1.4.1. Points de convergence

La liste des catégories, dont dix-sept langues78, proposée pour les Eurobaromètres de 2001 et 2005, prend en compte, outre les langues nationales des pays membres, trois langues d’immigration, l’arabe, le chinois et le turc (qui est aussi la langue d’un pays candidat), et ajoutent aux enquêtes précédentes l’irlandais, le langage des signes et le luxembourgeois. L’Eurobaromètre de 2005 note que « certains citoyens de l’Union européenne ont pour langue maternelle la langue de leur pays tiers d’origine, en particulier dans les pays connaissant un taux élevé d’immigration, comme l’Allemagne ou la France ou le Royaume-Uni par exemple. »79. Cet Eurobaromètre pourrait donc être un outil de repérage des besoins d’enseignement pour donner suite à l’une des propositions du CECRL :

que toutes les catégories de la population disposent des moyens d’acquérir une connaissance des langues des autres Etats membres ou d’autres communautés au sein de leur propre pays   (2001 : 10).

La formulation du Livre blanc - « il est assez normal pour la plupart des gens d’être capables d’utiliser trois langues »,renvoie à l’usage et le CECRL rappelle plusieurs fois qu’une compétence plurilingue et pluriculturelle « se présente généralement comme déséquilibrée », d’une langue à l’autre, d’une compétence à l’autre (2001 : 105). L’outil de sondage est-il en cohérence avec ces deux éléments ?

La formulation des questions de l’Eurobaromètre parait référer à la connaissance plus qu’aux usages en situation, mais les exemples donnés à la personne enquêtée lui permettent d’évoquer des compétences à des degrés divers :

Quelles autres langues connaissez-vous ? A votre avis, quelles sont les deux langues qu'il est le plus utile de connaître à l’exception de votre langue maternelle ? 
Très bonnes compétences : Je peux utiliser la langue avec succès et avec confiance dans toutes les situations normales, avec quelques fautes et peu d’hésitation (par exemple: Je peux tenir une conversation à une vitesse normale avec un groupe d’interlocuteurs natifs du pays; Je peux pleinement comprendre un jeu / film / journal dans la langue ; Je peux tenir avec succès des conversations téléphoniques sur des matières complexes; Je peux écrire des lettres formelles)
Bonnes compétences : Je peux utiliser la langue dans des situations ordinaires, bien que je fasse certaines erreurs et hésite parfois (par exemple: Je peux tenir une conversation avec un interlocuteur natif du pays parlant lentement, Je peux comprendre l’essentiel d’un jeu / film / journal dans la langue , Je peux faire une simple demande de renseignements au téléphone; Je peux échanger des lettres informelles/ des e-mails avec des amis).
Compétences élémentaires : Je peux utiliser la langue avec succès à un niveau très basique, bien que je fasse beaucoup de fautes et hésite beaucoup (par exemple: Je peux me présenter et dire ce qu’est mon travail, Je peux comprendre les annonces de voyage, Je peux acheter un ticket de train, Je peux remplir un formulaire d’inscription à l’hôtel)’

Par ailleurs, les citoyens sont questionnés sur leurs usages de langue étrangère, usages qui permettent de mentionner différentes compétences et pratiques dans plusieurs environnements, y compris la sphère privée :

‘Conversations au travail, soit en face à face, soit par téléphone - Lecture au travail - Rédactions au travail de e-mails/lettres - Au cours de voyages d’affaires à l’étranger - Pour des études de langues - Pour d'autres études - Pour communiquer avec les membres de votre famille - Pour communiquer avec vos amis - Au cours de vacances à l’étranger - En regardant des films / la télévision / écoutant la radio - Lecture de livres / journaux / magazines - Sur Internet - Autres occasions (SPONTANE) - Aucune de ces occasions (SPONTANE) – ne sait pas (2001 & 2005)’

Les questions de l’Eurobaromètre sur les conditions d’apprentissage vécues, sur les modes d’enseignement et sur l’évaluation qu’en fait la personne enquêtée tiennent compte « des apprentissages aléatoires, hors système scolaire » et des langues « apprises de manière non formelle mais qui contribuent au développement plurilingue » mentionnés dans le CECRL (2001 : 20, 22). Nous avons regroupé les items des questions posées, et avons noté en caractères gras, dans le tableau ci-dessous, ceux qui relèvent des apprentissages informels :

Catégories proposées
Pour les conditions d’apprentissage : Pour les méthodes d’enseignement :
Eurobaromètres 2001 & 2005 :
A la maison (ex. avec les membres de la
famille)
A l’école maternelle, à la garderie, crèche, etc.
Dans l'enseignement primaire
Dans l'enseignement secondaire
Lors d’une formation professionnelle avant l’âge
de 18 ans
Lors d’une formation professionnelle à partir de
18 ans
Dans l'enseignement supérieur (université, etc.)
A un cours de langue dans mon propre pays
A un cours de langue à l’étranger
Lors d’autres études à l’étranger
En travaillant à l’étranger
En vacances à l’étranger
En étudiant la langue par moi-même

Nouvel item dans l’Eurobaromètre 2005 :
En participant à des activités volontaires à l’étranger (par exemple aide humanitaire)
Eurobaromètres 2001 & 2005 :
Cours de langue en groupe
avec un professeur
Cours particulier avec un
professeur
Echanges de conversation
avec quelqu’un dont c’est la
langue maternelle (ex. une
heure dans votre langue, une
heure dans la sienne)
Parler de façon informelle avec
quelqu’un dont c’est la langue
maternelle

Séjours prolongés ou fréquents
dans un pays où la langue est
parlée
Par moi-même : livre
Par moi-même : cassette
audio, Cd
Par moi-même : vidéo
Par moi-même : Internet ou
CD-ROM
Par moi-même : laboratoire de
langue
Par moi-même : TV/ radio

Dans la liste de motivations pour « apprendre une ou plusieurs langue(s) étrangère(s) supplémentaire(s) », nous avons surligné dans l’Eurobaromètre 2001 deux propositions qui donnent l’opportunité d’évoquer le lien à une langue familiale ou de son groupe culturel ; celle concernant le patrimoine culturel disparaît dans l’Eurobaromètre 2005, ce qui peut rendre invisibles certaines pratiques de langue régionale :

‘Pour l’utiliser en vacances à l’étranger - Pour l’utiliser au travail (y compris lors de voyages d’affaires à l’étranger) - Pour pouvoir étudier dans un autre pays - Pour pouvoir travailler dans un autre pays - Pour avoir un meilleur travail en (VOTRE PAYS) - Pour votre satisfaction personnelle - Pour conserver les connaissances d’une langue parlée par ma famille - Pour préserver mon patrimoine culturel - Pour rencontrer des personnes d’autres pays - Pour pouvoir comprendre les personnes d’autres cultures - Pour connaître une langue qui est largement parlée dans le monde - Pour me sentir plus Européen - Pour pouvoir utiliser Internet - Parce que quelqu’un me l’a demandé (ex. employeur, parents) - Autre (SPONTANE) Je n'apprendrais jamais d'autres langues (SPONTANE) – ne sait pas.’

L’Eurobaromètre 2005 croise les réponses avec le profil de la personne enquêtée : ceci met en lumière que ceux qui présentent le plus de caractéristiques d’un répertoire plurilingue sont en majorité les personnes jeunes, ceux qui ont fait des études longues, les étudiants, les cadres, ceux qui connaissent plusieurs langues étrangères, ainsi que les personnes nées ou dont les parents sont nés, dans un autre pays que le pays de résidence : plus souvent que les autres personnes enquêtées, ils évaluent positivement leurs compétences en langue, valorisent les compétences dans plusieurs langues, considèrent que la maîtrise de plusieurs langues a un impact positif sur leur vie professionnelle, pratiquent souvent leurs compétences dans une langue étrangère, se prononcent en faveur d’un apprentissage des langues dès le plus jeune âge.

L’Eurobaromètre 2005 introduit le repérage de la mobilité professionnelle et des migrations intracommunautaires, ce qui permet d’en évaluer l’impact sur les pratiques plurilingues. Il est ainsi noté, à propos du Luxembourg où 14% des répondants déclarent parler une autre langue de l'Union européenne que l’une des trois langues nationales :

‘Ceci peut être dû à une minorité portugaise assez importante qui réside dans ce pays (langue maternelle de 9% des personnes interrogées) et à la présence d'institutions internationales.’

Par ailleurs, la question sur les motivations pour apprendre une nouvelle langue étrangère peut permettre d’anticiper sur les prochaines migrations intracommunautaires et sur les formes de plurilinguisme qui peuvent apparaître dans les classes des plus anciens pays membres. Les réponses possibles étaient, en 2001 :

‘Pour l’utiliser en vacances à l’étranger / Pour l’utiliser au travail (y compris lors de voyages d’affaires à l’étranger) / Pour pouvoir étudier dans un autre pays / Pour avoir un meilleur travail en (VOTRE PAYS) / Pour votre satisfaction personnelle / Pour conserver les connaissances d’une langue parlée par ma famille / Pour préserver mon patrimoine culturel / Pour rencontrer des personnes d’autres pays / Pour pouvoir comprendre les personnes d’autres cultures / Pour connaître une langue qui est largement parlée dans le monde / Parce que quelqu’un me l’a demandé (ex. employeur, parents) / Pour me sentir plus Européen / Pour pouvoir utiliser Internet / Autre (SPONTANE) / Je n'apprendrais jamais d'autres langues (SPONTANE) / Ne sait pas. ’

La motivation « pour l’utiliser au travail » avait alors recueilli 26% des réponses des 15 pays membres, 27,3 % en France. A ces motivations est ajoutée en 2005 « pour être capable de travailler dans un autre pays ». Le regroupement de cet item, de celui « pour avoir un meilleur travail dans votre pays » et de celui « pour rencontrer des personnes d’autres pays», recueille en 2005 13% des réponses des 27 pays membres comme de la France. Mais le seul item « pouvoir travailler dans un autre pays » motive seulement 26% des 15 anciens pays membres, et 35 % des nouveaux pays membres : 45% des Lithuaniens, 43% des Estoniens, 42% des Slovaques et 42% des Roumains.

Nous voyons que les Eurobaromètres 2001 et 2005 sont des outils qui permettent de rendre compte de plusieurs facettes du plurilinguisme effectivement présent dans l’espace européen : le grand nombre de langues pratiquées dans les espaces publics et privés des citoyens de l’espace européen, des compétences déséquilibrées dans différentes langues, des compétences plurilingues acquises grâce à des situations d’apprentissage informel, à des vécus de bilinguisme familial, de mobilité professionnelle, de migrations.

Notes
78.

Danois, allemand, français, italien, néerlandais, anglais, espagnol, portugais, grec, irlandais, suédois, finnois, luxembourgeois, arabe, turc, chinois, langage des signes, autre, aucune, ne sait pas

79.

En France, l’Eurobaromètre de 2005 indique que 94% de la population a pour langue maternelle le français, 4% une autre langue de l’Union Européenne et 3% une autre langue.