La place des stratégies plurilingues varie selon les manuels et indépendamment de leur référence au CECRL. Outre les compétences linguistiques, tous les manuels étudiés introduisent les compétences pragmatiques et socio-linguistiques, même s’ils le font le plus souvent de manière diffuse et implicite : ce peut être sous la rubrique Everyday life ou Listeners’Corner de Bridges, qui pour les élèves de première suit le programme de 2003 et pour les terminales L, ES, S ceux de 2005 ; dans le Communication Guide d’ Insight (2007 : 234-241), qui présente les différents registres pour une vingtaine de situations de communication. Nous avons recherché par ailleurs la place et l’utilisation prévues pour la langue de scolarisation117 et d’autres langues connues par les élèves, pour les stratégies plurilingues, pour le curriculum existenciel. Nous avons étudié, enfin, la part d’autonomie laissée à l’apprenant.
Les manuels utilisent le français pour présenter à l’apprenant leur démarche, guider les activités de traduction, présenter les apports grammaticaux : Looking forward, Open the window, Bridges, Broad Ways, Insight, Trackers. Dans leur avant-propos, les auteurs de Looking forward annoncent des passerelles avec d’autres disciplines (2001 : 3) mais ils n’en font pas avec d’autres langues que le français, qui est utilisé pour le métalangage et les consignes d’exercice dans le manuel, pour les conseils méthodologiques dans le cahier d’activités (2001 : 123-124). Dans le corps des leçons de Broad Ways, l’anglais est utilisé lorsqu’il peut être repris par le lycéen pour comprendre un texte, construire son commentaire, explorer une problématique dans les rubriques « Understanding the text », « Going further », « More about… », en français pour les rubriques métalinguistiques : « Phonologie », « Enrichissez votre vocabulaire », « Grammaire », « Traduction guidée ». Insight présente la grille du CECRL en anglais, mais en reprend les contenus et les développe en français. Projects utilise le français pour l’introduction et la grammaire et prévoit que les élèves s’auto-évaluent en français. Insight (2007 : 177), Trackers (2003 : 53) et Bridges (2007 : 50) suggèrent de s’appuyer sur les mots transparents et l’étymologie pour comprendre un écrit. Les deux derniers manuels atténuent immédiatement cette proposition par une mise en garde contre les faux amis, dans la même page. Trackers à ce sujet souligne que les « faux amis … sont infiniment moins nombreux que les vrais amis ». La formulation de Bridges à propos des mots transparents est réductrice : « le mot inconnu est-il d’origine latine, comme en français, et donc transparent ? ». Or, un grand nombre de mots anglais transparents pour les francophones ne sont pas seulement d’origine latine, mais africaine, amérindienne, asiatique.
Les expressions latines ou étrangères utilisées dans la langue anglaise ne sont pas exploitées. Les élèves sont conviés à comparer les différences entre l’anglais et le français (Looking forward, Open the window, Bridges, Broad Ways) mais il n’est pas envisagé de comparaison avec d’autres langues que le français, que ce soit à propos du lexique ou des formes grammaticales, et quel que soit le manuel étudié : aucun rapprochement n’est fait entre l’anglais et l’allemand, qui a pourtant été étudié par nombre de lycéens de première et terminale. L’univers des apprentissages linguistiques, vu à travers ces manuels d’anglais, reste plus binaire que plurilingue. Probablement la perspective de l’évaluation normative pèse-t-elle sur la place accordée à l’alternance codique : dans son livret « Nouveau bac STG 2007 », Broad Ways rappelle que lors de l’épreuve du baccalauréat, il ne faut « surtout pas passer par le français ».
Outre le rapprochement entre la langue étudiée et d’autres langues, plusieurs stratégies sont abordées, pour la compréhension, la production en continu ou l’interaction. Pour la compréhension, les auteurs encouragent à la prise de repère, à l’appui sur le contexte, aux approximations. Prendre des repères permet une meilleure compréhension de l’écrit ou de l’oral : identifier les personnages d’un texte écrit, les locuteurs d’un document oral, mémoriser les titres d’un document vidéo (Insight, 2007 : 178 ; Trackers, 2003 : 187 ; Projects, 2007 : 38). L’appui sur le contexte est envisagé de différentes manières : les élèves sont invités à « décrypter les signes périphériques » (Looking forward), à observer le contexte des mots inconnus (Trackers, Insight, 2007 : 180 ; Broad Ways, 2007 : 51) ; à identifier le type d’écrit ou d’oral (Projects) ; à faire des passerelles avec les autres disciplines (histoire, géographie, SES, physique ou SVT) pour Looking forward. Les stratégies de compréhension par approximations successives sont validées ; Trackers (2003 : 187), Projects (2007 : 38) et Looking forward insistent sur l’importance d’une attitude positive de réception, même partielle :
‘Devenir un auditeur patient, qui accepte de ne pas tout comprendre dès la première écoute … accepter de ne pas entendre et comprendre la même chose que les autres au même moment, car nous ne sommes pas tous égaux devant la mémoire courte.’Pour la production, les auteurs soulignent l’importance des stratégies de compensation : les stratégies introduites par Looking forward pour l’expression orale sont adaptées à la production en continu plus qu’à l’interaction, et une seule mention est faite de stratégies de compensation, pour conseiller aux élèves l’usage de gap fillers. A l’inverse, Open the Window (sous la rubrique Survival Kit) et Trackers donnent aux élèves des outils pour organiser leur discours et se mouvoir dans la situation de communication : comment exprimer une hésitation, utiliser des « gap fillers », etc. Dans les manuels et dans les enregistrements de dialogues, les auteurs valident les interactions réussies grâce aux « stratégies de contournement » par des périphrases, des synonymes ou des définitions (Trackers, 2003 : 190, 194), grâce aux approximations, aux tâtonnements, à l’utilisation ponctuelle d’un mot français avec un interlocuteur anglophone (Bridges, Terminale). Les stratégies para-linguistiques sont développées par Projects : gestes, mimes, dessins (2007 : 126) ; Trackers va plus loin, en rappelant l’importance du contact oculaire (2003 : 190), et avec une activité d’illustration gestuelle d’un poème : « Use your body to recite a poem » (2003 : 94). Certains manuels, comme Broad Ways (manuels de première et de terminale, livrets de compléments de civilisation) ne font pas référence à des stratégies plurilingues, et ne mettent pas leurs contenus en perspective avec des connaissances culturelles ou des compétences linguistiques acquises en dehors du lycée.
Le curriculum existenciel est inégalement convoqué : à propos de la culture et des racines des individus, les auteurs de Bridges envisagent que l’élève « réagira à cette question selon sa propre histoire », tout en prenant « un peu de distance pour resituer cette question dans une problématique plus générale » (2007 : 121). Pour le reste, le lien avec l’expérience personnelle n’est guère envisagé. Projects, à l’inverse, prévoit de manière systématique une phase d’échauffement, « Start from what you know », qui peut amener les élèves à être conscients de ce qu’ils ont appris antérieurement en anglais, dans d’autres langues ou dans différents domaines :
‘On vous incite à partir de ce que vous savez (…) parce que vous savez des choses : vous les avez apprises pendant votre scolarité (en cours d’anglais ou dans d’autres matières) et aussi en dehors de l’école (dans votre famille, en rencontrant des gens, en lisant, en regardant des films, en voyageant, etc.) (2007 : 4).’Egalement dans Projects, les élèves sont invités à dire les pays anglophones plurilingues qu’ils connaissent (2007 : 12), à témoigner de personnes qui ont deux cultures différentes (2007 : 148) ; en complément de l’exposition à des contenus culturels, les auteurs introduisent des activités de « comparaison inter-culturelle, y compris avec sa propre culture » : autant de manières de valider et de souligner des connaissances antérieures et des compétences plurilingues.
Trois éléments permettent l’autonomie de l’apprenant : l’accès guidé aux ressources, l’auto-évaluation, la capacité à se fixer des objectifs.
C’est essentiellement le premier élément que les manuels étudiés offrent le plus largement : Bridges, Broad Ways, Insight, Looking forward, Projects, Trackers présentent une large variété de documents écrits, audio et vidéo et de références de sites. Projects propose pour chaque unité une bibliographie, une filmographie, des descriptifs d’expositions permanentes, des références musicales et théâtrales. Tous les manuels donnent une méthodologie à l’élève pour utiliser les outils proposés, Insight en particulier développe largement les stratégies d’utilisation d’Internet (2007 : 187) et les stratégies pour les situations de communication scolaire : « Understand what the teacher says » (2007 : fiche).
L’auto-évaluation et l’apprentissage en autonomie sont traités de manière très différente selon les manuels. Insight fait référence aux descripteurs du CECRL dans son livret d’activités (2007). En 2002, Looking forward ne prévoit pas d’auto-évaluation, ni dans le manuel ni dans le livret d’activités. Mais pour les outils postérieurs à 2003, la référence par les auteurs au CECRL ne va pas forcément de pair avec des outils d’auto-évaluation par compétences et activités. C’est le cas pour les fiches de Trackers (2003 : 191), et pour les quatre fiches de compréhension d’enregistrements du CD du livret « Nouveau bac STG 2007 » de Broad Ways, pour lesquelles les résultats sont donnés en points : l’évaluation normative dans la langue cible sous une forme traditionnelle prend le pas sur la conscience des compétences plurilingues par les élèves (et les enseignants). Projects fait figure d’exception : dès l’introduction, les auteurs envisagent les outils linguistiques et méthodologiques, mais aussi conceptuels et langagiers ; ils prévoient un logbook, journal de bord où l’élève peut « faire le point et orienter ses efforts pour progresser », et qu’il est invité à utiliser à la fin de chaque unité du manuel. Ce livret contient à la fois des activités de réactivation des contenus des unités, et un récapitulatif pour l’élève de qu’il est capable de faire. Les différentes activités de réception et de production sont abordées pour chaque unité, et permettent de conscientiser ses stratégies et l’articulation entre différentes capacités : s’exprimer en continu à partir de ses notes, reformuler dans ses propres mots ce que l’on a lu, interagir avec ses pairs et l’enseignant…
‘I have spoken from notes I had taken beforehand. I have rephrased what I have read in my own words. I have exchanged ideas with my classmates and the teacher. (fin de l’unité 1) …I have read extracts from different sources and organized the information. I have listened to an interview. I have watched a video (fin de l’unité 4)’Les auteurs encouragent l’élève à faire le point en français sur ses acquis, s’il lui est difficile de le faire en anglais, et à se situer ensuite sur un tableau qui reprend les descripteurs du CECRL et dans le Progress Booklet. Ces outils permettent à l’élève de s’auto évaluer non seulement dans les compétences linguistiques, pragmatiques et sociolinguistiques, mais également dans les nouvelles connaissances qu’il a abordées au cours de l’unité ce qui peut contribuer à donner du sens aux apprentissages linguistiques et le rôle d’outil à la langue. Il est également invité, à l’issue de cette auto-évaluation, à se fixer de nouveaux objectifs d’apprentissage.
ou langue de l’école, ou langue source ; nous pourrons utiliser l’une o l’autre de ces trois expressions pour désigner la langue couramment utilisée en classe.