1.1. La tentation de l’exotisme et l’occultation des cultures locales

Les mémoires que nous avons étudiés traitent du culturel dans deux grandes directions, l’ouverture sur d’autres cultures et des démarches interculturelles. A propos de la première, nous avons recherché quels choix faisaient les enseignants, quelle place ils donnaient à leurs sources, et s’ils établissaient des liens avec les cultures présentes dans l’environnement de l’école.

L’ouverture culturelle fait partie des objectifs des enseignants, et est associée à plusieurs problématiques. Nous avons noté, dans les cinquante mémoires explorés, un écart entre l’objectif d’ouverture annoncé et le choix final : ainsi, un enseignant explore les contes et les sources d’influence (que l’on peut supposer diversifiées) sur l’imaginaire des enfants, souhaite aborder « des thématiques universelles » pour finalement ne sélectionner que des contes de France (B5). Un autre à propos de la littérature de jeunesse au Cycle 1 fait une exploration approfondie et une analyse fine du stéréotype du loup dans la culture occidentale (G3), mais n’évoque ni d’autres stéréotypes associés au loup, ni des personnages ou des animaux qui ont dans d’autres cultures la même fonction que le loup dans les contes européens.

Les origines des éléments de culture qui sont retenus ne sont pas explorées de manière précise : une enseignante raconte aux élèves « des contes africains » sur l’origine du monde, sans autre précision (N1). Deux mémoires décrivent des projets d’écriture de haïkus avec les élèves. L’une des enseignantes rappelle très brièvement leur origine (G5) ; l’autre, qui souhaite faire « découvrir différents univers poétiques » aux élèves, décrit les ateliers d’écriture de haïkus (E1), sans évoquer une seule fois l’origine de ce mode poétique. Ces enseignantes déclarent le souci de l’ouverture culturelle, empruntent des supports à d’autres cultures, mais ne précisent ni leur origine ni leur route jusqu’à nous, et ne posent pas la question de la pertinence ou non de donner ces éléments d’information aux élèves. Considèrent-elles que les lecteurs de leur mémoire soient suffisamment informés et qu’il est inutile d’aborder ces points dans leur écrit ? Ou bien que la découverte de différentes formes littéraires par les élèves n’implique pas forcément celle des univers culturels qui les ont vus naître ? Qu’il s’agisse des haïkus ou des contes africains, ne pas mentionner leur provenance peut être ou non un choix délibéré : le questionnement sur l’origine est universel, et les formes poétiques n’ont pas de frontières. Reste une large part d’implicite et de silence sur les cultures abordées, dans la classe probablement, dans les mémoires à coup sûr.

Aucun de ces mémoires, enfin, ne propose de lien (dans la rédaction ou dans la pratique de classe relatée) entre les cultures abordées et les cultures présentes dans l’environnement proche, cultures locales ou cultures des élèves.

Nous avons dans un deuxième temps étudié quels étaient les modes d’interactions culturelles présentées dans les mémoires. Il s’agit d’expériences que les enseignants stagiaires ont conduites ou d’observations qu’ils ont faites. Trois principales démarches apparaissent : la transmission d’éléments de culture pour combler un manque, l’ouverture culturelle et la tentation de l’exotisme,

Lorsque les enseignants stagiaires considèrent la culture des élèves comme un handicap pour les apprentissages, leur souci est de « confronter le jeune enfant à la richesse culturelle », de lui « donner accès à une culture commune » (B5, F2, G5) : « je dois faire passer un message à des élèves qui sont des enfants d’origines différentes, avec leur propre vécu » (G2). L’objectif est plus la transmission d’une culture jugée bonne (et censée devenir commune), que la construction et l’amplification d’une culture partagée.

Cinq des enseignants stagiaires traitent de l’école comme lieu d’ouverture sur les autres et sur le monde, via les musiques du monde (D1, R1), les langues, la littérature, qui sont autant de terrains pour apprendre à accepter et à comprendre lesdifférences. Mais là aussi, nous avons observé des écarts entre ces souhaits autour de l’ouverture et du vivre-ensemble et ce qu’ont pu réaliser les enseignants. L’un des mémoires traite de la mort et de l’hommage aux défunts et l’enseignant envisage l’environnement proche :

L’école n’est pas un sanctuaire où chacun arriverait vierge de tout passé, de toute relation avec autrui, de toute croyance. Il faut donc que l’enseignant conjugue avec ses différences, car cela peut aussi être une richesse pour la classe  » (N2).

Puis il relate le travail fait en classe sur les rites funéraires de l’Egypte Antique, et n’évoque que très fugacement les différents rites qui peuvent exister actuellement en France. L’enseignant hésite-t-il à faire évoquer par les élèves leur expérience dans des cultures que lui-même ne connaît pas ? Considère-t-il l’évocation de rites funéraires dans un espace et un temps lointains comme un moindre risque ? Le sujet est difficile, et a pu poser problème dans la pratique de classe. Le traitement de deux autres thématiques plus anodines est comparable : une sensibilisation aux langues et aux cultures est conduite dans l’objectif « de reconnaître son petit voisin maghrébin ou asiatique », une grande diversité de sources et différentes disciplines sont abordées, mais aucune des langues et cultures présentes dans la classe (D1) n’est mentionnée. Des mémoires sur les contes du monde ne puisent pas dans les répertoires de cultures familières à leurs élèves, enfants du voyage ou nouveaux arrivés en France (N1, B10). Ce qui revient à ouvrir l’école sur l’autre, mais un autre à distance, dans le temps ou dans l’espace.