomas et les autres chercheurs de l’Ecole de Chicago, par exemple, insistent sur l’importance pour les immigrants de continuer à lire et à parler leur langue, c’est moins dans la perspective de devenir des sujets bilingues, que pour faciliter leur assimilation par cette étape. Il s’agit d’une « sorte de mutation » (Park, 1921), d’un « cycle du migrant », avec un point de départ et une arrivée attendue. Les travaux de Park sur le « cycle des relations raciales » considèrent également l’assimilation comme un processus en plusieurs étapes.
Le paysan polonais en Europe et en Amérique. Récits de vie d’un migrant, Paris, Nathan, 1998, cité par Réa & Tripier.
The negro in Chicago, Chicago University Press, cité par Réa et Tripier, 2003.