Chapitre I. Vers une didactique du continuum et de la pluralité ?

Les pratiques plurilingues, ressources des sujets en mobilité, peuvent-elles être validées et mutualisées pour permettre de nouveaux apprentissages ? Est-il envisageable de les considérer comme faisant partie de savoirs susceptibles d’être enseignés ? Sur le terrain de la didactique des langues au primaire, le savoir qui émerge des travaux sur le plurilinguisme, les cultures et les migrations est, si nous tentons de le résumer en quelques mots, le suivant : dans une société plurielle et cognitive, la mobilité du sujet et son parcours d’un champ d’expériences ou de connaissances à d’autres champs peuvent créer des ressources individuelles et collectives pour de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être. Ces savoirs sont-ils scolarisables ? Peuvent-ils devenir des objets d’enseignement ou bien s’agit-il d’une éducation plurilingue au service des enseignements de langue ?

La compétence bilingue ne consiste pas en une simple alternance de codes et l’aptitude à avoir recours à deux répertoires linguistiques ne garantit pas nécessairement une compétence plurilingue (Castellotti et Moore, 2005 : 107–132). L’expérience d’apprentissage d’une langue étrangère en contexte scolaire peut être pour les enfants, qu’ils vivent ou non dans un contexte plurilingue, l’opportunité de la prise de conscience, de la « manipulation intentionnelle » (Le Pichon Vorstman, 2006 : 46) et du développement de stratégies plurilingues, à la condition que les enseignants connaissent ces stratégies, les valident et les didactisent. Nous essaierons ici de voir à quelles conditions peut s’opérer la transposition didactique des savoirs pour les langues.

Andrée Tiberghien, Gilbert Arsac et Martine Méheut (1994 : 106), pour les savoirs de physique au collègue, soulignent la nécessité que soient présents deux éléments : la légitimation de tout nouveau contenu d’enseignement, la réduction de l’écart entre savoir savant et savoir enseigné. Selon Michel Verret, cité par Chevallard (1985 : 57), les conditions nécessaires pour que des savoirs deviennent scolarisables sont : sa dépersonnalisation, c’est-à-dire la distanciation entre le savoir et son producteur, en particulier dans sa présentation aux enseignants par l’institution (Chevallard, 1985 : 20) ; la désyncrétisation du savoir, soit sa division en champs délimités ; la programmation des apprentissages et de leur évaluation. Ce sont ces cinq points, la légitimation, la désyncrétisation, la distanciation, la réduction de l’écart entre savoirs savants, sociaux et enseignés, la programmation des apprentissages et de l’évaluation, que nous reprenons pour le cadre de l’enseignement.