1.1.1. Les apprentissages non langagiers

Une partie du répertoire enfantin encourage l’enfant à découvrir son visage et son schéma corporel. Ainsi plante-t-on les choux avec son nez, son doigt, en français ou bien énumère-t-on de plus en plus vite les parties de son corps, en wolof : « Tànk, loxo, nopp, bakkan, baat, bêt, gémmin, chut ! »35. La métaphore de la maison est fréquente pour le visage, comme le montrent ces deux comptines anglaise et portugaise qui désignent successivement les parties du visage :

Knock at the door / Pull the bell / Lift the latch / And walk in 36
Tetnho / Janelinha, / Portinha / Campainha, drrr ! 37

Il est fréquent qu’une même comptine associe plusieurs savoir-faire : identifier les parties du corps, maîtriser la rime et la comptine numérique, en ordre croissant ou décroissant : en allemand, la comptine autrichienne Fünf kleine Affen hüpfen auf dem Bett 38, en anglais, Ten little Indian boys, Ten green bottles, en français la comptine belge Trois petits singes. Les jeux amènent les enfants à chanter tout en étant attentifs aux actions des autres joueurs, à anticiper, à réagir rapidement : ainsi de La clé de St-Georges en France, de Zakdoek leggen 39 au Danemark. Les jeux de doigts développent l’agilité, accompagnent l’apprentissage de la comptine numérique et la socialisation : ils évoquent les membres de la famille et la répartition des rôles de chacun. En luxembourgeois, les doigts gestualisent une histoire d’entraide …et d’injustice :

Den daimerlek as an de Pëtz gefall / De Féngerlek huet en erausgezunn / De Laange Baart huet en ofgegréchent / De Grohänschen huet en an d’Bett geluegt / An de Stuppschwänzchen huet / Der Mamm et gesot / dunn huet en eng Botterschmier kritt ! 40

Ces jeux rappellent que partager avec sa fratrie n’est pas toujours chose facile et envisagent différents scénarii familiaux : le petit dernier reçoit portion congrue ou est trop gâté, comme le rappellent cette version en finnois et en espagnol :

Peulalopotti sai sian, hei / Suomensotti sen kotiin vei / Pitkämies siltä niskat taittoi / Nimeön siitä makkarat laittoi / Sakari pieni sen suuhunsa söi. 41
Este compro un huevito / Este lo puso a asar / Este le echo la sal / Este lo probo un poquito / Y este picaro gordito… / Se lo comio todo enterito ! 42

La culture orale enfantine a rôle de régulation sociale : les textes permettent de conclure des traités, de marquer une pause dans un jeu, de choisir ou d’éliminer un joueur (les comptines d’élimination). Iona et Peter Opie (1959, 1993 : 121-153) ont regroupé ces pièces sous le titre de “Code de législation orale », et Andy Arleo (2003) souligne que ce « folklore légal » permet la transmission entre pairs de règles de vie et de règles linguistiques. Les comptines véhiculent également des règles et des conseils d’adultes: “Go to bed late / Stay very small / Go to bed early / Grow very tall.” 43. La culture orale à destination des enfants comprend des répliques traditionnelles, celles pour décourager les enfants de sans cesse demander l’heure : « Q uelle heure est-il ? Comme hier à la même heure. », "What’s the time? A minute to the next.” 44 . Ou celles qui piègent l’enfant trop crédule : « T’as une tache» fait baisser le nez au naïf, qui reçoit une chiquenaude sous le nez : « Moustache ! » ; « Look, there’s something on your tongue » lui fait tirer la langue et s’exposer à un moqueur : « Good dog ! » 45. Mais il arrive aussi que les comptines reconnaissent l’absurdité de certains comportements parentaux: “Mother, may I go out to bathe? / Yes, my darling daughter / Hang your clothes on yonder tree / But don’t go near the water! 46 Elles réconfortent l’enfant qui est tombé (Jack and Jill) et accompagnent des étapes importantes et impressionnantes, comme la perte des dents de lait, qu’une comptine maghrébine pré-islamique encourage à considérer positivement: « Achmisa ana na’tik sannat lahmar / Oua’tini sannat laghzal 47 (Favret & Lerasle, 2001).

De nombreuses devinettes invitent à éviter de faire des réponses hâtives et à être attentif : à l’anglais « Which is heavier, a pound of feathers or a pound of lead ? » (Opie, 1959, 1993), correspond le français « Qu’est-ce qui est le plus lourd, un kilo de plumes ou un kilo de plomb ? ». Pince-mi et Pince-moi ont des compagnons espagnols, Juan y Pinchame, anglais, Adam and Eve and Pinch-me, et néerlandais, Knijp-me-eens en Krab-me-eens (Opie, 1959, 1993 : 60).

Notes
35.

Jambe, bras, oreille, nez, cou, yeux, bouche, chut !

36.

Frappe à la porte, tire la sonnette, lève le loquet et entre.

37.

Petit toit, petite fenêtre, petite porte, clochette, drrr !

38.

Cinq bébés singes sautent sur le lit.

39.

Pose le mouchoir

40.

Le pouce est tombé dans le puits, l’index l’en a retiré, le majeur l’a essuyé, l’annulaire l’a mis au lit. Et le tout-petit, il l’a dit à sa maman, et il a eu une grande tartine !

41.

Le pouce achète un cochon, l’index l’amène à la maison, le majeur le tue, l’annulaire prépare des saucisses, et le petit doigt les mange toutes !

42.

Celui-ci a acheté un oeuf, celui-ci l’a cuit, celui-ci l’a salé, celui-ci l’a goûté, et le petit chenapan a tout mangé !

43.

Se coucher tard / c’est rester petit / se coucher tôt / c’est bien grandir.

44.

Quelle heure est-il ? Une minute de moins que dans une minute.

45.

Regarde, tu as quelque chose au bout de la langue. Bon chien !

46.

Mère, puis-je aller me baigner ? Oui ma fille chérie, accroche tes vêtements à l’arbre, mais surtout, ne t’approche pas de l’eau !

47.

O soleil, je te donne une dent d’âne, donne-moi une dent de gazelle.