3.2. La réflexion métalinguistique

L’évocation par les enfants de leurs répertoires plurilingues se combine à une réflexion sur la langue et à des débats sur différents points : les variétés de langues, leurs zones de diffusion et les contacts de langues. Les élèves expriment leurs connaissances d’aspects phonologiques et morphologiques et montrent leur capacité à analyser leurs propres compétences. Ce type d’activité peut permettre à l’enseignant de recueillir les représentations des élèves pour aborder par la suite différentes notions sur les langues.

Les élèves bilingues ont conscience de la norme linguistique dans les deux langues qu’ils pratiquent, ainsi que de l’écart entre leur propre production et la norme pratiquée dans le pays de leur langue familiale :

C’est que moi avec ma cousine on parle espagnol des fois et elle me dit mais ça s’entend que t’as l’accent lyonnais quand je parle espagnol ça s’entend  (CM1 septembre 2002 MG)’

Nombreux sont ceux qui évoquent les accents régionaux du français :

Comme nous par exemple plus on est en haut au nord et au sud on a pas du tout le même accent  (CM1, octobre 2001 MG)’

Plusieurs groupes débattent des variantes du français, en particulier lyonnaises : la prononciation de « feuille » ([Ø]), la fréquence des « Y ».

E1 : à Lyon on rajoute tout le temps des y

E 2 : on a l’accent lyonnais

E3 : avant on disait toujours feuille[Ø]

(CM1, octobre 2001 MG)

Un échange particulièrement long révèle l’importance de l’écart à la norme aux yeux des élèves :

56.E1 : c’est du lyonnais

57.E2 : non c’est pas du lyonnais

58.En : est ce que

59.E3 : bonjour

60.En : XXX

61. E1 : les lyonnais y mettent beaucoup de y grec

62.E3 : par exemple lyon

63.En : oui le mot lyon

64.E1 : quand i parlent

65.E : souvent une feuille [Ø]

66.En : une prononciation

67.E : le rhône

68.En : moi je crois que là ce serait à explorer si nous disons beaucoup de Y si tu veux demander XXX est-ce que quelqu’un XXX

L’enquêtrice essaie de faire émerger « J’y mets où ? », formulation fréquente à Lyon. Tentative infructueuse, car les élèves jouent l’esquive, et produisent d’abord toute une série de propositions en français standard, acceptables dans le cadre scolaire :

67.E où faudrait-il le mettre

68.E où je vais mettre le taille crayon

69.E : où j’ai mis mon

70.En : où j’le mets

71.En : où tu vas le mettre

72.En : où je pourrais le mettre

73.E où est-ce que je peux bien le mettre

74.E où pourrais je bien le mettre

75.E : XXX lyonnaise

76.En : ta sœur est lyonnaise et toi t’es pas lyonnais ?

77.E : XXX

78.En : c’est rigolo parce que

79.E : XXXX

80.En : ça ce sont des phrases du dimanche mais je crois

81.E : où pourrais-je le mettre

82.En : peut-être bon mais alors la chanson qu’on vient d’entendre

83.E : où j’le mets

84.E : j’le mets où

85.En : on va plus le mettre nulle part.

Suit un bref échange à propos d’un extrait en créole :

86.En : alors oui

87.E : tous les pays xx c’est pas français

88.En : et / oui/ c’est pas français

Un élève reprend alors le débat sur le « Y » lyonnais :

89.E : xx c’est de l’argot

90. EE xxx

91.E où j’y mets

92.En : hun hun d’un seul coup

93.E : j’y mets où

94.En : j’y mets où alors ça

95.E : faut pas l’dire

96.En : faut pas l’dire c’est pour ça que vous vouliez pas le dire vous vous disiez oh la peut-être que dans le magnétophone hein

97.E : xxx

98.En : pourquoi faut pas l’dire

99.E : c’est pas du vrai langage c’est du argot voilà

100.E c’est du langage heu

101.En : c’est de l’argot ? est-ce que c’est de l’argot ?

102.E : non xxxx

103.En (reformulant l’élève précédent) : ah c’est du langage papier

104.E : j’y mets où c’est de l’argot

105.En : j’y mets où voilà la phrase est dite alors j’y mets où vous l’entendez plus souvent ou moins souvent que je l’ mets où qu’est ce que vous entendez le plus souvent ?

106.E : je l’mets où

107.En : c’est ce que tu entends le plus souvent et toi

108.E : moi j’y mets où

109.En : j’y mets où et toi

110.E j’y mets où

111.En : j’y mets où

112.EE xxx

113.En : ah c’est ce que vous entendez le plus souvent hein mais alors est que c’est vraiment de l’argot moi je n’sais pas je dirais plutôt qu’c’est du lyonnais c’est du lyonnais c’est une manière de parler qui n’est pas du français standard peut-être pas le français des des journalistes à la télévision c’est du lyonnais (CM1 octobre 2000 MG)

A l’écoute d’un extrait en soninké (locuteur malien), une élève camerounaise explique que ses parents parlent eux aussi cette langue, ainsi que le baronté ; le débat permet de découvrir que dans de nombreuses régions du monde, le territoire des états ne coïncident pas avec les aires linguistiques, puis d’apprendre quelques mots de baronté.

En : voilà en Europe c’est assez facile y a d’autres langues mais à peu près on peut regarder la carte et dire … tandis que en Afrique il y a des langues qui sont plusieurs dans le même pays et qui sont dans plusieurs pays hein c’est-à-dire que le soninké on peut le parler en au Mali mais aussi au Cameroun et tu allais dire

E1 (arrivée du Cameroun) : j’allais dire qu’au Cameroun y a aussi une langue que mes parents parlent ça s’appelle le baronté

En : continue

E1 : le baronté

En : est-ce que tu connais des noms toi

E1 : bonjour en baronté on dit ouzia

En : ouzia

E1 : ouzio pour faire tous ensemble on dit ouzio/a (non entendu lors de la transcription) et puis comment ça va on dit andjegue pour dire demain on dit namje (les autres enfants à partir de ce tour de parole sont plusieurs à répéter les mots) pour dire hôpital on dit wassipita et pis pour dire hier on dit korli

EE : korli

En : tu vas nous apprendre beaucoup de choses hein hein

E : comme ça quand j’vais rentrer dans les magasins j’vais dire ouzio

Les enfants évoquent également le repérage qu’ils font de contacts de langues :

E (à l’écoute d’un enregistrement en créole) : je voulais dire l’africain mais quand j’ai regardé un film sur l’Afrique eh ben i chantaient des chansons et i disaient quelques mots en français mélangés avec l’africain.

L’écoute et le débat amènent les élèves à évoquer à propos des différentes langues :

E (italianophone) : l’italien i faut beaucoup plus prononcer le r par exemple l’ espagnol on va y va pas y voir on va dire gracias senorita et en italien j’vais dire quelques chiffres on va dire uno due tres quattro cinqui seis sette otto nove dieci eh ben ça va pas être pareil c’est pas la même intonation. (CM1, octobre 2002 MG)

Et, évoquant l’espagnol après l’écoute de la langue portugaise :

E (hispanophone) : la langue va jusqu’au palais elle touche sur les dents après elle monte au palais j’ai appris toute seule en entendant ma grand mère (CM1, 2003)

A propos de l’arabe :

E non arabophone (en montrant sa gorge) : Dans la rue j’entends des personnes parler arabe ça sort de là  (CM2 octobre 2000 FC)

Ou encore :

Clément : parce que c’était pas les [xa] qui me faisaient penser mais c’était le / y avait un accent bizarre on aurait dit qu’i mettaient la langue sur les lèvres comme ça (CM1 2003)

Parfois l’expérience personnelle permet seulement de relever des caractéristiques de la langue écoutée qui sont communes avec une langue connue. Ainsi, à l’écoute d’un extrait en allemand sur fond de musique orientale :

E1 : j’pense que c’est de l’arabe parce qu’y a beaucoup de j’ai entendu y a beaucoup de [xa]

En : donc dans la langue qu’on a entendue y a beaucoup de [xa]

Et lors d’une nouvelle écoute du même extrait, avec le même groupe classe :

En : ah quelqu’un a levé la main tout de suite tout de suite alors

E : moi je dirais tunisien

En : ah tu dirais tunisien et toi et pourquoi alors oui

E : parce que un jour j’ai déjà écouté une cassette sur la Tunisie et ça parlait de la même façon en fait donc j’me suis rappelé de cette cassette et pis j’ai dit bon ça ressemble un peu à la cassette que j’ai dit sur la Tunisie donc ça pourrait sûrement être la Tunisie

En : qu’est ce qui était pareil tu peux dire un p’tit peu

E : euh les mots quoi un peu voilà comme a dit Thomas tout à l’heure les cracracra on entendait un p’tit peu

En : on entendait un p’tit peu les cracracra bon

E : et pis y avait un fond de musique qui était pareil comme dans la cassette de la tunisie que j’ai vu (CM1, octobre 2002 MG)

En fait moi c’est de l’italien parce que mon papa il est italien et quand on entend de l’italien on a l’impression que les mots italiens ça se finit tout le temps par le O par le A et par le I (CM1 octobre 2002 MG)

En évoquant leurs différents vécus dans leurs langues de vie, les enfants montrent leur capacité à analyser leurs compétences : de la reconnaissance de mots à des productions occasionnelles, en passant par la seule compréhension ou encore aux difficultés de communication intergénérationnelle :

98.E1 : moi aussi j’pense parce qu’avec ma grand mère je parle algérien je parle comme ça

99.En : XXX

100.E2 : moi c’est ma mamie qui parle algérien et moi j’ parle pas trop

101.En : est ce que tu comprends

102.E2 : non pas trop

56.C (syrien) : arabe parce que mes parents sont arabes

57.En : arabe parce que tes parents sont arabes alors tu les entends parler tu parles arabe avec eux ?

58.C : des fois

59.En : des fois voilà voilà c’est toi l’expert tu as raison c’est de l’arabe sûrement proche de celui que tu as entendu en Syrie parce que c’est de l’arabe du Liban donc c’est vraiment très très proche (CM1 septembre 2001 MG)

En : tu dirais quoi

E1 : je dirais peut-être de l’allemand parce que moi c’est ma langue aussi mais je sais pas très bien le parler et je reconnais encore un mot c’est kommt ça veut dire viens

E2 : kommt kommt

E : moi ma grand mère elle est espagnole j’sais dire les mots mais par contre j’sais pas les comprendre enfin j’comprends les mots qu’je dis mais autrement ceux de ma grand mère j’les comprends pas (CM1 2003)