La confrontation du CECRL, du Livre Blanc et des Eurobaromètres sur les langues et les cultures laisse moins apparaître un optimisme exagéré des deux premiers qu’un décalage entre outils de pilotage et outils d’observation. La conception des enquêtes ne prend pas tout à fait en compte les critères par lesquels le Cadre, et dans une moindre mesure le Livre blanc, définissent le plurilinguisme. Ceci permettrait pourtant de donner une image plus précise des pratiques plurilingues existantes. Pour mieux connaître « les langues des espaces sociaux, c’est-à-dire celles des échanges réels quotidiens produits dans les nombreuses et diverses langues de l’Europe ainsi que dans les langues des migrations stables ou transitoires. » (Chardenet, 2004 : 34), de prochains Eurobaromètres pourraient élargir la palette des situations descriptives des langues de l’Europe et des pratiques plurilingues. En outre, rendre plus visible l’ensemble des pratiques plurilingues existantes serait en lui-même un acte de conscientisation et de formation.
Les outils des institutions européennes que nous avons analysés témoignent de la collaboration avec des équipes de recherche et du souci de recueillir le plus grand nombre possible de ressources et d’éclairages. La réflexion est associée à la mise en place de dispositifs d’observation larges et au plus près du réel. Lors de la mise en œuvre, nous pouvons constater une déperdition de ce qui constitue l’originalité et la force de la politique linguistique européenne. Il conviendrait d’analyser les causes de cette déperdition : est-elle due à la multiplicité des acteurs concernés, à une urgence de l’action, qui se traduit par la simplification des concepts et par le retour à des représentations anciennes de l’apprentissage et des pratiques langagières ? A contrario, les modifications d’un Eurobaromètre à l’autre témoignent de la compétence de l’Union européenne à mieux observer les comportements linguistiques, et à mieux reconnaître la contribution au plurilinguisme de certains facteurs (migrations, mobilité professionnelle). En termes d'enseignement, faudrait-il que les directives européennes aillent jusqu’au bout de la logique du plurilinguisme, et donnent comme objectif d’enseignement « le maniement DES langues davantage que l’apprentissage de la complétude dans telle ou telle langue » (Chardonnet, 2004 : 41) ? Si nous sommes réalistes, nous pouvons douter de la volonté des institutions éducatives à s’éloigner de manière aussi radicale et explicite de l’académisme84. Cependant, les nouvelles orientations annoncées par le Conseil de l’Europe, à l’occasion du démarrage du projet sur les langues de scolarisation, à propos du Portfolio et des passerelles entre les langues présentes dans l’univers scolaire, sont autant d’indicateurs de la volonté de développer des dispositifs européens en faveur du plurilinguisme.
Pourtant, l’enseignement du « simplified English », qui est admis par plusieurs institutions scolaires, n’est-il pas lui aussi une concession du même ordre au pragmatisme ?