2. Les langues à l’école et dans les textes ministériels

Avec l’introduction des langues en 1989 à l’école primaire en France, de nouveaux horizons didactiques s’ouvrent aux enseignants, en raison des évolutions de la réflexion sur le plurilinguisme, les cultures et les migrations, que nous avons évoquées plus haut et qui ont débouché sur des propositions de transposition didactique. La nouveauté est le fait du nouveau public cible, plus jeune, des transformations du contour habituel des disciplines et des savoirs savants que provoque l’introduction de l’enseignement des langues à l’école primaire. Elle vient aussi des interactions entre les organisations européennes et l’éducation nationale française, qu’il s’agisse d’actions de mise en œuvre (en particulier l’introduction du CECRL dans tous les programmes de langues85, à la fois comme cadre d’objectifs et comme outil), ou de travaux de réflexion, auxquels les cadres de l’éducation nationale française participent régulièrement.

Cette nouvelle discipline de l’école, la « langue vivante - langue régionale », est enseignée depuis la rentrée 2007 à partir du CE1 ; elle est désignée par Diana-Lee Simon comme un « étrange étranger » (2005 : 88) : corps « étranger » par sa nouveauté, même si celle-ci n’était que partielle : avant de faire l’objet de mesures nationales et systématiques, cet enseignement a été pratiqué de manière expérimentale et sporadique pendant plusieurs décennies. Jusqu’alors, les élèves qui suivaient un enseignement de langue étrangère, en école maternelle et primaire, étaient minoritaires, le faisaient dans des contextes particuliers (hors cadre scolaire, en école bilingue, dans un cadre expérimental) et étaient stimulés par un projet éducatif particulier. Le fait que cet enseignement s’adresse à présent à tous les élèves, quel que soit le type d’école, a suscité autant de résistances qu’il a stimulé de nouvelles réflexions, non seulement à l’école mais au collège. Lors de la mise en place des langues à l’école primaire, l’implication d’un certain nombre d’enseignants du secondaire dans les écoles et la nécessité d’aménager un suivi école-collège ont amené les enseignants du collège à modifier leurs représentations des apprenants, en particulier celles des élèves de sixième. Malgré les tentations pour certains, dans les années 1990, de ne pas tenir compte des initiations faites à l’école, le nombre grandissant d’enfants « initiés » ou « faux débutants » a eu des répercussions sur la didactique et sur les formations du secondaire, sur la conception des manuels. L’allongement de la durée d’enseignement des langues, en particulier pour l’anglais largement représenté à tous les niveaux de scolarisation, a mobilisé une réflexion sur les contenus, les objectifs, la motivation.

Objet « étrange » car ne correspondant pas à une discipline de l’école dans son sens traditionnel, et n’ayant donc pas de contours définis, qu’il s’agisse des langues concernées, de leur statut, du mode d’enseignement, de l’abandon du cloisonnement disciplinaire. Le monolinguisme des programmes, obstacle dans le parcours de la linguistique appliquée que regrette Mohamed Miled (2005 : 37)

‘« Ce cloisonnement qui enferme chaque discipline, en l’occurrence chaque langue, dans sa logique propre est attesté en amont de l’acte d’enseigner : une séparation institutionnelle des équipes d’élaboration des programmes, des divergences dans les démarches pédagogiques et un manque de concertation entre les enseignants de ces différentes spécialités »,’

est ébranlé par l’enseignement des langues à l’école primaire : les équipes d’élaboration des programmes travaillent ensemble et les démarches pédagogiques sont concertées, lors des formations de formateurs (Plan National de Formation, Universités d’été). Lorsque c’est l’enseignant généraliste qui enseigne à la fois le français langue de scolarisation et langue matière, et la langue étrangère, ce qui devient de plus en plus fréquent, le décloisonnement des disciplines peut sembler aller de soi. A condition que l’enseignant n’ait pas de l’enseignement des langues une représentation qui l’amène à cloisonner ses propres approches didactiques. Car dans l’urgence de la mise en place de l’enseignement et des formations d’accompagnement, ni les cadres, ni les formateurs, ni les didacticiens n’ont eu beaucoup de temps à consacrer à un élément important : les représentations que chaque acteur a de sa mission lorsqu’il participe à l’enseignement d’une langue. Les formations initiales essaient de prendre en compte la diversité des profils, des expériences et des conceptions grâce à différents dispositifs, dont les stages à l’étranger. La multiplicité de professionnels et de champs de recherche sollicités crée une image floue mais permet de la souplesse, la possibilité de ressources réflexives dans plusieurs champs, la mutualisation. Il est heureux que les contours de la discipline « langues à l’école » n’aient pu être définis dès le départ, car cela a rendu nécessaire de convoquer et d’associer des champs de réflexion différents : la didactique de chacune des langues concernées, mais aussi celle du français langue matière et du français langue de scolarisation / langue seconde. L’enseignement de langues à l’école dès son lancement est associée à une communauté d’ enseignants et de didacticiens plurilingue et mobile, car cette nouvelle culture professionnelle se nourrit également, nous l’avons vu plus haut, des échanges avec les autres pays européens à propos de l’enseignement des langues à l’école primaire, des apports de la réflexion sur le plurilinguisme, des projets européens, qui sont pour les enseignants une expérience sensible de la construction d’une culture européenne et plurilingue, du Portfolio Européen des Langues ; ce dernier n’est pas seulement commun à plusieurs systèmes éducatifs, c’est aussi un outil partagé par des instituts de formation de pays différents, par exemple pour l’auto-évaluation par les stagiaires avant un stage à l’étranger.

Nous allons tenter ici de lire la part de diffusion des travaux sur le plurilinguisme, la diversité culturelle, et les migrations dans les textes officiels à propos des langues à l’école primaire et maternelle française.

Notes
85.

Primaire 2002, lycée 2003-2005, collège 2005 et suivants.