3.2. La mobilité du migrant acteur de son parcours

En Europe comme en Amérique, l’assimilation n’est plus considérée comme un processus déterminé et immuable : les travaux font état de la multiplicité des profils de migrants ; il ne s’agit plus seulement d’un migrant type, rural pauvre et peu instruit, qui s’adapte au milieu urbain et à la société d’accueil, souvent en la subissant, à l’aide d’une communauté-sas. L’observation de nouveaux paramètres amène à donner plus d’importance aux sujets et à leurs différents parcours, et à comprendre, comme l’écrit Michel Wieviorka à propos des réseaux étudiés par Tarrius, « la capacité des acteurs de ces réseaux à se construire comme sujets de leur existence personnelle, à lui donner un sens, à maîtriser leur trajectoire » (2002, 10). Ces paramètres sont la pluralité des espaces et des circulations, la variabilité des statuts et des rôles, les différences dans les modes d’intégration et/ou d’installation.

De nombreux facteurs modifient d’une année à l’autre les statuts des pays d’émigration et les rôles des pays d’immigration et leurs incidences sur les conditions de vie et de scolarisation des élèves ne sont pas négligeables :

Outre l’influence des statuts et des rôles respectifs des pays d’origine et d’accueil sur les parcours de migration, les modes d’intégration, lors d’un projet d’installation, sont eux aussi variables. Les travaux sur les Mexicains en Californie, les Cubains à Miami et les Chinois à New-York débouchent sur la théorie de « l’assimilation segmentée » (Portes et Zhou, 1993, Portes, 1995, Zhou, 1997). qui différencie « trois modes d’incorporation des nouveaux migrants dans la société américaine » (Réa & Tripier, 2003 : 59) :

‘« Le premier est la reproduction du processus d’acculturation rapide associée à une intégration dans la classe moyenne, le deuxième est celui de l’inscription permanente dans la pauvreté et l’intégration dans l’underclass et, enfin, le troisième associe une inclusion économique rapide et un maintien délibéré de valeurs et de solidarités communautaires ».’

Les travaux sur les mobilités montrent que l’immigrant ne considère pas forcément l’installation définitive comme seul horizon : les migrations peuvent aussi être pendulaires, transfrontalières ou « sous forme de navettes » (Mirjana Morokvasic-Muller, 1996), circulatoires (Tarrius, 2002, Viet, 2004), ou bien sont des « mobilités répétées », par exemple pour des migrants extracommunautaires dans l’espace européen  (Mouhoud, 2007 : 213).

Les espaces dessinés par ces migrations autrefois rarement observées ne sont pas ceux des états-nations. Ce sont pourtant les politiques de ces états-nations, souvent peu inclusives, qui participent à la naissance de ces espaces. Tarrius observe avec les outils de la sociologie et de l’anthropologie urbaine les différents comportements des populations immigrées ou de leurs descendants, dans des environnements qui offrent peu de perspectives d’intégration à la société dominante, en particulier dans le quartier de Belsunce, à Marseille. Son analyse ne réfère pas seulement aux zones d’habitat, à l’insertion dans l’économie formelle et au face-à-face entre la société d’accueil et l’immigré ; il explore d’autres paramètres, en particulier les circulations, les réseaux, le capital social (des parents installés dans différentes villes, des proches). Ceci l’amène à mettre en lumière des espaces qui ne sont pas nécessairement ceux qui correspondent à la perception habituelle du citoyen installé depuis plusieurs générations dans les frontières d’un état-nation de l’Union européenne.

Il s’agit d’espaces fluides, mais bien réels, car ils correspondent à des pratiques professionnelles, économiques, sociales : « régions morales » selon l’expression des sociologues de l’Ecole de Chicago, espaces urbains qui échappent aux régulations générales (Michel Wieviorka, 2002 : 19), mais sont régis par des régulations tout aussi strictes et opérationnelles, par une éthique sociale de la parole et un fort lien social ; « territoires circulatoires », bien différents des ghettos urbains qui stigmatisent autant les sociétés d’accueil que ceux qui y résident. Etudier ces espaces amène le chercheur à se délester de l’opposition « être d’ici ou de là-bas », et à observer dans les réseaux « une capacité inédite d’être d’ici, de là-bas, d’ici et de là-bas à la fois » (Wieviorka, 2002 : 18).