Traiter des faits linguistiques dans l’histoire de France serait une manière d’aborder la diversité de son peuple. Or, le constat fait par Suzanne Citron (1987 : 85) à propos des manuels d’histoire du primaire pourrait être fait à propos des manuels du lycée en ce qui concerne les comportements linguistiques, dont la diversité n’est pas décrite :
‘L’histoire de France ne conte point l’histoire des Français (…) N’existent que les supposés descendants des Gaulois et des Francs. Les « autres » - Occitans, Basques, Bretons, Béarnais, Corses, Antillais, Juifs… n’existent pas ; ou sont l’ennemi, l’étranger. ’Nous avons recherché les mentions faites et l’analyse des liens entre pratiques langagières et d’autres pratiques sociales : la création littéraire, les pratiques religieuses, l’éducation, la conscription : au total, nous n’en avons trouvé que neuf évocations dans les dix-neuf manuels, ce qui est bien loin de refléter la multiplicité des liens entre le langage et l’activité humaine.
Bourquin (BL1 : 98-99) consacre deux pleines pages à la naissance des littératures nationales ; il insère La Défense et illustration de la langue française par Joachim du Bellay en 1549, mentionnée également par Franck (F6 : 161), qui note que « le goût du beau langage enseigné grâce à l’étude des textes anciens a conduit les humanistes à rénover leur propre langue » et à la promouvoir, en particulier en France.106 Les créations littéraires en langues d’oc et d’oïl aux XIe et XIIe siècles, les littératures anglo-normande, picarde, champenoise ne sont évoquées que par le très concis « il existe cependant une littérature profane en langue vulgaire » (L1 : 88). La littérature occitane, poétique et théâtrale, des XVIe et XVIIe siècles, n’est pas mentionnée. A ne pas mentionner les littératures qui existaient dans différentes langues, l’auteur contemporain reprend à son compte la volonté politique du XVIe siècle de promouvoir uniquement la littérature nationale.
Trois manuels font le lien entre langues et pratiques religieuses, pour comparer les religions du point de vue des différentes pratiques, dont la langue utilisée pour le culte (B1 : 117), pour souligner que l’accès direct au texte « met d’autant mieux en évidence les contradictions profondes entre les sermons proférés dans les églises et la réalité quotidienne » (D1 : 114) et amène à des « pratiques religieuses plus personnelles » (G1 : 101, 142).
A propos des pratiques linguistiques à l’école, un manuel parmi les dix-neuf analysés insère les programmes au XVIe siècle de l’école de Sélestat, où l’on attendait des élèves qu’ils « jouent, se promènent, qu’ils parlent en latin ou en grec » (Jean Sturm, De literarum ludis recte aperiendis, 1538, in L1 : 146). Le rôle de l’instruction publique ou du service militaire sur les pratiques linguistiques des Français est à peine évoqué (L2 : 143) : « le service militaire (…) est un puissant facteur d’unité nationale par l’entraînement au combat, par l’uniforme, par l’usage de la langue nationale », la conscription « réduit les différences culturelles ou linguistiques entre les conscrits venus de régions différentes. L’enseignement joue le même rôle en diffusant un seul ensemble de valeurs et un seul langage » (Z7 : 148).
Il indique la progression des ouvrages publiés en français plutôt qu’en latin, de 40 % au début du XVIe à 60% à la fin du même siècle (2003 : 170)