4. Les enjeux d’un répertoire plurilingue

Le monde des comptines et des chansons, comme celui des fables et des contes, construit des passerelles car il s’adresse à chacun, par les situations mises en scène, et traverse toutes les langues et toutes les cultures, avec à la fois des invariants et une grande diversité. Il permet une conversation à travers l’espace et le temps, une rencontre qui résout et même dépasse la question du traitement de la pluralité culturelle. Inviter dans la classe la culture d’un élève via une comptine ou une chanson n’est pas la désignation d’une différence supposée, ni la pratique d’une encombrante et condescendante générosité, mais la simple validation d’un capital langagier et culturel comme outil pour les apprentissages de tous. En déclarant bienvenues les langues et les cultures de ses élèves, il ne s’agit pas pour l’enseignant de donner mission aux élèves de représenter leur groupe familial ou culturel, mais de donner à chacun l’opportunité de contribuer au répertoire commun, de construire la culture commune du groupe classe.

Considérer les langues et les cultures des apprenants comme des ressources peut être utile à la fois pour un enfant récemment arrivé en France et allophone, pour un enfant français vivant en milieu bilingue, pour un enfant français quasi monolingue, et il n’est pas indifférent que les enseignants soient en mesure de situer les enfants sur le continuum entre deux quasi-monolinguismes, celui du Français francophone et celui de l’enfant étranger allophone. L’enjeu n’est pas seulement technique et en termes d’apprentissages langagiers. Jacques Barou, à propos de la citoyenneté (1996 : 65) fait ce constat :

‘Aujourd’hui, s’il y déficit de citoyenneté dans certaines zones du territoire français, il est beaucoup plus lié à un manque de capacité des individus et des groupes à participer positivement à la vie de l’ensemble du corps social qu’à un statut juridique (…) incapacité souvent liée à l’absence de possibilité de mobilité géographique et sociale et touche particulièrement les populations reléguées sur des quartiers plus ou moins en marge de la ville  ’

Dans une classe, celle-ci soit dans une banlieue ou au centre d’une grande métropole, se donner la possibilité de connaître les pratiques langagières réelles de chacun, de les valoriser, de les utiliser comme une contribution aux apprentissages, diminue la relégation et augmente la participation positive à la vie du corps social. Il est souvent difficile, pour les enseignants, de concilier la résolution de situations du quotidien avec l’objectif généreux de faire accéder tous leurs élèves aux valeurs universelles. Construire un répertoire de comptines à partir des langues et des cultures des élèves permet d’associer l’universel des composantes invariantes de ces répertoires au traitement de la diversité, c’est un outil à la fois accessible, pragmatique et d’une forte portée symbolique.