1. Légitimer

Tout contenu d’enseignement doit faire référence à un savoir ou à une pratique reconnus par la société « comme légitimement enseignables » (Tiberghien, Arsac et Méheut, 1994 : 105). Or, nous ne pouvons que constater un hiatus entre ce que les institutions européennes reprennent des travaux de recherche et déclarent enseignables – soit les compétences plurilingues, et ce que le plus grand nombre de parents souhaitent voir leur enfant apprendre – c’est-à-dire l’anglais. Quant aux enseignants, nous avons vu à quel point ces nouveaux savoirs leur étaient encore peu familiers. La didactique plurilingue peut être comparée à celle de l’enseignement de l’énergie tel que l’abordent Tiberghien, Arsac et Méheut (1994 : 116) : il s’agit, pour l’un comme pour l’autre domaine, de prendre appui sur des pratiques sociales tout en les infléchissant. Mais le second a reçu l’appui d’une communication massive et sur la durée par les médias et les institutions, « l’enseignement de l’énergie au niveau des collèges est apparu suite à une demande sociale liée à la crise de l’énergie (…) dans la plupart des pays occidentaux » (1994 :116), alors que la didactique plurilingue reste confidentielle, la presse ne se faisant l’écho que de l’enseignement des langues vivantes, et la demande sociale ne se restreignant souvent qu’à l’anglais. Pour légitimer les savoirs liés à la pluralité des langues, il faudrait les rendre perceptibles par les enseignants, les parents et les enfants, et en tout premier lieu réhabiliter les expériences plurilingues et pluriculturelles de chacun. Il serait utile de communiquer avec d’autres professionnels que les enseignants : les éducateurs jeunes enfants, les orthophonistes, les puériculteurs sont amenés à prendre position sur le bilinguisme familial, à des étapes clés du développement de l’enfant, et leurs propos peuvent avoir un impact important sur les conceptions des parents.

Légitimer les stratégies plurilingues serait aussi les rendre visibles à chaque étape des programmes de langue, afin qu’elles ne soient pas reléguées dans le champ des pratiques sociales invisibles et qu’elles ne soient pas considérées comme implicitement connues de tous. Nous reviendrons plus loin sur ce point.