2.5. Conceptions sur les apprentissages et la circulation des connaissances

L’apprentissage des langues est abordé en même temps que l’humanisme, et le texte d’illustration le plus fréquent est la lettre de Gargantua pour exhorter son fils à apprendre les langues, « premièrement la grecque (…), secondement la latine et puis l’hébraïque pour les saintes lettres, et la chaldaïque et arabique pareillement » (Rabelais, Pantagruel in Baylac, Dorrel, Franck, Gaillard, Lambin). Mais les manuels d’Histoire analysés n’envisagent pas qu’un apprentissage puisse se faire grâce à une pratique sociale : les langues étrangères ou anciennes sont vues comme des disciplines enseignées.

Les manuels mettent en valeur les traductions et l’apprentissage des langues anciennes, qui permettent d’avoir accès aux textes religieux107 et des grands philosophes, en particulier pour la Méditerranée du XIIe, l’humanisme, la Renaissance (D1, BL1, G1 et L1, 2001 ; F6). Faute d’autre apport, ces documents véhiculent l’idée que les langues s’apprennent essentiellement par les textes et les pratiques réelles d’apprentissage informel ne sont pas évoquées.

La circulation des savoirs d’une langue à l’autre est présentée comme écrite, qu’il s’agisse des échanges dans le monde méditerranéen au XXIIe siècle (D1, BL1, F6), de la redécouverte et de la traduction (L1) des textes anciens108, aujourd’hui de l’essor du réseau Internet qui « véhicule une masse considérable de renseignements très variés grâce à l’utilisation de l’anglais, langue internationale » (G1 : 169), ou de la diffusion de magazines français dans dix-huit langues (P8 : 106). La transmission de savoirs oraux est absente ou dévalorisée : à propos de l’étude des langues anciennes par les humanistes, Dorel-Ferré (D1 : 98) note que

‘se renforce la coupure entre les élites intellectuelles qui accèdent 109 à une éducation longue et coûteuse, et la masse de la population qui continue 110 à transmettre ses savoirs par la parole et le geste » ’

Rien n’est dit sur la teneur de ces savoirs transmis par la parole et le geste. La formulation elle-même, l’opposition entre les deux termes « accéder » et « continuer » crée une image dichotomique de la société : d’un côté le progrès, les élites intellectuelles en mouvement, l’éducation et le plurilinguisme d’élite ; de l’autre, les masses qui persistent dans l’oralité et l’immobilisme.

Notes
107.

Un seul manuel de seconde (Franck et Zanghellini, 2003 : 52) indique qu’avant toute traduction, la Bible a été rédigée dans trois langues différentes, l’araméen, l’hébreu, le grec.

108.

Dorrel-Ferré mentionne l’influence sur l’architecture et l’urbanisme de la Renaissance qu’a eu la traduction du Traité d’architecture de Vitruve, écrit au 1er siècle avant J-C et traduit au XVe (2001 : 128)

109.

c’est nous qui soulignons.

110.

Idem.