2. A l’école maternelle, une typologie d’oraux dans plusieurs langues

Ce dispositif de typologie d’oraux a pour objectif d’exposer les enfants à différentes langues et d’instaurer un contrat didactique qui mette en évidence les stratégies et de savoirs acquis par les élèves en dehors de l’école. Les métropoles européennes sont plurilingues par les populations qu’elles accueillent, par les parcours de leurs citoyens. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont au contact de plusieurs langues, au fil des étapes de leur socialisation et de leur scolarisation. Lorsque la langue familiale et la langue de l’école ne sont pas les mêmes, l’enjeu n’est pas de privilégier l’une d’entre elles, mais plutôt de construire une identité linguistique plurielle, de développer les aptitudes à communiquer dans des langues différentes, à des degrés divers de compétence, et dans des contextes variés. Ce que Bernard Rey souligne à propos du transfert de compétences d’une discipline à l’autre (1996) vaut pour le transfert de connaissances et de compétences d’une langue à une autre : il ne pourra se faire sans la sollicitation (explicite ou non) de l’environnement éducatif, et en particulier de l’institution scolaire ; il ne peut être activé par l’enfant seul et nécessite des activités de classe qui mettent en lumière les acquis des élèves, stimulent la réflexion aussi bien sur ce qui les distingue que sur leurs similarités. Ceci a largement été exploré par les démarches de Language Awareness (Hawkins, 1984) et de l’Eveil aux langues (Dabène, 1995, Candelier, 2003) et dont s’inspire cette expérimentation avec des enfants de 3-4 ans en cadre scolaire. Elle vise à repérer quelle est leur capacité à identifier des documents télévisuels dans différentes langues : regarder la télévision est une activité fréquemment familiale et commune à la grande majorité des enfants scolarisés en maternelle ; les modes actuels de réception de l’image57 permettent une diversification des langues écoutées à la télévision, souvent en lien avec la langue familiale. C’est donc en dehors de l’institution que les enfants acquièrent, de manière informelle et souvent solitaire, des compétences de réception et d’analyse des documents télévisuels, et sont susceptibles d’être exposés à plusieurs langues, à leurs variétés, à une alternance codique fréquente et assumée58. Notre questionnement de départ est double : quelles sont les compétences et connaissances plurilingues des élèves, en maternelle ? Les repérer et les solliciter peut-il contribuer aux apprentissages ?

L’expérimentation a consisté en six séances auprès d’une classe de quatre à cinq ans, en concertation avec l’enseignant. Nous sommes dans le centre ville de Lyon, à la lisière d’un Réseau d’Education Prioritaire et d’un quartier habité par des classes moyennes et favorisées : aussi les classes sont-elles très hétérogènes, que ce soit au plan social, culturel et linguistique ; les parents des enfants sont artistes, cadres, chercheurs, chômeurs, commerçants, enseignants, ouvriers, RMIstes et appartiennent à différentes cultures. Deux enfants de la classe ont des parents arabophones, une autre enfant s’apprête à aller passer ses vacances en Jordanie, l’un a des parents anglophones, un autre une mère néerlandophone, l’oncle d’un enfant vit en Allemagne et est en visite actuellement chez les parents de son neveu : nous sommes dans une classe ordinaire d’une métropole européenne. Les situations plurilingues que vivent les élèves sont diverses, mais auraient pu rester invisibles si l’enseignant s’en était tenu à des données statistiques de nationalité, car elles sont le fait des vécus familiaux (parcours professionnels, vacances) et des parcours migratoires des ascendants plus que d’expériences migratoires directement vécues par les élèves.

Une première séance d’observation et de contact m’a amenée à abandonner le projet d’un groupe témoin, car l’enseignant avait beaucoup travaillé les semaines précédentes à fédérer la classe, et il n’était pas pertinent d’introduire de nouvelles séparations. Une seconde séance a permis aux enfants d’identifier et de commenter les situations de communication photographiées. Les trois séances suivantes ont été consacrées à l’écoute d’extraits télévisuels : les enfants, invités à débattre sur les documents écoutés, ont validé ou invalidé leurs hypothèses lorsqu’ils ont visionné les émissions, en fin de séance. La séance conclusive a permis de répondre aux questions non élucidées, de solliciter les élèves sur leur identification de différentes langues, et d’introduire différents systèmes d’écriture associés aux langues entendues, en montrant des documents différents (manuels, albums pour la jeunesse).

Notes
57.

Parabole, câble, internet.

58.

En particulier pour les chaînes du Maghreb. L’une des séries diffusées sur la télévision marocaine fait même de l’alternance codique l’un des ressorts comiques.