Chapitre III. La première séance de langue

La première séance d’une discipline, en début d’année scolaire, fonde souvent le contrat didactique qui va fonctionner sur l’ensemble de l’année. C’est l’occasion, pour l’enseignant, de poser les possibles et les interdits, d’indiquer aux élèves les attitudes et les stratégies encouragées ou au contraire déconseillées. Notre question est la suivante : quel est le message délivré lors de la première séance de langue à propos des répertoires et des stratégies plurilingues ? Quel est l’univers linguistique dont l’enseignant propose l’exploration ? S’agit-il d’un univers binaire et cloisonné dans lequel se côtoient plusieurs monolinguismes, tel que nous l’avons rencontré dans les manuels d’histoire et dans de nombreux manuels de langues ? Ou bien d’un univers plurilingue dans lequel les compétences sont jugées transférables d’une langue à une autre ? Pour analyser le contrat didactique instauré lors de la première séance de langue, à l’école et en sixième, en ce qui concerne les répertoires plurilingues des élèves, nous avons interrogé neuf enseignants dont sept assument également des tâches de formation.

Les réponses des enseignants à notre enquête attestent, s’il en était besoin, de la diversité des supports et de l’autonomie des enseignants dans leurs choix didactiques. Pour leur première séance de langue, les neuf enseignantes utilisent plusieurs supports en combinaison, et aucune n’utilise les mêmes. Deux enseignantes utilisent des supports didactiques commercialisés : un recueil de chants et comptines créés sur des mélodies de jazz, Let’s chant, let’s sing n°1 de Carolyn Graham, un document vidéo de présentation de la culture britannique, We’re kids in Britain, un manuel d’anglais pour le primaire, Fanfare, et un pour la sixième, Join the team – Nathan. Cinq des enseignantes sélectionnent des objets qui permettent de présenter la culture cible et de stimuler la curiosité et le questionnement des élèves : une carte du monde et une du Royaume-Uni, l’enregistrement d’une chanson de Laura Pasini pour l’italien, un album pour la jeunesse, une affiche ou des magazines ramenés d’Angleterre, une SchuhlTüte, cornet traditionnellement donné aux enfants allemands quand ils entrent à l’école primaire ; à propos de ce support de la culture enfantine authentique, l’enseignante crée une mise en scène : « Il faut que ce soit quelque chose qui les interpelle, une énorme S chuhlTüte rouge » ; l’écoute d'une chanson de Laura Pausini est qualifiée de « mise en goût ».

Cinq enseignantes conçoivent et fabriquent des supports : un questionnaire de recueil des représentations, une photographie de deux enfants allemands avec leur SchuhlTüte, dans laquelle sont insérées des bulles de dialogue à compléter, un jeu de labyrinthe, un panier de mots transparents et pour les plus jeunes une carte postale envoyée de Londres par la marionnette Peter. En commun, tous ces supports permettent aux enseignants de présenter conjointement la langue et la culture cibles. Deux enseignantes de collège n’utilisent aucun support pour cette première séance.

Le déroulement de la première séance comporte plus de caractéristiques communes que le choix des supports : huit des neuf enseignants font un recueil des représentations, plus ou moins formalisé ; les cinq enseignantes de primaire le ciblent plus sur la culture cible ; une enseignante de collège utilise le culturel comme tremplin pour aller vers le linguistique : deviner ce que le cornet de la SchuhlTüte contient, mettre dans celui de l’enseignante les noms des élèves sur des papiers et introduire ainsi la fonction langagière de la présentation, sous forme de questions et de réponses. Tous les enseignants font entrer les élèves dans les apprentissages dès cette première séance : pour l’italien, l’apprentissage d'un chant du patrimoine, Fra Martino, dont la mélodie est la même que pour Frère Jacques. En anglais et en allemand, la présentation, les consignes de classe, les outils de l’élève. L’utilisation de l’écrit pour cette première séance n’est ni systématique ni prohibée. Lorsqu’elle est présente, c’est pour stabiliser les premiers apports et permettre une entrée visuelle, au tableau ou dans les cahiers. Deux enseignantes ont des positions plus tranchées : l’une, en CE2, choisit de mettre les élèves en contact avec des écrits authentiques : «  j’ai découvert que les enfants ça les rassure, ne pas être pour la première séance mis dans un flux sonore indigeste mais de prendre des indices ». L’autre à l’inverse, en sixième, ne prévoit pour la première séance « aucune trace écrite « copiée », implicitement l’accent est mis sur l’audio-oral, et la mémorisation auditive par une participation orale constante ». Deux enseignantes (CE2 en 2003, sixième en 2008) amènent les élèves de sixième à mutualiser les mots transparents, pour les rassurer, tout en mettant l’accent sur la différence de prononciation. Cette activité est à la frontière des premiers enseignements et du recueil des pré-acquis dans la langue cible.