3. Distancier pour rendre visible et relier à d’autres savoirs

Pour que les enseignants puissent percevoir les contours de ce nouveau savoir et se l’approprier, il convient de le distancier à la fois de son producteur et des débats sociaux qui l’entourent. Le distancier de son producteur signifie, comme l’écrivent Jean-Louis Chiss et Christian Puech (1999 : 18 – 19)

‘Que le spécialiste opère ce décentrement par lequel son adhésion aux normes, repères, valeurs disciplinaires cesse d’aller de soi pour s’objectiver et se communiquer.’

Ce qui signifie que la didactisation des savoirs doit s’accompagner d’une communication, d’une représentation de la discipline en train de naître. Or, pour l’instant, deux obstacles au moins empêchent cette « conscience de soi » (Chiss & Puech, 1999) du savoir :

Paradoxalement, rendre visible la didactique de la pluralité des langues et des cultures ne consiste pas nécessairement à l’enfermer dans le tracé de contours qui en ferait un nouveau territoire clos, mais à souligner la communauté de pensée avec d’autres disciplines : c’est bien cette communauté qui nous a amenée à avoir recours non seulement aux travaux sur le plurilinguisme, mais aussi sur le culturel et l’immigration, et à explorer l’anthropologie, l’histoire et la sociologie, pour constater, comme l’a fait très tôt Couturat, que la catégorisation est un outil nécessaire et provisoire, préalable à la re-connaissance raisonnée du continuum des langues, des cultures, des parcours individuels et collectifs. Inscrire la réflexion sur la pluralité des langues dans l’ensemble des connaissances qui intègrent les notions de pluralité, continuum et trajectoire aura d’autant plus de chances d’être compris dans le cadre de la formation généraliste des professeurs des écoles, venus d’horizons différents.

Le distancier des débats sociétaux vise à apporter plus de sérénité aux enseignants dans leur exploration des connaissances. Les langues enseignées à l’école, les langues familiales et leur éventuelle place dans l’univers scolaire constituent en effet des savoirs « chauds», tels que les définit Laurence Simonneaux (2003 : 181-182) à propos de la biotechnologie, car ils agitent «des questions socialement ‘vives’ » :

‘Ils suscitent des débats dans la production des savoirs savants de référence, ils sont prégnants dans l’environnement social et médiatique, et les acteurs de la situation didactique (élèves et enseignants) ne peuvent y échapper, les enseignants se sentent souvent démunis pour les aborder.’

Ces savoirs sont d’autant plus prégnants dans l’environnement social que les langues font l’objet d’une pratique sociale, et à ce titre font l’objet de nombreuses représentations et d’une forte implication de chacun ; de plus, chez de nombreux enseignants, les origines et les composantes de leur propre culture  et de leur propre langue font l’objet de refoulement (Baier, 1997 : 13). Autant de points à prendre en compte pour l’enseignement et la formation.