1.1. L’approche de la langue-culture cible

Les manuels d’anglais de lycée traitent largement des situations de plurilinguisme et des cultures plurielles dans les pays anglophones, dans les documents écrits, audio et iconographiques.

C’est la thématique de l’immigration qui amène le plus souvent à aborder la pluralité des langues et des cultures. Broad Ways, à propos des Etats-Unis, de l’Australie et de l’Afrique du Sud, traite des relations entre les populations indigènes et les immigrations successives, et de la pluralité interne des communautés immigrées elles-mêmes : « a Spanish-speaking mosaic » (2002 : 34) ; la pluralité est également évoquée à propos de la Grande-Bretagne, de l’Inde, du Commonwealth. Les difficultés des immigrants de nos jours sont abordées par les manuels les plus récents, Broad Ways, Bridges, Projects.

Bridges, nouvelle version de Broad Ways, et conçu par la même équipe, présente aux élèves de Premières et Terminales L, ES, S les compétences du CECRL et mentionne la compétence de compréhension écrite à « identifier les variétés nationales et régionales à l’intérieur d’un texte » (2007 : 11). Ce manuel traite largement des cultures plurielles et des différentes langues dans les pays anglophones. Les auteurs de Bridges évoquent comment l’Australie, pays d’immigration, voit actuellement une émigration d’une partie de sa population vers l’Irlande (2007 : 37).116 Ils abordent les échanges linguistiques en cadre scolaire, à propos d’un programme entre deux écoles à Londres et au Ghana (2007 : 45), les identités culturelles des immigrés, les identités fictives, blanches, que doivent adopter les télé-travailleurs globalisés (2007 : 150), l’anglais devenu langue globale (2007 : 154). Projects présente une large palette de pratiques plurilingues et pluriculturelles, y compris dans des pays d’Afrique subsaharienne anglophones (2007 : 16). Insight consacre un dossier aux langues (2007 : 34-49), et aborde le plurilinguisme, les métissages de langue (Chinglish, Spanglish). Les dynamiques culturelles sont largement abordées par tous les manuels, le plus souvent à travers des documents sur les communautés ou sur les migrations, ou par l’observation des transformations des habitudes alimentaires aux Etats-Unis, grâce aux apports d’autres cultures, par exemple dans le dossier de Trackers (2003 : 108-109).

Les documents audio et vidéo exposent à la pluralité linguistique et culturelle du monde anglophone. Ils permettent d’écouter les accents de différents groupes socioculturels et de plusieurs pays. Insight présente l’enregistrement d’un anglophone vivant en France, qui évoque sa pratique des deux langues et de l’alternance codique ; celui du poème de Jackie Kay, Old tongue (2007 : 38), exprime le problème de l’identité linguistique et du sentiment de loyauté culturelle d’un enfant vis-à-vis de sa famille, lors d’une migration interne de l’Ecosse vers l’Angleterre ; des locuteurs francophones peuvent être écoutés dans Bridges et Projects ; ce manuel présente un enregistrement d’élèves français dont certains font des erreurs en anglais : ceci fait écho aux propositions, dans ce manuel, d’activités d’écoute mutuelle entre les élèves.

Les illustrations de plusieurs manuels présentent le pplurilinguisme urbain. Les auteurs de Broad Ways Terminale présentent deux documents iconographiques bilingues et un sur la pluralité de cultures :

  • une affiche publicitaire en anglais et en espagnol met en scène un boxer latino et hispanophone pour encourager à consommer du lait (2003 : 33),
  • une enseigne en chinois et en anglais, à New York, vante des recettes irlandaises et italiennes (2003 : 42),
  • une affiche de la Commission britannique pour l’égalité raciale présente la diversité de croyances religieuses et des langues qui constitue l’identité britannique (2003 : 119).

Dans Bridges, des photographies illustrent des aspects des sociétés plurilingues :

  • des enseignes urbaines montrent le spanglish, fusion d’anglais et d’espagnol aux Etats-Unis (2007 : 42),
  • des manifestants latinos brandissent des pancartes en anglais et en espagnol contre les expulsions (2007 : 55), et en faveur de la participation aux élections locales des immigrés hispaniques (2007 : 59)
  • un panneau en espagnol et en anglais alerte sur la présence de mines anti-personnelles (2007 : 130).

Insight inclut deux photographies du plurilinguisme urbain en Asie (2007 : 41, 43), Trackers présente deux photographies du plurilinguisme new-yorkais, l’une à Chinatown, l’autre dans Little Italy. Projects montre la devanture en anglais et en arabe d’un « fish-and-kebab » à Bradford, témoignage non seulement du plurilinguisme mais aussi des dynamiques culturelles (2007 : 148).

La démarche interculturelle, en classe de langue, dépend plus des dispositifs mis en place par l’enseignant que des supports. Cependant, ceux-ci peuvent y contribuer par leurs contenus mais aussi par le type de questionnements proposés aux élèves et aux enseignants. Or, si la pluralité linguistique et culturelle du monde anglophone est très largement développée dans les supports que nous avons analysés, il est rare que leurs contenus sur les cultures ou le plurilinguisme soient explicitement mis en relation avec des situations équivalentes dans des pays francophones, ou qu’ils introduisent un point de vue anglo-saxon sur un aspect de la culture ou de la société française. Open the window le fait lorsqu’il présente de concert une action contre les devoirs à la maison au Royaume-Uni et un article du Times sur des manifestations lycéennes en France (1999 : 194 – 197). Looking forward (Première) présente un document audio qui compare les cafés français et les pubs anglais (2002 : 77). Insight propose un débat sur le bien-fondé d’une institution de régulation de la langue telle que l’Académie Française (2007 : 41). Projects est le seul manuel parmi ceux que nous avons étudiés qui interpelle l’élève sur le plurilinguisme et sur les cultures plurielles (2007 : 48) dans son propre environnement. Les autres manuels exposent largement les élèves aux pluralités linguistiques et culturelles du monde anglophone, mais n’impulsent pas une démarche interculturelle active. Faute d’une réflexion sur sa propre culture en interaction avec les autres, la présentation de l’altérité, même si celle-ci est plurielle, risque d’accentuer les attitudes d’opposition entre [eux] et [nous].

Ceci amène à poser la question des impacts sur la formation des esprits, non pas en considérant seulement les manuels de langue, mais en les considérant dans leur interaction avec les supports d’autres disciplines. Nous avons analysé pour cette recherche des manuels d’histoire et de langue. Les premiers, par leurs choix comme par leurs omissions, dressent l’image d’un citoyen français monolingue. Les seconds préfèrent, à une démarche interculturelle, l’exposition de connaissances sur d’autres sociétés plurilingues et pluriculturelles. Si d’autres supports ne viennent pas compléter ces deux regards, l’image véhiculée au lycée sera celle d’une société française quasi monolingue et relativement fermée versus un vaste monde anglophone pluriculturel, plurilingue, ouvert. Nous n’avons pas exploré les autres disciplines (en particulier la musique, les arts visuels, la littérature francophone) qui peuvent contribuer au développement de compétences interculturelles des lycéens, futurs enseignants ou non.

Notes
116.

Elément qui pourrait être mis en regard du même phénomène en France.