Troisième partie. Du savoir à enseigner au savoir enseigné

Introduction

Nous avons vu dans notre première partie comment les savoirs savants sur le bilinguisme, le culturel et les migrations avaient suivi une trajectoire comparable : la reconnaissance des parcours plurilingues et pluriculturels des acteurs et celle de leur aptitude à dessiner eux-mêmes leur territoire de vie a pris le pas sur la tentation de catégoriser les connaissances et de cloisonner les compétences. Ces savoirs prennent en compte les savoirs sociaux des enfants, leurs répertoires et leurs compétences plurilingues, leurs cultures plurielles.

La deuxième partie a fait état de plusieurs éléments de l’environnement des enseignants, des recommandations institutionnelles aux manuels d’histoire et de langue : nous avons étudié comment ces éléments font obstacle à la visibilité et à la compréhension autant des travaux de recherche que des compétences des élèves, et freinent la transposition des savoirs savants et sociaux en savoirs à enseigner. Notre analyse mettait en lumière des messages contradictoires et des conceptions en désaccord avec les répertoires et les compétences plurilingues.

Cependant, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer les effets de ces filtres sur les enseignants que nous côtoyons : comment en effet - même si nous parvenons à interroger un enseignant qui a étudié avec l’un des manuels d’histoire et l’un des manuels d’anglais que nous avons analysés, et qui utilise en classe l’un des manuels de primaire de notre étude - parvenir à déterminer la part de ces éléments sur ses représentations et ses habitus professionnels ?

Nous tenterons, à partir de l’étude de pratiques et de discours d’enseignants du primaire en France, de cerner leurs représentations des savoirs sociaux de leurs élèves liés aux langues et aux cultures, et de considérer leurs pratiques enseignantes dans leurs dimensions langagières et sociales, en interaction avec leur environnement.

Nous avons choisi trois différents groupes d’enseignants dans trois situations particulières, en formation et sur le terrain. Nous avons regardé le traitement de la diversité linguistique et culturelle tel qu’il est envisagé dans les mémoires professionnels de professeurs des écoles stagiaires, sans privilégier les mémoires dont la thématique centrale était l’enseignement des langues ou l’interculturel. Pour les deux situations suivantes, au contraire, nous avons repéré deux étapes qui peuvent être déterminantes pour transmettre à l’enfant le comportement qui est attendu de lui vis-à-vis de ses langues de vie et de ses cultures : il s’agit de l’accueil réservé à l’école maternelle aux chants et aux comptines de son répertoire privé, et du contrat didactique mis en place lors de la première séance de langue. Ces deux situations peuvent être considérées comme des moments efficaces et d’un très faible coût en énergie et en temps. Notre souci, en effet, a été de recueillir les conceptions des enseignants autant que d’étudier des situations de classe aisément transformables en dispositifs favorables aux répertoires plurilingues, afin de répondre aux fréquentes préoccupations des enseignants lorsque leur sont proposés de nouveaux gestes professionnels : ceux qui sont vus comme trop compliqués, trop longs à mettre en place, nécessitant trop d’énergie ou des dispositifs trop complexes sont souvent évités par les enseignants. Il est aujourd’hui simple, en maternelle, de construire un répertoire de chansons et de comptines dans une très large gamme de langues, grâce aux supports commercialisés et en ligne. Il est également facile, lors de la rentrée scolaire, d’instaurer par la première leçon de langue un contrat didactique qui autorise les élèves à s’exprimer sur leurs langues familiales. C’est pourquoi nous avons choisi d’observer ces deux gestes professionnels. La confrontation de ces différentes observations nous amènera à faire des propositions pour l’enseignement et la formation, en quatrième partie.