Les écrits sur les langues mettent en évidence les représentations des professeurs des écoles stagiaires sur d’autres concepts : ceux d’identité, de citoyenneté, de culture. L’une des enseignantes, pour différencier les familles francophones et bilingues (francophone et turcophone), oppose les « familles françaises » aux « familles turques » (A2). La nationalité des élèves est souvent confondue avec la première nationalité des parents. Une enseignante situe son école dans un quartier bâti dans les années 1960-70 pour loger les familles de travailleurs immigrés, et décrit sa classe,
‘un CM1 situé dans une zone d’éducation prioritaire, composé de vingt élèves, dont dix-huit d’origine étrangère 123. Beaucoup de nationalités étaient représentées, d’où un mélange de cultures très important. Il existait au sein de la classe des tensions réelles, dues notamment à de mauvaises relations entre les différentes nationalités au sein du quartier. (G1)’Même confusion entre culture et nationalité, lorsqu’une stagiaire envisage de « demander aux élèves d’amener des musiques de leurs pays » (R3). A l’inverse, pour d’autres stagiaires, l’écriture du mémoire est en elle-même une démarche interculturelle, qui amène à découvrir l’écart entre les représentations initiales et la réalité des élèves :
‘Les élèves de ma classe sont à 80% d’origine maghrébine de la seconde ou de la troisième génération et contrairement aux représentations que je me faisais, ces derniers étaient incapables de répondre à mes questions concernant l’immigration (B2) ’Ce démontage de leurs propres représentations s’accompagne, pour les enseignants qui ont une approche positive des langues et des cultures de leurs élèves, de la mise en place de différentes stratégies qui, rassemblées, peuvent constituer une véritable méthodologie de l’interculturel :
L’analyse de ces cinquante mémoires permet plusieurs constats : lorsque la thématique principale du mémoire est l’interculturel, cette donne est plus largement explorée ; sur 56 propositions ou gestes professionnels qui accueillent les langues et les cultures des élèves, 43 sont relatés dans ces 22 mémoires. Mais les représentations de départ, lorsqu’elles abordaient négativement les langues et cultures familiales, ne sont pas nécessairement modifiées dans le propos de l’enseignant stagiaire, au fil du mémoire. Pour les 28 mémoires dont la problématique centrale n’est pas l’interculturel, les langues et les cultures des élèves, la plupart du temps, ne sont pas considérées comme l’un des éléments de l’espace scolaire, et sont soit absentes, soit abordées à travers le filtre de représentations négatives et stéréotypées. Les enseignants auteurs de ces mémoires ont des difficultés à faire correspondre les notions d’égalité et d’universalité à des gestes professionnels concrets ; certains opposent les cultures des classes moyennes et favorisées, conciliables avec le monde scolaire à d’autres cultures familiales jugées difficilement compatibles avec les apprentissages et réduites dans les mémoires à quatre caractéristiques, pauvres, immigrées, allophones et présentes en banlieue. D’autres au contraire considèrent les acteurs de l’école dans leur complexité et essaient d’analyser les responsabilités respectives de chacun dans les situations de communication. De même, le choix dans la classe d’une ouverture culturelle peut ou non être associé, nous l’avons vu, à une reconnaissance des ressources culturelles présentes dans l’environnement des élèves. Quant aux conceptions sur les langues, qu’il s’agisse du français ou des langues des élèves, elles n’échappent pas pour une partie des mémoires aux stéréotypes de pureté, d’association à l’identité nationale et de défiance vis à vis du bilinguisme. Pour d’autres au contraire, l’écriture du mémoire est l’opportunité d’articuler la réflexion et l’action didactique pour valoriser des compétences plurilingues, celles des élèves ou celles d’autres acteurs de l’école.
Ni une année universitaire de formation en alternance, ni le temps disponible pour l’écriture d’un mémoire ne peuvent offrir les conditions nécessaires pour simplement prendre la mesure des connaissances nécessaires dans les domaines du plurilinguisme et de l’interculturel. Encore moins pour les explorer, pour observer suffisamment de terrains, expérimenter, analyser, modifier ses croyances, ce qui vaut pour d’autres domaines que pour celui des langues et des cultures. Les représentations des enseignants sur les univers culturels et sur les langues de leurs élèves résistent aux observations faites pendant les stages, d’autant plus que le nouvel enseignant est confronté à une forte charge cognitive, à l’adaptation sur un temps très court à un environnement professionnel nouveau, et à l’inévitable pression des situations d’évaluation en tant que stagiaire. Accueillir les langues et les cultures des élèves, dans ce contexte, peut être ressenti comme une surcharge plus que comme une ressource.
L’analyse de la méthodologie de l’interculturel qui se donne à voir dans plusieurs mémoires, et celle de leur absence dans les autres, permettent de tracer les pistes possibles de formation : la mission de l’enseignant et les principes d’égalité ou d’universalité ne sont dynamisants que si les concepts qui s’y rattachent sont réfléchis de manière précise et dans leur épaisseur. Il sera nécessaire de systématiser, en formation, une réflexion sur les représentations, et des outils de réassurance et d’objectivation : journal de bord, comme celui d’une stagiaire, à propos de la relation école-familles (M2), séminaire, biographie langagière, travail sur sa propre identité culturelle. Il apparaît aussi que la formation à des compétences interculturelles gagnerait à ne pas se restreindre à certaines disciplines, mais à mailler l’ensemble des savoirs.
C’est nous qui soulignons.