2.1.4. Les répertoires plurilingues rendus audibles et l’ouverture sur le monde

Nous n’avons pas donné de consignes précises, au départ de l’activité d’écoute, quant au type d’informations que nous attendions. Si au fil des séances les enfants tentent de repérer des mots connus (une fois lors de la première écoute, puis cinq fois sur 144 tours de parole, 4 fois sur 455 tours, 3 fois sur 422), ils ne tentent que deux fois de répéter des mots dans une langue inconnue. Les prises de parole concernent essentiellement la reconnaissance des documents télévisuels et l’identification des langues. Un enfant situe le premier extrait, en espagnol, en opposition à l’anglais, la langue étrangère par excellence : « c’est pas anglais. ». Les autres enfants le contredisent, un débat s’ensuit.

Cette activité amène les élèves à évoquer leurs connaissances et leurs liens avec d’autres langues que la langue de l’école. C’est au cours de la dernière séance, consacrée au visionnement des documents écoutés et à la mise en commun de toutes les hypothèses, que les enfants expriment le plus leurs expériences d’autres langues :

253.E : parce que mon papa et ma maman ils parlent un peu anglais et il m’apprend un peu l’anglais

(…)

272.Tim (dont la mère est anglophone) : oui no ça veut dire non et je sais plus

(…)

281.Annette : c’est bye bye au revoir

282.EN : bye bye

283. TV en anglais journal télévisé

284.EN : voilà l’anglais tu es d’accord Tim

285.T : oui

286.E : bye bye c’était un mot anglais

( …)

294. E: one two three four

(…)

368.Thomas : moi j’ connais quelques mots en allemand

369.EN : ah Thomas connaît quelques mots en allemand alors si les enfants l’écoutent on pourra les enregistrer dans le magnétophone

370.Thomas : j’en connais trois

371.EN : ah dis nous dis-nous les

372.Thomas : ping ça veut dire le pain rot ça veut dire rouge et grün ça veut dire vert

L’une des enfants vit un trilinguisme épanoui – sa mère est arabophone et son père berbérophone, et dès la seconde séance l’exprime comme une expertise :

252. parce que moi j’ai entendu parce que moi j’ai entendu bien et je connais l’arabe

Elle est prête à parler des langues qu’elle connaît, et déjà rompue à la traduction, grâce à un vécu familial qui explicite et valorise les différentes langues :

272.x ça veut dire bien

(…)

297.Sara : il a dit bonjour il a dit bonjour 

298.Sara : mya

299.EN : mya qu’est-ce que c’est ?

300.Sara : mya ça veut dire bon

301.EN : oui tu as raison Sara ah ben tu t’y connais bien Sara hein c’est rudement bien bravo

302.Sara : parce que ma maman elle m’apprend des fois

408.Sara : moi j’ai entendu sokorr (…)

410. ça veut dire c’est un sucre

Et lors de la dernière séance :

393.c’est de l’arabe parce que xxx moi je connais de l’arabe des fois i parlent comme ça

L’expertise arabophone de Sara est contestée lors de cette dernière séance,

134.E : moi je pense moi je pense que c’est que c’est une langue qui n’existe pas

135.EN : tu penses que c’est une langue qui n’existe pas ah alors allons bon c’est une langue qui n’existe pas ça veut dire quoi ?

136.E : c’est c’est une langue qu’on parle dans aucun pays

137.EN : qu’on parle dans aucun pays comme ça c’est une langue inventée ?

138.E : xxx

139.EN : qu’est ce que tu en penses Sara est-ce que c’est une langue qui n’é qui n’existe pas ?

140.Sara : non c’est la langue c’est la langue c’est la langue arabe

141.EN : alors est-ce qu’on la parle quelque part la langue arabe ?

142.E : oui dans un pays

Le débat est alors orienté sur les pays arabophones : l’Algérie où Sara part en vacances, et aussi « la Tunisie » (Thomas tour 145), la Jordanie où Julie va partir dans quelques jours.

Le bilinguisme de Samir n’est pas aussi épanoui que celui de Sara : arabophone dans le cadre familial, petit parleur, il a par ailleurs vécu une situation difficile dans sa classe l’année précédente et a été catégorisé comme enfant mordeur pendant plusieurs mois. Lors de l’écoute d’un document en arabe, il est sollicité directement par son enseignant : il reste d’abord muet. Puis, lorsqu’il s’exprime, nous comprenons qu’il perçoit la langue arabe à la fois comme la langue de la maison et comme un enjeu fort, voire comme un sujet de conflit, dans le temps de partage de la télévision familiale.

274.M : et Samir il parle aussi l’arabe un peu

275.Samir : oui

276.M : vas-y allez parle avec Sara

277.EE : il a peur

278.EN : qu’est-ce que tu as reconnu aussi Samir

279.Samir : xxx arabe mais à la maison et ma maman elle met toujours des xxx tunisie et après et après elle a toujours xxx de Tunisie et mon frère il crie parce qu’il voulait des dessins animés et ma maman elle voulait toujours des des tunisie

280.EN : oh elle met la chaîne tunisienne ? tous les jours ? et y a pas de dessin animé sur la chaîne tunisienne ?

281.Samir : oui, si

282.EN : ah oui

283.Samir : maintenant il y a xxxx il est en cassette

Très timide et introverti lors des premières séances, il modifie son comportement au fil du dispositif, prend de l’assurance, participe plus activement, répète des termes lorsqu’il écoute le dernier extrait en langue arabe (415. « sokor ») ; lors de la séance conclusive, il récapitule les identifications (« c’est un dessin animé arabe » tour 68) et sollicite le visionnement d’extraits (tour 72). Ce dispositif de six séances sur trois semaines lui a permis d’acquérir une plus grande confiance en lui-même, il commence à mettre sa langue familiale et la langue française en regard l’une de l’autre et à faire la distinction entre la langue arabe (« arabe, en arabe ») et le pays d’où vient sa mère (« Tunisie »).